Intervention de Delphine Batho

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 12 novembre 2019 à 9:5
Audition de Mme Delphine Batho ancienne ministre de l'écologie du développement durable et de l'énergie

Delphine Batho, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie :

Ce n'est pas la première fois que j'entends parler du dysfonctionnement du système Gala dans de multiples configurations de gestion de crise.

Concernant le cas précis de Lubrizol en 2013, c'est dans le cadre du rapport d'inspection que le problème a surgi. J'ai compris qu'il s'agissait d'une défaillance technique du prestataire, mais je reste prudente dans ma réponse. En effet, l'une des particularités de l'incident découvert le 21 janvier 2013, c'est qu'il n'y avait pas de préfet en Seine-Maritime, pas plus qu'il n'y avait de directeur de l'agence régionale de santé (ARS). Dans la gestion de crise des premières vingt-quatre heures, l'absence de préfet a assurément joué un rôle. Ayant prêté serment, je ne serai pas formelle pour vous répondre à la question de savoir s'il s'agissait d'un problème technique ou politique. Mais se posait également un problème politique lié à l'absence de préfet.

Concernant la responsabilité de l'industriel lui-même, en 2013, Lubrizol s'est rendu compte de l'incident, qui a commencé durant le week-end, à 8 heures du matin ; elle n'a déclenché le plan d'opération interne (POI) que deux heures après, à 10 heures ; elle n'a pas prévenu la préfecture, qui sera prévenue par les pompiers parce que des habitants ont ressenti une odeur, et les services d'alerte et de veille au niveau ministériel ont été prévenus cinq heures après le début de la crise. À l'époque, dans les états-majors, on avait noté que l'industriel n'avait pas été réactif, qu'il n'avait pas tout dit. Lubrizol avait annoncé à peu près toutes les trois heures que le problème allait être réglé dans la demi-journée. Comme ce ne fut pas le cas, cela a discrédité la gestion de la situation.

Concernant les Dreal, le rapport de 2013 pointe une question qui renvoie, selon moi, à celle d'une possible perte de compétence ou d'un possible affaiblissement de leurs compétences, qui est directement liée à la création des Dreal il y a dix ans. Les Dreal sont issues de la fusion des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (Drire). Les régions les plus concernées par les sites Seveso portent une attention particulière aux compétences des équipes.

Là encore, je ne veux pas tomber dans la logique du lampiste ! En réalité, ce problème se pose non seulement en Seine-Maritime, mais aussi dans toute la France. Il faut soulever la question de l'affaiblissement des compétences techniques et d'ingénierie de l'État, qui conduit, pour la mise en oeuvre au quotidien du droit de l'environnement, à externaliser bon nombre d'études, lesquelles ne sont plus réalisées par les services de l'État. Ces derniers sont débordés par la paperasse et passent donc moins de temps sur le terrain. Ce sujet mérite, à mon avis, une grande attention.

La question des moyens humains se pose également. Le ministère de l'écologie a été le plus impacté par la révision générale des politiques publiques (RGPP), laquelle a été suivie de la modernisation de l'action publique (MAP) et de nouvelles diminutions d'effectifs. Depuis 2012, on constate une baisse de 150 millions d'euros pour l'action n 1 du programme budgétaire 181 en autorisations d'engagement et de 50 millions d'euros en crédits de paiement. La perte des moyens humains a touché les équipes de façon générale. La culture des Dreal n'est plus celle des directions régionales de l'environnement.

Tout cela a-t-il un lien avec l'assouplissement des procédures ? Oui, directement !

Je ne me prononcerai pas sur le point de savoir s'il y a un lien entre l'incendie et l'augmentation de la capacité de stockage chez Lubrizol, accordée à deux reprises dont l'une par une régularisation a posteriori - selon les informations qui ont été rapportées par la presse, cette autorisation a été donnée après la constatation d'une anomalie et sans étude d'impact environnemental. Une révision des études de dangers a-t-elle été menée ? Le risque incendie a-t-il été pris en compte ?

En revanche, l'assouplissement et la simplification des procédures imposées par ces « enquiquineurs » du ministère de l'écologie ont des conséquences sur la surveillance des sites industriels, sur la police de l'environnement et sur l'aptitude d'une Dreal à résister à l'amicale sollicitation d'un préfet, pour lequel la situation n'est pas encore assez mûre pour prononcer une mise en demeure - vous voyez ce que je veux dire !

La logique du fonctionnement de l'État et sa capacité à être ferme sur les exigences de sécurité et de prévention des risques technologiques peuvent, dans un certain nombre de cas, passer pour des sources d'enquiquinement aux yeux des industriels, et parfois des élus locaux.

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