Intervention de Pierre-Yves Collombat

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « administration générale et territoriale de l'état » - examen du rapport pour avis

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat, rapporteur pour avis :

Chers collègues, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » rassemblait traditionnellement les crédits de trois programmes budgétaires du ministère de l'intérieur :

- le programme 232 « Vie politique, cultuelle et associative », qui finance l'exercice des droits des citoyens (élections, vie associative et liberté religieuse). Les élections municipales en 2020 expliquent la croissance des crédits pour l'année prochaine avec une hausse de 17,2 % en autorisations d'engagement et de 14,9 % en crédits de paiement ;

- le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur ». L'augmentation spectaculaire des crédits pour l'exercice 2020, de l'ordre 46,7 % en autorisations d'engagements et de 45 % en crédits de paiement, s'explique notamment par l'explosion des dépenses liées aux systèmes d'information et de communication désormais pilotés par une toute nouvelle direction du numérique (DUN). À noter que la prévention de la délinquance et de la radicalisation émarge aussi aux crédits de ce regroupement fourre-tout ;

- enfin, le programme 307 « Administration territoriale », le plus important puisqu'il rassemblait les moyens des préfectures, des sous-préfectures et des représentations de l'État dans les territoires d'outre-mer. Fusionné avec le programme 333 « Moyens mutualisés des administrations déconcentrées », qui regroupait les crédits des divers ministères supportant notamment les directions départementales interministérielles, les délégations régionales placées sous l'autorité des préfets de région et les secrétariats généraux pour les affaires régionales, il est devenu le programme 354.

C'est sur ce programme, qui concerne le plus directement les territoires, que nous nous attarderons car la fusion a rendu l'évolution des moyens budgétaires et humains illisible. Avec 2 460 millions d'euros en autorisations d'engagement, en hausse de 6,4 %, et 2 328 millions d'euros en crédits de paiement, en hausse de 6 %, et une augmentation de 4 % des effectifs en équivalents temps plein travaillé (ETPT), le nouveau programme 354 reste le mieux doté de la mission.

Cette augmentation pourrait être une bonne nouvelle si elle n'était pas due à des effets d'optique générés par la fusion des programmes. En effet, cette hausse résulte en fait du transfert de moyens existants - jusque-là comptabilisés hors du périmètre du ministère de l'intérieur - au titre des missions interministérielles. Ainsi, les transferts d'effectifs s'élèvent à 1 803 ETPT, alors que les moyens humains n'augmentent, pour l'année 2020, que de 1 096 ETPT. Cela signifie donc qu'à périmètre constant, les moyens globalement dévolus à l'administration territoriale de l'État baissent de 707 ETPT. En même temps que des moyens nouveaux sont venus renforcer la fonction publique, d'autres lui ont été retirés : nous atteignons des sommets dans l'art du bonneteau budgétaire ! Le ministère de l'intérieur lui-même n'a plus de visibilité sur ses moyens.

Loin de marquer une rupture avec la politique constante de réduction des effectifs et des moyens de l'administration territoriale de l'État, le projet de loi de finances pour 2020 poursuit donc la raréfaction de la présence de la République dans les territoires. Ce désengagement a des conséquences délétères pour les collectivités territoriales, notamment les petites communes, et délite la cohésion nationale déjà bien affaiblie. La multiplication de lois répressives ne pourra pas répondre à ce problème. En revanche, la présence forte de l'État sur le terrain me paraît indispensable.

J'évoque à ce titre, dans le rapport, les mécomptes de la marche forcée à la dématérialisation des procédures, l'abandon de fait du projet éphémère de renforcement de l'ingénierie territoriale de l'État pourtant très attendu par les petites collectivités territoriales et la consomption du service de public de proximité.

Ce désengagement budgétaire de l'État, de plus en plus préjudiciable pour les laissés pour compte de la République, suffit à justifier ma proposition d'avis défavorable sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Nous évoquerons par ailleurs deux points qui, par le truchement de l'architecture budgétaire issue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), relèvent de la mission « Administration générale et territoriale de L'État » : d'une part, la mise en application du répertoire électoral unique dans le cadre de la réforme des inscriptions sur les listes électorales (programme 232) et, d'autre part, la question - marginale du point de vue budgétaire mais qui a son importance - du rattachement de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) au ministère de l'intérieur (programme 216).

En ce qui concerne la réforme des listes électorales issue de la loi du 1er août 2016, malgré quelques difficultés techniques et de communication entre l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et certaines communes, le déploiement du répertoire électoral unique s'est déroulé correctement compte tenu de l'ampleur du chantier. Les élections européennes ont servi de galop d'essai et, à cet égard, nous avons constaté que les cas de radiation irrégulière étaient limités. Pour l'essentiel, il s'agissait de problèmes de double inscription qui ont concerné moins de 1 % des inscrits, même si certaines communes comme Toulouse ont fait face à des difficultés plus importantes. Ces cas particuliers ont été complexes à traiter, d'autant que la communication entre l'INSEE, les communes et les éditeurs de logiciel a été rendue difficile par l'interruption temporaire du portail ELIRE mis à la disposition des communes pour que celles-ci puissent gérer leurs listes électorales.

Signalons tout de même que tous les acteurs concernés ont conscience de l'importance d'anticiper ces problèmes dans la perspective des élections municipales qui représenteront une échéance politique particulièrement importante. Compte tenu de la campagne d'information programmée pour inciter les citoyens à vérifier leur situation électorale, je pense que la gestion du répertoire électoral unique ne devrait pas poser de difficultés majeures l'année prochaine.

Le second point que j'aimerais aborder - même s'il s'agit de crédits très modestes -, c'est l'idée saugrenue de fusionner la MIVILUDES, placée depuis sa création en 2002 sous l'autorité du Premier ministre, avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui relève de la responsabilité du ministère de l'intérieur. Même si, à la marge, la prévention de la radicalisation et la lutte contre les dérives sectaires peuvent se recouper, le champ d'intervention de la MIVILUDES s'étend bien au-delà de cette problématique, dans les domaines de la santé et de l'éducation notamment, ce qui justifie son caractère interministériel. C'est d'ailleurs ce qu'avait indiqué le Premier ministre en réponse au référé de la Cour des comptes de 2017 suggérant ce projet de fusion.

500 000 personnes, dont 50 000 enfants, seraient victimes de phénomènes sectaires en France, sans lien avec une quelconque radicalisation islamique, et la MIVILUDES leur apporte une aide précieuse.

Ce projet de fusion est d'autant plus incompréhensible que les moyens de la MIVILUDES sont très modestes et en constante diminution, ce que la Cour des comptes reconnaît elle-même. En tenant compte des coûts indirects supportés par les services du Premier ministre, le budget de la MIVILUDES s'élève à 0,5 million d'euros, mais stricto sensu, son budget de fonctionnement ne dépasse pas 150 000 euros. Même en étant très pointilleux sur l'usage des deniers publics, ce projet de fusion demeure injustifié, d'autant que l'efficacité de la MIVILUDES n'est pas aujourd'hui remise en cause.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose donc, chers collègues, de donner un avis défavorable sur les crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

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