Intervention de Éric Kerrouche

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « administration générale et territoriale de l'état » - examen du rapport pour avis

Photo de Éric KerroucheÉric Kerrouche :

Je remercie le rapporteur pour son travail qui recoupe en grande partie ce que je pense de cette mission. La fusion des programmes 307 et 333 rend illisible l'évolution des crédits de la mission. Ainsi que l'a souligné le rapporteur spécial, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » est « affectée d'un défaut de lisibilité qui est une exigence constitutionnelle ».

En outre, la question de l'accompagnement du public dans le cadre des procédures de dématérialisation a déjà été soulignée et a fait l'objet d'amendements du groupe socialiste lors de l'examen du projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, puis lors de l'examen de cette mission du projet de loi de finances pour 2019. Nous le soulignons à nouveau.

Les évolutions technologiques ne doivent pas se déployer au détriment de la qualité de service aux administrés et engendrer un mécanisme de marginalisation numérique, que ce soit pour des questions d'accès physique à ces services, de fracture numérique ou d'illectronisme. Les économies générées par cette dématérialisation doivent donc être réinjectées pour accompagner ce processus. Ménager des voies alternatives non-dématérialisées, en particulier les publics les plus vulnérables, est essentiel pour garantir l'exercice par tous de leurs droits. Ce point a été largement souligné par le Défenseur des droits l'année dernière.

S'il est vrai que l'État doit se recentrer sur ses missions et en finir avec un réflexe touche-à-tout dont il n'a plus les moyens, il ne peut pour autant se désengager des territoires au prétexte de la dématérialisation. Comme l'a souligné le rapporteur pour avis, ce désengagement est vécu comme un abandon de l'État, notamment dans les territoires dits périphériques. Il est d'autant plus choquant quand il conduit à une privatisation des prestations liées à des démarches administratives. Un marché de la délivrance de cartes grises a vu le jour. Ainsi que le souligne le rapporteur spécial, à raison de 30 euros par dossier et compte tenu de la délivrance de 13 millions de cartes grises, cette opération coûte 300 millions d'euros aux Français.

Dans ce contexte, les réformes engagées qui se traduisent par la mutualisation des moyens et la création des secrétariats généraux communs aux différentes administrations permettront-elles à l'État de garantir le service de proximité, notamment en ce qui concerne les collectivités territoriales ? Si les moyens diminuent, quelles seront les conditions de mise en oeuvre de la procédure de rescrit territorial prévue dans le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique ?

La baisse des moyens des préfectures et des sous-préfectures se poursuit inexorablement. L'État de « proximité », que l'on verra peut-être renaître dans le cadre du projet de loi « Décentralisation, différenciation et déconcentration », subit une perte de moyens, voire une dégradation de ses missions, y compris celles présentées comme prioritaires. En ce qui concerne la présence de l'État sur les territoires, on a plutôt le sentiment d'un retour en arrière dans les pratiques.

Il convient donc de s'interroger sur l'accès au service public, notamment pour faire valoir ses droits, à plus forte raison au regard du rapport de la Cour des comptes sur l'accès aux services publics dans les territoires ruraux qui dresse un bilan mitigé de l'expérience de mutualisation dans le cadre des Maisons de services au public (MSAP). Celles-ci seront bientôt remplacées par le réseau Maison France services, projet annoncé en grandes pompes par le Président de la République à l'issue de la crise des gilets jaunes mais dont il y a fort à parier qu'il sera, in fine, à la charge des collectivités territoriales.

Dans le même ordre d'idée, l'affectation de 30 équivalents temps plein (ETP) à la future Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) laisse songeur.

Comme l'an dernier, une question reste donc posée : quelle est la doctrine territoriale l'État ? La logique territoriale qui préside semble largement évincée par une logique comptable qui conduit l'État à ne plus s'offrir les moyens de ses ambitions. Il nous reste à espérer que le projet de loi « Décentralisation, différenciation et déconcentration » apportera les éclaircissements nécessaires sur cette question, même si l'on peut d'ores et déjà en douter.

En dernier lieu, j'aimerais aborder la question de la garantie de l'exercice des droits des citoyens. Sur ce dernier point, nous pourrions nous en vouloir de ne pas évoquer, comme l'ont fait nos collègues députés socialistes, le déploiement de moyens en application de l'article 11 de la Constitution qui prévoit la possibilité du référendum d'initiative partagée. Le silence des textes n'a jamais prescrit d'organiser le silence autour d'un droit constitutionnel. Il ne serait donc pas inopportun que des moyens soient déployés pour rendre ce droit intelligible et que la démocratie puisse s'exercer en ce qui concerne le référendum d'initiative partagée relatif à la privatisation d'Aéroports de Paris.

Vous comprenez donc que l'avis de notre groupe sur les crédits de cette mission est défavorable.

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