Intervention de Jean-Pierre Sueur

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 13 novembre 2019 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « pouvoirs publics » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur, rapporteur :

La dotation de l'État sollicitée par la présidence de la République est en forte augmentation. N'y voyez aucun caractère partisan, mais en 2015, 2016 et 2017, la présidence de la République était parvenue à contenir cette dotation à 100 millions d'euros, avec un remarquable travail à cette période d'identification d'économies. Depuis deux ans, les choses sont tout autres. Les dépenses de l'Élysée devraient de nouveau augmenter en 2020, passant de 106 780 000 euros à 110 516 000 euros (+ 3,5 %) après une hausse de 2,48 % entre 2018 et 2019. On peut regretter cette dérive par rapport aux efforts qui avaient été mis en oeuvre dans le passé.

Si l'on regarde en détails, le tableau est donc contrasté. Je tiens à souligner qu'il y a un effort afin de stabiliser les dépenses de personnels. Le regroupement des effectifs des 17 anciennes directions au sein de quatre entités a permis la mise en place d'une organisation qui semble plus rationnelle qu'auparavant. La mission de sécurité, par exemple, est à présent configurée autour de la direction de la sécurité de la présidence de la République (DSPR), issue de la fusion du GSPR et du commandement militaire, sujet dont nous avons eu l'occasion de parler dans un autre cadre. Cette nouvelle organisation s'est également traduite par le recrutement d'un directeur général des services (DGS), même si votre rapporteur n'est pas persuadé que les missions respectives du DGS, du directeur de cabinet et du secrétaire général soient clairement réparties. En l'absence d'audition, il n'a pas été possible de lever le doute. Enfin, 12 personnes demeurent simultanément membres du cabinet du Président de la République et de celui du Premier ministre. Il nous semble, et nous avons eu l'occasion dans un récent rapport, monsieur le président, de le dire clairement : il y a là une confusion des genres et c'est contraire à l'esprit de la Constitution. Cette situation est d'autant moins compréhensible que la présidence de la République n'hésite pas à rappeler son attachement au principe de séparation des pouvoirs chaque fois qu'elle entend ne pas apporter de réponse aux questions de la représentation nationale.

Les frais de transport de la présidence de la République ont beaucoup augmenté et certains engagements qui avaient été pris en la matière, par exemple de limiter le recours au transport aérien, n'ont pas été tenus.

Nonobstant ces remarques, je tiens à dire mon total accord avec les dépenses engagées en matière de sécurité, qu'il s'agisse du blindage des véhicules d'escorte, du renouvellement du parc radio, des équipements voués à la géolocalisation et surtout de la sécurisation des matériels de télécommunication et informatiques. Il est sage de prendre de telles dispositions.

Je ne m'étendrai pas sur les ressources propres de la présidence de la République, quelque peu anecdotiques, d'environ 1 200 000 euros, dont on ignore si elles pourront être maintenues de manière pérenne. En revanche, il faut souligner, outre l'augmentation sollicitée de la dotation que la présidence de la République recourt à un prélèvement sur ses disponibilités dans des proportions qui ne sont pas tenables : il restait au 31 décembre 2018, 17,1 millions d'euros de trésorerie : pour 2020, la présidence de la république, envisage de ponctionner 4 millions. Si ce rythme se poursuit, on voit bien qu'il n'y aura plus aucune réserve dans environ 4 ans.

Les assemblée parlementaires ont maitrisé l'évolution de leurs dépenses. Le budget de l'Assemblée nationale pour 2020 se caractérise par une légère diminution des charges. Le budget d'investissement est particulièrement important pour 2020 puisqu'il devrait s'établir à 32 682 500 euros, soit une hausse de 19,92 %. Il s'agira entre autres de procéder à la couverture de l'hémicycle et de la salle des conférences, ce qui pourrait d'ailleurs se traduire par l'absence de session extraordinaire en juillet prochain. Pour équilibrer son budget, l'Assemblée nationale prévoit, comme les années précédentes, de procéder à un important prélèvement sur ses disponibilités en 2020, pour satisfaire à un besoin de financement d'environ 48,5 millions d'euros. Une forte incertitude s'attache par nature au niveau de ce prélèvement, qui sera constaté en exécution, en fonction des dépenses effectives. Ainsi, en 2017, il s'était finalement élevé à 49,7 millions d'euros, pour une prévision de 62,8 millions d'euros. À l'inverse, le budget initial pour 2018 prévoyait un prélèvement de 28,5 millions d'euros alors qu'il a dû être porté à 46,6 millions d'euros par le budget rectificatif pour 2018. Donc le prévisionnel pour 2020 doit se lire au regard de l'incertitude constatée les années passées.

Pour ce qui est du Sénat, on note la même stabilité du budget, avec une reconduction en euros courants, et donc une baisse en euros constants, de la dotation de l'État : pour la neuvième année consécutive, la dotation de l'État sera maintenue à 323 584 600 euros. Le Sénat connaitra une hausse du prélèvement sur les disponibilités en 2020, à 29,25 millions d'euros contre 24,98 millions d'euros en 2019, afin de financer des dépenses de fonctionnement à hauteur de 3,15 millions d'euros et la totalité des dépenses d'investissement.

La Chaîne parlementaire, qui dispose d'un canal de diffusion que se partagent strictement deux sociétés distinctes de programmes, LCP-Assemblée nationale et Public Sénat, voit la dotation de l'État être reconduite : 16,6 millions d'euros pour LCP-Assemblée nationale et 17,6 millions euros pour Public Sénat.

Pour ce qui est du Conseil constitutionnel, une enveloppe spéciale de 500 000 euros a été sollicitée en cours d'exercice 2019, et un montant de 285 000 euros est prévu pour 2020 pour les opérations liées au référendum d'initiative partagée (RIP), principalement afin de financer les lourds moyens informatiques nécessaires au recueil des soutiens et aux frais exposés pour l'exercice des contrôles qui sont opérés en propre par le Conseil constitutionnel. Si l'on fait abstraction de cette enveloppe spéciale, à périmètre constant, le budget du Conseil constitutionnel est donc reconduit. Je soulignerai dans le rapport que les dispositions législatives en vigueur n'imposent pas un degré d'information plus important des électeurs sur la possibilité d'apporter leur soutien à cette initiative. Ainsi que l'a rappelé son président, Roch-Olivier Maistre, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne peut contraindre les médias audiovisuels à informer les citoyens de l'existence du processus et de la possibilité qu'ils ont de le soutenir. Je préciserai également que bon nombre d'inscrits sur les listes électorales, y compris certains de nos collègues, ont connu des difficultés d'accès à la plateforme afin d'exprimer leur soutien à la proposition : le dispositif est relativement complexe. On peut être désappointé par le contraste qu'il y a entre la publicité qui est faite auprès des Français pour leur faire savoir qu'ils peuvent devenir actionnaires de la Française des Jeux (FDJ) après la privatisation de celle-ci et le silence complet autour de ce mécanisme qui est pourtant directement issue d'une disposition constitutionnelle.

L'activité globale du Conseil constitutionnel a été légèrement moindre en 2019 : peu de contentieux électoraux ont été jugés, ce qui est logique au regard du calendrier électoral national, seules des élections partielles ayant eu lieu en 2018 et 2019.

En outre, pour la première fois depuis le lancement de la procédure en 2010, un tassement du nombre de questions prioritaires de constitutionnalité nouvelles a été observé à la fin de l'été 2019. Il est toutefois trop tôt pour indiquer s'il est conjoncturel ou augure d'une modification de tendance par rapport aux années précédentes. En 2020, à l'occasion des dix ans du mécanisme, le Conseil constitutionnel organisera une réflexion particulière.

Le rapport écrit fera également état de l'évolution de la pratique du Conseil constitutionnel en 2019, à propos des « contributions extérieures », autrefois les « portes étroites ». Ces contributions extérieures visent à appeler l'attention du Conseil constitutionnel sur une question de droit précise, à l'occasion du contrôle de constitutionnalité d'une loi avant sa promulgation, et peuvent être transmises par des citoyens ou des juristes, comme le regretté Guy Carcassonne, qui en était friand. Votre rapporteur s'interrogeait l'an dernier sur l'éventuelle publicité, à terme, du contenu de ces contributions extérieures. Le Conseil constitutionnel a décidé en 2019 de rendre public le contenu de ces contributions, une fois la décision rendue. Ce choix permet de donner un écho aux contributions extérieures, et de vérifier l'impartialité des décisions rendues par rapport au lobbying, sans avoir entraîné leur multiplication, sans doute du fait du choix judicieux de publier chaque décision avant de rendre publiques les contributions extérieures.

J'ajoute enfin que les activités, internationales d'une part, et visant à faire connaître l'action du Conseil d'autre part, ont été nombreuses. C'est le sens d'une première série de décisions QPC rendues directement après avoir tenu audience en région, en 2019, à Metz puis à Nantes. Ces audiences sont d'autant plus bénéfiques qu'elles ont été suivies quelques jours plus tard d'un échange direct entre les étudiants de la faculté de droit la plus proche et le président du Conseil constitutionnel, lequel a pu expliciter le contenu des décisions rendues quelques jours plus tôt.

Enfin, s'agissant de la Cour de justice de la République, je voudrais débuter mon propos en disant que je regrette que la révision constitutionnelle n'arrive pas, pour l'instant, à l'ordre du jour des assemblées. Je sais que vous partagez mon point de vue sur cette question, monsieur le président. S'il peut exister des désaccords sur certains points, comme la réduction du nombre de parlementaires, ou éventuellement la proportionnelle, il existe des sujets sur lesquels un accord pourrait être trouvé, comme le devenir de la Cour de justice de la République, mais nous n'avons pas l'occasion de traiter ces sujets.

Sur le plan budgétaire, les moyens de la CJR sont relativement constants. Il y a eu en 2019 un seul procès, celui de M. Urvoas, les précédents s'étant déroulés en 2016 s'agissant de Mme Lagarde et en 2010 pour M. Pasqua. Ces procès ne constituent que la partie émergée de l'iceberg puisque depuis la création de la CJR, 44 saisines de la commission d'instruction ont donné lieu à l'ouverture de 17 informations.

Au bénéfice de ces observations, nonobstant les fortes réserves que nous pouvons émettre sur la forte augmentation des dépenses de la présidence de la République, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits de la mission, ne serait-ce que parce que les autres pouvoirs publics n'ont pas à pâtir de cette situation.

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