Depuis l’annonce du grand emprunt, tous les efforts du Gouvernement se concentrent sur un seul objectif : préparer l’avenir. C’est ce que vous avez indiqué, monsieur le ministre, et nous vous croyons.
Mais, pour être honnête, je ne suis pas sûr que nous préparions l’avenir en contractant un nouvel emprunt ! Si cette idée est habile politiquement, est-elle bien raisonnable économiquement dans un État aussi surendetté et incapable de se désendetter que le nôtre ?
Je le rappelle, l’État peut emprunter des montants très élevés sur les marchés financiers à un coût très faible – d’ailleurs, il le fait –, alors que l’emprunt auprès du public est beaucoup plus coûteux. M. le président de la commission des finances indiquait tout à l’heure que le taux du grand emprunt devrait finalement être inférieur aux conditions du marché. Cela risque de ne pas le rendre forcément très attractif auprès des éventuels souscripteurs…
Compte tenu de ses coûts de réalisation et des avantages fiscaux qui y sont associés, cet emprunt, dont l’objet est plus politique que financier, coûtera cher aux contribuables et aux finances publiques. Il aura également des conséquences sur l’endettement, puisqu’il consiste à reporter une partie du financement sur les générations futures.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, je crains que, avec une telle opération, nous ne passions du « travailler plus pour gagner plus » à la deuxième phase du quinquennat, c'est-à-dire « emprunter plus pour dépenser plus » !
En effet, concernant l’utilisation de l’emprunt, malgré les engagements répétés du Gouvernement et votre rigueur, que je salue, monsieur le ministre, je m’interroge sur l’affectation – on parle de 80 à 100 milliards d’euros ! – des sommes empruntées aux « dépenses d’avenir » prioritaires.
Il est particulièrement délicat de définir ce que sont exactement les dépenses d’avenir, ce « bon déficit », selon la distinction désormais établie entre bon et mauvais déficit ! Or, pour moi, qu’il soit bon ou mauvais, le déficit s’aggrave et la dette augmente ! On sent d’ailleurs bien qu’il existe un certain flottement à la tête de l’État. Aujourd’hui, chacun – le chef de l’État, le Premier ministre, le conseiller du président inspirateur du grand emprunt, la ministre de l’économie, vous-même, monsieur le ministre, ... – essaye d’en donner une définition et d’en établir une liste à la fois exhaustive et limitative.
N’est-il pas surprenant, à ce propos, de décider d’emprunter avant de savoir pourquoi ? Surtout, les finances publiques sont indivisibles et l’emprunt, comme les autres ressources de l’État, contribuera en réalité à financer l’ensemble des dépenses publiques, sauf à prévoir un mécanisme spécifique du type d’une commission de suivi des investissements dits d’avenir.
J’ai une autre interrogation, monsieur le ministre. On ne peut qu’approuver la volonté d’investir dans l’innovation, la recherche et développement qui prépare l’économie de demain, surtout quand on sait que l’État, du fait de son appauvrissement, investit très peu : 20 milliards d’euros. Mais je ne suis pas sûr que les sommes empruntées iront spécifiquement à ces investissements dans l’avenir. J’en veux pour preuve le récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, sur la part de l’innovation dans les plans de relance face à la crise. Il montre que le plan de relance français ne consacrait que 46 millions d’euros à la recherche et développement, et 4, 7 milliards d’euros aux ponts et aux routes. La France fait figure de mauvais élève là où la Finlande ou la Corée du Sud sont en haut du classement. Ne risque-t-on pas de reproduire ce schéma ?
Je serai donc particulièrement attentif, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, au début de 2010, aux conditions de l’emprunt, et notamment à son coût pour les finances publiques.
C’est pourquoi plusieurs de nos collègues, et non des moindres puisqu’il s’agit notamment des deux rapporteurs généraux, doutant de l’opportunité de ce grand emprunt, proposent un emprunt obligatoire. Celui-ci ne me semble pas raisonnable et doit faire au moins l’objet d’un examen attentif. Peut-être est-ce de leur part une façon habile de contourner le bouclier fiscal ? Dans ce cas, l’objectif serait intéressant.
On ne peut donc, à mon sens, accepter l’idée de grand emprunt que dans une seule perspective : le financement des réformes structurelles que vous avez appelées de vos vœux, monsieur le ministre, et qui seront nécessaires pour enrayer le dérapage chronique des finances publiques. Les réformes structurelles apportent des gains à long terme, même si le coût budgétaire est initialement élevé. Un tel emprunt permettrait d’annoncer les priorités claires, d’en estimer les coûts et les bénéfices attendus, et d’ancrer ainsi les réformes. Vous nous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, qu’il en irait ainsi. Nous ne pourrons accepter cet emprunt que si les réformes et les investissements sont identifiés, chiffrés, et les bénéfices escomptés, c’est-à-dire s’ils sont créateurs de richesses.
Dans ce contexte, quelles politiques budgétaires devons-nous engager ? Un tel niveau de déficit public n’est pas rattrapable par le seul effet de la reprise de la croissance économique en 2011 : même avec un rythme annuel de 2 % à 2, 5 % par an, le déficit public en 2012 serait encore de 5, 5 % du PIB, soit un niveau toujours très élevé au regard des engagements européens et de la capacité de financement du pays. Cela veut dire que nous devons engager le redressement durable de nos finances publiques et le retour à la viabilité budgétaire, comme le demande le Fonds monétaire international, le FMI. Cela nécessite des efforts d’une tout autre ampleur, notamment en matière de réforme de l’État, que ceux qui sont réalisés jusqu’à présent. Nous devons tous en avoir conscience.
Il s’agit, tout d’abord, de maîtriser et de réduire nos dépenses publiques. Je crois cette politique indispensable. Il faut la poursuivre de façon beaucoup plus profonde et tenir en 2010 les dépenses courantes, dont certaines – les dépenses sociales et celles de la mission « Emploi » – augmenteront du fait de la crise. Cependant, elle n’est pas suffisante : d’abord, parce que force est de constater que la Révision générale des politiques publiques ne permettra d’économiser que 7 milliards d’euros, alors que l’objectif était de 20 milliards d’économies ; ensuite, parce que, même en serrant à fond la vis des économies budgétaires, jamais l’État ne pourra réduire en deux ans ses dépenses en volume de 60 milliards d’euros, alors que les charges financières de la dette vont grossir chaque année d’ici là de 4 à 5 milliards d’euros sous l’effet de la remontée inévitable des taux.
Il me semble enfin inutile de maîtriser les dépenses publiques si, dans le même temps, on multiplie les dispositifs d’exonérations fiscales. Si nos comptes publics se dégradent, c’est aussi parce que les ressources de l’État diminuent.