Intervention de Bernard Cazeau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 novembre 2019 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « action extérieure de l'état » - programme 105 « action de la france en europe et dans le monde » - examen du rapport pour avis

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau, corapporteur pour avis du programme 105 :

Cette année, deux sujets ont particulièrement retenu mon attention dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2020 : l'évolution des dépenses de personnel et le financement des dépenses de sécurisation des implantations du ministère à l'étranger.

Tout d'abord, je souhaite vous rappeler en quelques chiffres l'importance des dépenses de personnel. En 2020, le programme 105 porte plus de la moitié des emplois du Quai d'Orsay, mais aussi l'intégralité du réseau diplomatique français qui est le troisième dans le monde. Il représente 36 % des crédits de la mission, mais 66 % des équivalents temps plein travaillé (ETPT) et 68 % des dépenses de personnel de la mission.

Sur la masse des crédits de paiement, les dépenses de personnel sont en nette augmentation : elles s'élèvent à 671 millions d'euros, en progression de 1,5 % par rapport à 2019. Cette évolution des dépenses de personnel doit être suivie avec une grande attention par notre commission, car elle est préoccupante et peut donner lieu à des raccourcis désastreux.

L'augmentation des dépenses de personnel ne se traduit pas, bien au contraire, par une hausse des effectifs employés dans le cadre du programme 105. Ainsi, malgré le transfert des emplois des autres ministères à l'étranger, soit 387 ETPT en 2019 et 15 ETPT en 2020, le plafond d'emplois de la mission « Action extérieure de l'État » diminue plus vite que ne le prévoit le schéma de réduction des emplois, ce qui confirme la tendance observée depuis une décennie. De 2008 à 2018, le plafond d'emplois de la mission est ainsi passé de 13 209 à 11 905 ETPT, soit une diminution de 1 304 emplois et de 9,9 % des effectifs.

Les dépenses de personnel sont passées de 499 millions d'euros en 2008 à 671 millions d'euros en 2019, soit une progression de 172 millions d'euros et une hausse de 34,5 % des crédits.

Le principal facteur d'évolution des dépenses de personnel réside dans ce que l'on appelle le mécanisme « change-prix ». Pour mémoire, les agents du ministère en poste à l'étranger sont rémunérés en euros, mais ils convertissent leurs salaires et leurs indemnités de résidence en devises locales dans leur pays d'affectation. L'évolution de leur pouvoir d'achat dépend donc de l'évolution de deux facteurs : la parité des monnaies locales par rapport à l'euro et le différentiel d'inflation entre la France et le reste du monde, sachant que le cours de l'euro a faibli depuis 2008, et que l'inflation est plus forte dans le reste du monde.

Le budget du programme 105 ne prenait pas entièrement en compte ces mécanismes « change-prix », alors que nous le recommandions depuis plusieurs années. Cela donne lieu, en gestion, à des mesures que la Cour des comptes avait jugées peu compatibles avec l'orthodoxie budgétaire. Ainsi, l'exécution du programme 105 se caractérise année après année par un phénomène de surconsommation des crédits. On observe un dépassement en exécution de 16 millions d'euros pour 2018. Aussi, le ministère a de nouveau eu recours à une dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI), mobilisant les ressources du programme 552 de la mission « Provisions ». Bercy et la Cour des comptes ont des divergences sur la possibilité de recourir ou non à cette technique budgétaire. Ce qui nous importe concerne toutefois moins la technique d'exécution que l'insincérité du budget qui nous était présenté.

Cette année, un effort est fait et une provision de 15 millions d'euros est prévue. Elle correspond à une provision des effets de l'inflation mondiale sur la rémunération des agents de droit local (ADL), établie pays par pays sur la base des anticipations d'inflation du Fonds monétaire international pour 3,4 millions d'euros, d'une part, et à une provision de 11 millions d'euros au titre des effets « change-prix » sur les indemnités de résidence à l'étranger (IRE), d'autre part. Là encore conformément à une demande de notre commission, le Premier ministre a validé la couverture du risque lié à une perte au change sur la rémunération des ADL et les IRE par la mobilisation des crédits de la réserve de précaution.

La Cour des comptes considère que ces effets « change-prix » posent un problème de soutenabilité du programme 105. Force est de constater que le budget que nous examinons subit des variations en fonction des résultats économiques de notre pays. Nous devons donc rester vigilants et veiller à ce que cette provision compensant les effets « change-prix » soit désormais annuelle, donc pérenne.

J'en viens enfin à la sécurité des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles.

En 2019, les crédits budgétaires dédiés au financement de la sécurisation des implantations du ministère à l'étranger ont diminué très nettement, passant de 75 à 44 millions d'euros. Cette baisse a été compensée par une avance de 100 millions d'euros sur deux ans, qui a été financée par le compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État ». Nous sommes donc passés d'une gestion du plan de sécurisation par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères à une gestion par le ministère de l'action et des comptes publics.

Ce mode de financement interroge sur le niveau des dépenses annoncé. Il était prévu de consacrer 100 millions d'euros au cours des deux prochaines années aux dépenses de sécurisation alors que, en 2017 et en 2018, une sous-exécution d'environ 10 millions d'euros des crédits budgétaires a été observée. J'avais souligné l'an dernier qu'il était souhaitable qu'un programme d'investissement soit rapidement défini, afin que les crédits prévus soient utilisés de façon judicieuse. Je rappelais également que la charte de gestion du compte d'affectation spéciale (CAS) devait être modifiée pour étendre les dépenses éligibles, notamment aux systèmes de vidéosurveillance, outil essentiel de la mise en sécurité des emprises à l'étranger.

Les informations dont nous disposons sur l'exécution des crédits de sécurisation en 2019 légitiment ma mise en garde, puisque 40 millions d'euros de crédits du CAS ont été dépensés et que 22 millions d'euros de dépenses nouvelles sont programmés en 2020. Le mécanisme d'avance mis en place ne paraît donc pas fonctionner de façon optimale. La barre des 100 millions d'euros ne devrait donc pas être atteinte en deux ans, à moins d'une nette accélération l'année prochaine. J'attire encore votre attention sur le fait que 42,4 millions d'euros sont inscrits au titre de la sécurisation de nos implantations dans le programme 105, ce qui se traduit par l'objectif très ambitieux de dépenser au moins 70 millions d'euros en ajoutant les crédits du CAS en 2020.

Enfin, nous devrons être attentifs aux modalités de remboursement de l'avance. Celui-ci sera financé par la vente des biens immobiliers du ministère situés à l'étranger et doit s'échelonner de 2021 à 2025. Or le produit de ces cessions devient incertain : seuls 4 millions d'euros de cessions ont été enregistrés en 2019, comme l'a rappelé Ladislas Poniatowski. D'une certaine façon, il ne reste plus que les « rossignols » à vendre ! (Sourires).

Le mécanisme d'avance mis en place ne doit en aucun cas donner au ministère de l'action et des comptes publics la tentation de s'immiscer dans la programmation des cessions du Quai d'Orsay. Celui-ci ne doit pas se trouver contraint de céder certaines emprises à l'étranger pour rembourser l'avance du CAS. En effet, la politique d'implantation à l'étranger de l'État ne doit en aucun cas dépendre de considérations immobilières ou financières.

Revenons sur la vente de Kuala Lumpur, le produit de la cession était supérieur à 230 millions d'euros et a servi, à hauteur de 100 millions d'euros, à rembourser la dette de l'État. Notre commission ne devrait-elle pas soutenir l'idée selon laquelle les « surcontributions » au désendettement de l'État lors de la vente de Kuala Lumpur notamment ont constitué un remboursement anticipé de l'avance ? Cela pourrait nous éviter de procéder à des ventes forcées. Les enjeux d'influence et de rayonnement ne doivent pas être relégués au second plan et doivent au contraire rester l'élément central des décisions prises dans ce domaine.

Mes chers collègues, je vous proposerai d'adopter les crédits du programme 105.

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