Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2019 à 14h35
Projet de loi de finances rectificative pour 2019 — Examen du rapport

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner le projet de loi de finances rectificative (PLFR) de fin d'année, qui remplace par la même occasion le traditionnel décret d'avance de fin de gestion, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir.

Tout cela explique le calendrier particulièrement resserré dans lequel nous devons examiner ce texte, le lendemain même de son passage en séance à l'Assemblée nationale. En somme, nous n'avons pas davantage de temps pour examiner ce projet de loi qu'un décret d'avance !

Je n'ai pas reçu les réponses aux dix « petites » questions que j'avais posées vendredi dernier à la suite de la présentation du PLFR en conseil des ministres. Et depuis, je m'interroge sur un certain nombre d'annulation de crédits et je compte poser de nouvelles questions sur ce point. Je vous l'indique, car cela justifiera la position que je vous proposerai de prendre à la fin de mon intervention.

En tout cas, le PLFR se concentre sur les mesures ayant un impact sur l'année fiscale en cours, comme nous l'avions demandé.

Le scénario de croissance est inchangé par rapport au projet de loi de finances pour 2020. L'hypothèse de croissance reste fixée à 1,4 %. Comme je l'avais signalé la semaine dernière, cela semble un peu optimiste au regard du rythme de croissance de l'économie française au cours des derniers mois. En effet, la croissance de trimestre à trimestre varie autour de 0,3 % depuis le début de l'année. Or un tel rythme aboutirait à une croissance annuelle de 1,3 % à l'issue de l'exercice, soit un niveau inférieur de 0,1 point à la prévision du Gouvernement.

L'hypothèse gouvernementale supposerait, pour être atteinte, un rythme de croissance supérieur à 0,5 % au dernier trimestre, ce qui n'a pas été observé depuis 2017 et paraît difficilement compatible avec le contexte international.

Les enjeux restent néanmoins modestes pour les finances publiques, dans la mesure où une croissance inférieure de 0,1 point à la prévision se traduit en moyenne par une augmentation du déficit public de seulement 0,06 point de PIB. C'est l'épaisseur du trait...

Venons-en maintenant aux grands objectifs budgétaires, eux aussi inchangés.

Le Gouvernement confirme les prévisions de solde nominal et de solde structurel pour 2019 qui figuraient dans le projet de loi de finances pour 2020. Le solde structurel s'améliorerait de 0,1 point de PIB, tandis que le solde effectif se dégraderait de 0,6 point de PIB, sous l'effet du surcoût temporaire lié à la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

La décomposition de l'ajustement structurel fait toutefois apparaître une légère évolution par rapport aux estimations données dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020. L'ajustement structurel serait porté non plus par un effort structurel de redressement des comptes publics, mais par la composante non discrétionnaire du solde structurel. Autrement dit, des recettes plus fortes qu'escompté devraient venir compenser un léger dérapage des dépenses.

Le constat d'une absence de redressement de la situation structurelle des comptes publics et de réforme de l'État confirme nos craintes.

Le déficit budgétaire serait de 97,6 milliards d'euros, ce qui fait de 2019 la pire année depuis les plans massifs de relance qui ont suivi la crise financière de 2008. L'État ne parvient pas à résorber son déficit, contrairement à d'autres États européens qui réussissent à se désendetter.

Certes, le déficit est moins élevé que celui prévu en loi de finances initiale, avec 107,7 milliards d'euros. Mais je vous ai montré la semaine dernière comment l'exécution 2019 avait bénéficié de recettes plus élevées et d'une charge de la dette plus modérée que prévu. Ce qui est nouveau, c'est que le déficit qui était estimé à 96,3 milliards d'euros en septembre est désormais de 97,6 milliards d'euros.

Les recettes sont donc toujours plus élevées, mais les dépenses augmentent.

Du côté des recettes, comme l'an dernier, l'État bénéficie d'un complément de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) s'élevant à 530 millions d'euros. Il profite ainsi du fait que la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a calculé que les besoins du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » étaient moins élevés que prévu, le surplus étant dès lors reversé au budget général.

La fiscalité du patrimoine a également produit plus de recettes que ne le prévoyaient les estimations de septembre dernier.

S'agissant des dépenses, on constate un montant élevé d'ouvertures et d'annulations de crédits, de plus de 7 milliards d'euros sur les remboursements et dégrèvements.

Les politiques publiques les plus touchées en montant absolu sont celles de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dont les dépenses consacrées à la prime d'activité connaissent l'augmentation non seulement du champ des bénéficiaires potentiels, mais aussi du taux de recours effectif de ceux qui y ont droit.

Sur la mission « Cohésion des territoires », l'ouverture était en grande partie prévisible parce que la mise en place du versement « contemporain » des aides au logement a été repoussée à janvier 2020.

S'agissant des annulations de crédit, hors remboursements et dégrèvements et charge de la dette, le montant total des annulations, hors masse salariale, est de 1,7 milliard d'euros sur des crédits mis en réserve et de 0,7 milliard d'euros sur des crédits non mis en réserve. Nous aimerions obtenir des explications plus précises sur ce point.

Il s'agit, par exemple, de projets immobiliers qui seraient devenus sans objet sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » - Philippe Adnot pourra peut-être nous apporter des précisions - et de décalage de marchés publics sur la mission « Défense ». Les annulations sur la mission « Action et transformation publiques » témoignent du retard pris par ce programme qui doit accompagner le processus « Action publique 2022 », que je croyais enterré ! S'agissant enfin de la mission « Aide publique au développement », le Gouvernement explique que l'environnement de taux bas diminue les charges de bonification de prêts de l'Agence française de développement : cette annulation semble justifiée.

Nous n'avons pas nécessairement d'informations précises sur toutes les mesures d'annulation. Nous évoquerons le programme « Patrimoines » de la mission « Culture », qui peut nous alerter, par exemple, à l'heure où les communes ont besoin de financement pour restaurer leur patrimoine.

Il faut également souligner que le programme d'investissements d'avenir (PIA) procède à d'importants redéploiements de fonds, à hauteur de plus de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagements et 640 millions d'euros en crédits de paiement, afin de financer des annonces sur le projet européen de batteries électriques ou le plan Nano 2022. C'est un exemple contestable de débudgétisation, car je rappelle que l'autorisation parlementaire n'a réellement porté que sur les autorisations d'engagement accordées lors du lancement du projet dans le cadre de la loi de finances pour 2017.

Enfin, les emplois de l'État, exprimés en équivalents temps plein travaillés (ETPT), restent assez proches de ce qui était présenté en loi de finances initiale. On observe toutefois quelques mouvements de titularisation de personnels des opérateurs de la mission « Culture ». Certains personnels ont également été transférés au ministère de l'agriculture pour assurer des contrôles liés à la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, ainsi que pour l'instruction de différentes aides, je préférerais pour ce dernier point que les régions s'en occupent.

Du côté des opérateurs, le nombre toujours croissant de demandeurs d'asile a nécessité de renforcer les moyens de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Le déficit budgétaire est moins élevé qu'on ne le craignait en loi de finances initiale, malgré les mesures prises à la suite du mouvement des « gilets jaunes », mais la cible à atteindre était bien moins ambitieuse que ce qui avait été prévu en début de quinquennat. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Le Gouvernement pourra se targuer d'une bonne exécution...

Globalement, le PLFR n'apparaît, à ce stade, pas trop contestable du point de vue de la sincérité budgétaire, au-delà des positions que nous avons déjà défendues lors de l'examen de la loi de finances initiale. Les mouvements opérés sont relativement importants et peut-être légitimes, mais il faudrait que le Gouvernement nous apporte des explications sur les annulations de crédits d'ici à la séance de lundi.

En conséquence et dans l'attente, je vous propose, mes chers collègues, de proposer au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de finances rectificative pour 2019. J'espère que le Gouvernement répondra à nos questions. Cela ne préjuge pas de ma position finale lundi prochain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion