Intervention de Vincent Eblé

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2019 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « culture » - examen du rapport spécial

Photo de Vincent EbléVincent Eblé, rapporteur spécial :

86 d'entre elles ainsi que 2 basiliques et 1 église appartiennent en tous cas à l'État ! La prise en compte d'un risque pesant sur l'État se retrouve de fait financée par des crédits destinés à d'autres monuments qui ne lui appartiennent pas. Une telle option traduit un manque d'ambition. C'est pourquoi je vous soumettrai un amendement majorant les crédits dédiés à la protection du patrimoine dans les territoires.

Ce manque d'ambition s'inscrit dans la continuité de la position adoptée par le Gouvernement concernant la cathédrale de Notre-Dame de Paris : ce chantier ne donnera lieu à aucun geste budgétaire spécifique de l'État mais j'y reviendrai. Si la reconstruction de l'édifice est intégralement financée par le don privé, la sécurisation des cathédrales passera, quant à elle, par les collectivités territoriales et les propriétaires privés.

S'agissant de la cathédrale Notre-Dame de Paris, je m'interroge sur l'éventuelle réaffectation des fonds avancés pour les travaux de sécurisation, de déblaiement des gravois et d'enlèvement des échafaudages : 40 millions d'euros auraient déjà été avancés avant le versement à l'État des premiers dons. Le projet annuel de performances pour 2020 n'indique pas la ligne de crédits sur laquelle cette somme a été prélevée ni les modalités de réaffectation vers d'autres projets.

Je rappelle que 922 millions d'euros de promesses de dons ont été enregistrés par les différentes fondations collectrices, 67 millions d'euros ayant déjà été versés à l'État. Le ministère de la culture nous a indiqué que l'établissement public administratif chargé de la restauration et de la conservation de la cathédrale Notre-Dame de Paris, institué par la loi du 29 juillet 2019, devrait entrer en fonction dans les prochaines semaines. La totalité de son budget serait couverte par les dons.

Le ministre de la culture s'était engagé au Sénat sur une participation de l'État. Il avait, en effet, indiqué que « l'État [devait] prendre sa part de financement dans la restauration de Notre-Dame de Paris » et qu'« il y [aurait] quoi qu'il en soit des subventions budgétaires du ministère de la culture à l'établissement public ». Quelques mois plus tard, il ne reste rien de cette volonté dans l'actuel projet de loi de finances.

Une telle évolution rend indispensable la recherche de financements alternatifs, qu'il s'agisse du Loto du patrimoine, dont les recettes doivent être exonérées des prélèvements obligatoires, ou de dispositifs fiscaux dédiés.

La faiblesse des crédits budgétaires dédiés à la restauration des centres-villes rend ainsi indispensable une rénovation du dispositif fiscal Malraux, qui présente l'avantage d'associer objectifs de soutien au logement, de valorisation du patrimoine et de revitalisation des centres urbains et produit environ 130 millions d'euros de dépenses de travaux chaque année. Cette somme est à comparer aux 338 millions d'euros prévus dans le projet de loi de finances pour l'entretien et la restauration des monuments historiques. Nous appuyons donc les conclusions allant en ce sens de l'inspection générale des affaires culturelles et de l'inspection générale des finances, et nous invitons à proroger le mécanisme et à simplifier ses conditions d'utilisation.

La révision de ce dispositif est soutenue par le ministère de la culture. Elle pourrait constituer une première étape en vue d'une meilleure combinaison avec le plan « Action coeur de ville ».

Je suis par ailleurs inquiet du mauvais signal envoyé par la réforme du mécénat d'entreprise prévue dans le présent projet de loi de finances. Cette réforme a suscité une inquiétude légitime dans le milieu associatif, mais aussi au sein des organismes culturels, dont une partie de l'activité dépend du mécénat.

Soyons clairs, le mécénat n'est pas une véritable niche fiscale. Comme l'avaient relevé les participants au colloque que nous avions organisé en septembre dernier au Sénat, le don vient parfois compléter, voire se substituer à l'action de l'État, dans un contexte de réduction de ses marges de manoeuvre budgétaires. Le cas est particulièrement patent pour les opérateurs publics. L'État conditionne la reconduction des subventions à des résultats sur divers critères, d'ordre artistique, qualitatif, social ou sociétal, sur lesquels le soutien du mécénat est essentiel.

Les travaux d'ampleur menés pour le Grand Palais, la Cité du théâtre ou l'aménagement de l'Opéra Bastille s'appuient d'ailleurs sur mécénat, à la demande de l'État. Il existe donc une forme de schizophrénie de la part du Gouvernement à inciter les opérateurs publics à recourir au mécénat tout en limitant le plein développement de celui-ci par un rabot des dispositifs fiscaux existants.

Le seuil annoncé de 2 millions d'euros au-delà duquel le taux de réduction passerait de 60 à 40 % peut apparaître tout à la fois contournable et fragilisant. Dans tous les cas, le signal négatif envoyé par une telle réforme est bien tangible. Elle laisse en effet entendre que toute opération supérieure à 2 millions d'euros est assimilable à une forme d'optimisation fiscale. Elle pourrait donc brider les intentions des mécènes face au risque en matière d'image.

Nous savons que le Gouvernement a lancé une réflexion générale sur la philanthropie, qu'il a confiée à deux collègues députées. Il aurait sans doute fallu attendre leurs conclusions sur les contreparties ou le régime juridique des fondations avant de procéder à ce coup de rabot fiscal.

Sous réserve de ces observations, des suites qui leur seront données, et de l'amendement que je soumets à votre vote, je vous propose d'adopter les crédits de la mission « Culture ».

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