Intervention de Roger Karoutchi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 14 novembre 2019 à 14h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « médias livres et industrie culturelle » et compte de concours financiers ccf « avances à l'audiovisuel public » et communication sur le contrôle budgétaire sur le financement de l'audiovisuel extérieur - examen du rapport spécial

Photo de Roger KaroutchiRoger Karoutchi, rapporteur spécial (Mission « Médias, livres et industrie culturelle » et compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ») :

Mon rapport, comme l'an dernier, couvre deux sujets, fort différents.

S'agissant de la mission « Médias, livres et industries culturelles », le montant global des crédits s'élève à 580 millions d'euros en AE et à 590 millions en CP. Il y a deux ou trois ans, j'avais indiqué que l'Agence France Presse (AFP) ne s'en sortait pas financièrement, parce qu'elle devait faire face à des procédures judiciaires de requalification des emplois de ses correspondants à l'étranger. Elle a fait de gros efforts pour sa numérisation, aussi. Sa dotation, cette année, est majorée de 6 millions d'euros pour atteindre environ 140 millions d'euros. Son président dit que c'est suffisant, car il compte sur les ressources des ventes et abonnements. Pour le moment, toutefois, l'AFP n'est pas totalement concurrentielle face aux grandes agences anglo-saxonnes.

S'agissant de la presse écrite, l'aide au portage diminue. C'est normal : les volumes expédiés sont de moins en moins importants. Les aides à la presse se concentrent sur la numérisation et la modernisation, notamment à travers le Fonds stratégique pour le développement de la presse et le Fonds de soutien à l'émergence et à l'innovation dans la presse. Quels critères devraient être retenus pour les aides à la diversité de la presse ? Ceux qu'on utilise datent de plusieurs décennies... Il faudra les repenser.

L'aide au livre est plus large que cette mission, qui se concentre sur les bibliothèques, et notamment - 210 millions d'euros sur 283 - la Bibliothèque nationale de France, dont les travaux semblent avoir été repris en main et devoir s'achever - enfin ! - dans deux ans.

Nous avons voté la création d'un centre national de la musique (CNM). Le financement complémentaire apporté par l'État dans le cadre du présent projet de loi de finances est de 7,5 millions d'euros, alors qu'il s'était engagé sur 20 millions d'euros. Le Gouvernement a promis une montée en charge progressive... Compte tenu de la faiblesse des ressources du CNM et des moyens dont il dispose pour soutenir le secteur, il paraît indispensable, à moyen terme, de conserver le crédit d'impôt pour les dépenses de production phonographique (CIPP) et le crédit d'impôt pour dépenses de production de spectacles vivants (CISV). L'Assemblée nationale a précisé dans un article additionnel les conditions d'affectation de la taxe sur les spectacles de variétés versée au CNM. Aux termes de cet amendement, la taxe devrait ainsi être, jusqu'au 31 décembre 2022, spécifiquement dédiée au financement des actions aux spectacles de chansons, de variétés et de jazz. Au 1er janvier 2023, le principe de solidarité collective de la filière tendra à s'imposer. Je vous propose de ne pas revenir sur cet article.

Abordons maintenant le cinéma. Je ne pleure pas sur les crédits du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui se porte bien. L'harmonisation des taux de la taxe sur les services de télévision - éditeurs (TST-E) et de la taxe sur la diffusion en vidéo physique (TSV), qui vise notamment Youtube et Netflix - fait oeuvre utile en prenant en compte les nouveaux modes de diffusion d'oeuvres cinématographiques ou audiovisuelles, tout en garantissant des revenus constants pour le CNC. Celui-ci est demandeur d'une réforme de la fiscalité qui lui est affectée. Mais il n'est pas en crise, et aide beaucoup à la production cinématographique, grâce à des ressources conséquentes.

Venons-en aux concours financiers à l'audiovisuel public. Je vais tenter de rester plus modéré que l'année dernière ! La redevance, la contribution à l'audiovisuel public (CAP), devrait atteindre 3,79 milliards d'euros en 2020. Le Gouvernement a annoncé la baisse d'un euro de cette redevance. Je ne parviens toujours pas à comprendre le système. On attend un grand texte sur la réforme de l'audiovisuel public. Les premières annonces laissent un peu sceptique pour le moment, puisque le périmètre ne serait presque pas changé et que l'on ne revient pas sur les missions de service public de l'audiovisuel : on va en fait mettre en place une holding qui conservera les chaînes et leurs directeurs, mais qui sera une structure avec plusieurs directions. Je ne comprends pas en quoi cette structure permettrait de faire des économies. Je redoute qu'il s'agisse d'une structure chapeau supplémentaire aux directions qui ne fasse qu'ajouter des dépenses de fonctionnement. Je ne suis pas convaincu par la réforme, car je n'y vois pas de vision stratégique. Le souhait du ministre est de baisser progressivement les crédits, puis de voir ensuite, avec cette holding, comment réaliser des économies. Je pense qu'il eût été préférable de redéfinir l'ensemble préalablement.

Globalement, c'est France Télévisions qui, avec 60 millions d'euros de moins de dotation, doit faire l'effort maximum. Je défendrai un amendement pour réorienter une partie de sa subvention sur l'audiovisuel extérieur. Les économies demandées peuvent apparaître conséquentes. C'est toutefois un effort maximum à partir de peu d'efforts ! Simultanément, on demande à Radio France de faire un effort qui me semble plus important puisqu'elle a déjà restructuré et rationalisé ses programmes et réduit le service. Je rappelle que dans le PLF 2019, on parlait d'un financement ad hoc pour le chantier de Radio France, qui n'est toujours pas terminé. Le ministre m'a répondu il y a quelques jours que je verrais bien quand ce financement ad hoc arriverait... En attendant, Radio France doit poursuivre le chantier sur ses propres crédits.

J'ai axé cette année ma mission de contrôle sur l'audiovisuel extérieur. Le Gouvernement avait confié à Olivier Courson une mission sur l'audiovisuel extérieur pour établir une cartographie des activités, voir les pistes d'économie et le développement. On peut distinguer deux maillons, avec France Médias Monde (FMM), d'un côté, et TV5 Monde, de l'autre. Le caractère multilatéral de la gouvernance de TV5 Monde rend délicate toute appréciation. FMM, créée en 2008, rassemble une chaîne de télévision et deux radios : France 24, qui émet en quatre langues - le français, l'anglais, l'arabe et l'espagnol -, Radio France International (RFI), qui émet en français et en treize autres langues, et Monte Carlo Doualiya (MCD), une radio généraliste qui émet en langue arabe. L'agence Canal France International (CFI), est, par ailleurs, devenue, depuis le 27 juin 2017, une filiale de FMM. CFI reste financée dans le cadre de l'aide publique au développement afin de favoriser le développement des médias en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud-Est.

En revanche, je suis inquiet concernant le financement de France Médias Monde. Elle connaît pourtant un accroissement de spectateurs ou d'auditeurs considérable. France 24 a vu par exemple le nombre de ses contacts hebdomadaires progresser de 55 millions en 2016, à 79,8 millions en 2018. Par ailleurs, 46,3 millions de personnes - soit une progression de 8,4 % par rapport à 2017 - accèdent chaque semaine aux chaînes de FMM via Internet.

Les dépenses annuelles de la holding FMM représentent 268 millions d'euros. Le Gouvernement a diminué progressivement les crédits ces dernières années. FMM a réalisé beaucoup d'efforts en termes de réduction des coûts, en fermant certaines stations - notamment en Afrique orientale -, en réduisant ses programmes. L'année prochaine, la dotation s'établirait à 255,2 millions d'euros, en diminution de 1 million d'euros par rapport à l'exercice précédent.

Lorsque nous protestons contre cette baisse des crédits, le Gouvernement nous répond : « en proportion, FMM baisse moins ses crédits que France Télévisions ». La comparaison n'est pas valable : FMM ne peut y arriver. Je vous rappelle que FMM est en concurrence avec l'audiovisuel extérieur des États-Unis, de la Russie, de la Chine, de l'Allemagne et de la Grande-Bretagne. La Chine consacre 1,3 milliard d'euros à son audiovisuel extérieur, les États-Unis 720 millions d'euros, le Royaume-Uni, 380 millions et l'Allemagne 400 millions. En France, nous sommes à 255 millions. Les Européens, les États-Unis, la Russie et la Chine mettent nettement plus de crédits sur leur audiovisuel extérieur que la France. Nous sommes très en retard et nous demandons à FMM de se débrouiller pour trouver des recettes supplémentaires, dans la publicité, les budgets locaux, etc.

L'année dernière, nous avions fait voter, au Sénat, un amendement - certes peu révolutionnaire - tendant à lui octroyer des crédits supplémentaires à hauteur de deux millions d'euros, mais le Gouvernement l'a fait supprimer à l'Assemblée nationale.

Nous ne comprenons pas : le chef de l'État dit qu'il souhaite rehausser notre ambition en matière de promotion de la langue, des contenus français, en s'appuyant sur notre puissance de feu médiatique, citant même « l'institution puissante que représente FMM » et, en parallèle, on baisse les crédits d'une structure qui a fait beaucoup d'efforts. Ce n'est pas avec 1,2 million d'euros de l'AFD pour RFI que cela peut fonctionner. Par exemple, les Britanniques versent des crédits assez conséquents de l'aide au développement à leur système audiovisuel extérieur. Pourquoi refuser de le faire en France ?

Il faut faire en sorte que dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel, il y ait une sanctuarisation des crédits de l'audiovisuel extérieur. L'idéal, si le Gouvernement l'acceptait, serait de proposer un pourcentage constant de la CAP, qui serait consacré à l'audiovisuel public extérieur. Je vous proposerai en attendant un amendement pour France Médias Monde, visant à majorer les crédits de 9,9 millions d'euros, au détriment de France Télévisions. Les crédits de FMM sont en effet inférieurs de 9,9 millions à ce que prévoyait le contrat d'objectifs et de moyens.

La course à l'audimat n'est pas conforme à la mission de service public confiée à France Télévisions. On voit France Télévisions acheter des films américains à des prix extravagants pour battre TF1 certains soirs. Je peux comprendre que cela fasse plaisir à France 2, mais s'agit-il là d'une mission de service public ? Sur ce sujet, le ministre ne souhaite pas bouger, car il ne voit pas comment s'en sortir. Mais si l'on dit que France Télévisons a une mission de service public, que l'on revoit et définit le périmètre, faudrait-il soumettre France Télévisions à l'audimat ? Le service public ne doit pas proposer exclusivement des programmes ennuyeux, que personne ne regarde. On ne doit pas pour autant le mettre constamment en concurrence avec TF1, ce qui conduit à n'avoir comme unique repère que la bataille de l'audimat. Là, ce n'est plus du service public.

France Télévisions demande à avoir des pages publicitaires supplémentaires jusqu'à 21 h 15 ; j'y suis défavorable. Sur France Télévisions, il n'y a plus de publicités après 20 h 30, mais il y a de la promotion avec des émissions parrainées jusqu'à 21 h 10. Il faut donc redéfinir le périmètre.

Pour en revenir à cet amendement de crédits, s'il est adopté, j'émettrai un vote positif sur les crédits du compte de concours financiers à l'audiovisuel public. Je rappelle que je suis favorable à l'article rattaché 76 quaterdecies sur les conditions d'affectation de la taxe sur les spectacles de variétés au Centre national de la musique et invite à voter les crédits de la mission « Médias, livres et industrie culturelle ».

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