Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 13 novembre 2019 à 16h50
Projet de loi de finances pour 2020 — Audition de M. Jean-Michel Blanquer ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et de M. Gabriel Attal secrétaire d'état

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

La question de l'élargissement du label des cités éducatives rejoint de manière plus large les thématiques relatives aux effets de bord que l'on trouve également pour les territoires labellisés REP +. La réforme de l'éducation prioritaire doit permettre de mettre fin à une approche binaire. Elle doit être plus graduelle et adaptée. Cela vaut également pour les cités éducatives. Une deuxième vague de labels pour les cités éducatives est effectivement programmée. J'insiste également sur le fait qu'il est possible pour les maires de mettre en place certaines actions sans obligatoirement bénéficier de ce label. J'étais récemment à Clichy-sous-Bois pour y annoncer la création d'une cité éducative. Le maire d'une commune voisine m'a interpellé car il n'avait pas pu bénéficier de ce label mais cherchait à mobiliser d'autres moyens pour s'inspirer de la logique des cités éducatives et de la coordination des acteurs qu'elle sous-tend. Il me semble très important que des villes intéressées par le label « cités éducatives » s'inscrivent dès à présent dans la philosophie de ce programme. L'éducation nationale, ou d'autres administrations pourront les aider, le cas échéant, pour mobiliser des moyens existants à d'autres titres.

La question de la formation continue est un enjeu majeur pour notre pays. Elle doit naturellement être dynamisée sur le plan qualitatif, par le biais notamment du schéma de formation continue qui fixe désormais un cadre. Il nous incombe, de même, de moderniser certaines de nos institutions. Je cite, à titre d'exemple, le projet Canopée dont la vocation première est de créer des contenus pédagogiques pour les enseignants. Il a désormais un rôle de formation à l'ère du numérique. D'ailleurs, en matière de formation via le numérique, des outils existent déjà. Je pense à M@gister, le portail de formation continue en ligne. Certes, il peut être amélioré, mais nous faisons des progrès constants. Nous allons déployer notre idée de « Poitiers capitale de l'éducation ». Nous souhaitons en effet moderniser nos opérateurs : le CNED (centre national d'enseignement à distance), Canopée, l'IHEEF, afin de disposer d'une matrice numérique de la formation continue, de l'enseignement à distance ou encore de la formation des cadres de l'éducation nationale.

Comme pour les fonds sociaux, le budget dévolu à la formation souffre d'un effet optique négatif. L'enveloppe allouée est en réalité en hausse de 7 % cette année par rapport à la dernière exécution connue. En 2018, 782 millions d'euros ont été exécutés au titre de la formation des enseignants du premier degré, dont 13 millions hors masse salariale. Sur ce point également, nous sommes dans une perspective de sincérité budgétaire. C'est la raison pour laquelle, si optiquement les crédits sont en baisse, en exécution ils sont en hausse, car nous visons en 2020 leur utilisation intégrale à l'euro près.

La carence en médecins de prévention est un sujet de ressources humaines avant d'être un sujet budgétaire. Cela n'aurait pas de sens d'ouvrir des postes qui ne seraient pas pourvus. Je ne nie pas que leur manque constitue pour nous une préoccupation réelle. Nous tablons sur une étroite collaboration avec le ministère de la santé et une plus grande anticipation de ces enjeux à l'avenir.

Vous avez utilisé le terme de « bilan mitigé » concernant la situation des AESH. Permettez-moi de ne pas la reprendre à mon compte. Certes des problèmes existent. Les mécontentements épars - que par ailleurs j'entends et comprends - ne doivent pas masquer les progrès considérables effectués à l'occasion de cette rentrée. Leur situation est sans commune mesure avec le passé. Le mot « mitigé » est très sévère. On est passé d'une situation avec uniquement des contrats aidés à des recrutements en contrats AESH de trois ans. Nous leur offrons de véritables possibilités de carrières - je n'irai toutefois pas jusqu'à parler d'une fonction publique, même si j'évoque souvent un service public de l'école inclusive. Je salue le travail considérable mené par nos administrations, pour mettre en place cette logique de carrière. Cette rentrée marque, à l'égard des AESH, un véritable changement de paradigme. Sur le terrain, ils constatent des différences. Ils bénéficient également d'une plus grande considération, et sont désormais intégrés dans l'équipe administrative. Les détails comptent : ils disposent désormais d'une adresse institutionnelle. Des milliers de rendez-vous avec les familles ont eu lieu à la rentrée. Je suis conscient des difficultés qui persistent, notamment en matière de recrutement. Je ne doute pas que la rentrée 2020 représentera encore un progrès important. Nous avons tenu la semaine dernière avec la secrétaire d'État chargée du handicap, Sophie Cluzel, et les associations un comité de suivi. Si les associations ont fait remonter un certain nombre de problèmes, la tonalité générale était celle de progrès incontestables.

Concernant les fonds sociaux, je m'engage devant vous à effectuer un panorama de l'action sociale de l'éducation nationale. Des progrès ont été mis en place cette année et des moyens supplémentaires ont été alloués notamment grâce à l'action du ministère des affaires sociales. Je pense aux cantines à un euro ou aux petits-déjeuners gratuits. D'ailleurs ces actions intègrent des thématiques allant au-delà de l'action sociale : la coéducation avec les familles, la formation au goût, ... L'ensemble de ces effets d'entraînement doit être pris en compte. L'action sociale au service des élèves s'améliore en 2020.

Notre réflexion sur les heures supplémentaires tient naturellement compte des profils et souhaits divers du corps enseignant. En 2018-2019, le système s'est bien régulé. Il est toutefois indéniable que cette option constitue, pour les professeurs qui le souhaitent, un véritable gain en pouvoir d'achat.

Je n'accepte pas l'argument selon lequel le dédoublement des classes s'opérerait au détriment des classes rurales. Nous créons des postes en contexte de baisse démographique. Cela nous permet de réaliser le dédoublement et de sauvegarder les écoles en milieu rural. Nous ne gagnons rien à corroborer l'idée inexacte selon laquelle la politique des villes se ferait contre la politique des campagnes. Ce n'est pas ce qui se passe. Les écoles rurales sont favorisées en termes d'encadrement par rapport aux écoles urbaines. Il y a en moyenne 14 élèves par classe en Lozère de la petite section au CM2. Ce chiffre est de 15 en Vendée, 16 dans le Cantal. Un effort budgétaire permanent est fait en faveur de l'école rurale ; et je m'en félicite. Ne délivrons pas un message inverse qui oppose les territoires et créer une image fausse de la situation. Je vous rappelle, à cet égard, la décision prise par le Président de la République de ne supprimer aucune école sans l'aval du maire de la commune. Certes, elle débouche sur des réalités imparfaites à la rentrée 2019. Mais, cela est inévitable, car une série de processus était déjà engagée au moment de cette annonce. Mais vous avez également indiqué que 247 fermetures étaient demandées par les maires. Les autres étaient demandées par l'institution, mais acceptées par les maires. La pleine application de cette mesure se verra lors de la préparation de la rentrée 2020. L'enjeu, en la matière, me semble davantage être celui du rebond démographique des communes rurales. J'ai demandé à tous les recteurs et directeurs académiques des services de l'éducation nationale d'être dans cette logique de reconquête rurale. Les contrats ruralité que nous avons pilotés avec le sénateur Duran répondent à ce besoin. Aussi, il est important d'avoir un discours optimiste sur ces sujets, car il faut insuffler un état d'esprit de renaissance de ces territoires. C'est la raison pour laquelle je souhaite que mes services déconcentrés soient en appui aux maires, tout en étant conscients des tensions démographiques qui peuvent exister. De très beaux projets voient le jour. Il peut s'agir de regroupements pédagogiques intercommunaux. Dans d'autres cas, cela oblige à fermer une école, mais pour moderniser l'instruction. J'ai en tête une école que j'ai inaugurée il y a deux semaines dans le Cher. La nouvelle logique scolaire crée de l'attractivité et de l'optimisme.

Je souhaite revenir sur les effets qualifiés de « pervers » de notre politique d'éducation prioritaire. Le principal écueil, en l'espèce, est celui des effets de seuil. M. Paccaud, je vois dans vos regrets un hommage caché à notre politique. En effet, vous indiquez que de l'attractivité a été générée en REP +. Nos premières mesures ont permis de lancer un processus vertueux. Il y a encore quelques années, les mesures en faveur des personnels en REP + étaient jugées superficielles et insuffisantes pour pallier les inconvénients d'une affectation dans ces territoires. Aujourd'hui, la situation a changé : les primes sont significatives - et cela concerne 50 000 personnes, et les logiques pédagogiques ont également évolué. Bien évidemment, cela ne doit pas se faire au détriment d'autres territoires. Qu'il y ait dans certains cas un ou deux élèves en plus, cela peut arriver. Mais le système n'a pas été conçu pour qu'il y ait plus d'élèves dans les écoles hors éducation prioritaire. Il n'y a pas de système de vases communicants. Notre politique budgétaire a permis de l'éviter. Nous devons cependant atténuer les effets de seuils.

Enfin, vous avez mentionné, à raison, les enjeux de l'enseignement artistique et culturel. Je vous en remercie. Il ne se réduit naturellement pas à sa stricte dimension budgétaire. Il se développe domaine par domaine. Avec Françoise Nyssen, puis Franck Riester, nous avons défini des domaines prioritaires : la musique, la lecture, le théâtre ou les ciné-clubs. Le plan « chorale » est désormais une réalité complète. Une dynamique musicale a ainsi été instaurée avec la présence systématique d'un plan départemental en la matière, d'une chorale au collège. L'étude à laquelle vous avez fait référence révèle certes les insuffisances que vous avez soulignées. Mais elle est en elle-même un progrès puisqu'il s'agit de la première étude du genre. Elle nous a permis de constater que les trois quarts des écoles ont un dispositif d'enseignement artistique et culturel. Elle va nous permettre de progresser. Je travaille sur ce sujet avec Franck Riester, ainsi qu'avec les collectivités locales. À Guingamp nous avons consacré le projet d'un institut de formation pour l'éducation artistique et culturelle. De nombreuses formations en ligne vont être prochainement proposées sur ce thème. Des priorités ont été définies par domaine. En matière de lecture, le recteur de Bretagne a instauré le quart d'heure de lecture, qui commence à se généraliser en France, à la même heure, le même jour, dans tous les établissements de Bretagne. Cela fait partie des progrès du quotidien, peu repris dans le débat public, mais qui changent le rapport aux livres et ce qui s'en suit.

Enfin, j'ai bien noté vos propos sur la scolarisation des enfants sourds. Ils sont 7 738 en cette rentrée. Il est exact que la scolarisation des enfants sourds présente une spécificité qualitative. J'ai été alerté par le monde associatif sur un certain nombre de modernisation nécessaire. Nous ne baissons aucunement la garde. La scolarisation des enfants sourds bénéficie des progrès budgétaires réalisés en matière d'école inclusive.

La réunion est close à 19 h 25.

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