Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 14 novembre 2019 à 10h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « enseignement scolaire » - crédits « enseignement technique agricole » - examen du rapport pour avis

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Enseignement scolaire » :

Le projet de budget pour l'année 2020 - hors enseignement agricole - s'établit à 72,7 milliards d'euros, soit une hausse de 1,37 milliard d'euros. Cette hausse est portée principalement par trois programmes.

Le programme 140 relatif à l'enseignement public primaire regroupe 38 % de l'augmentation des crédits. Il s'agit principalement de la poursuite du dédoublement des classes de CP et CE1 dans les établissements classés « réseau d'éducation prioritaire » (REP) et REP +.

L'obligation de l'instruction dès trois ans a un impact budgétaire supplémentaire estimé à 117 millions d'euros. Cette augmentation est relativement faible au regard des 5,5 milliards d'euros consacrés à l'école maternelle. En effet, 97 % des enfants de trois ans sont déjà scolarisés.

Par ailleurs, 33 % de l'augmentation des crédits sont portés par le programme 141 consacré à l'enseignement public secondaire. Les montants de dépenses des personnels sont en hausse de près de 471 millions d'euros pour deux raisons principales : la mise en oeuvre du protocole « parcours professionnel, carrières et rémunérations » (PPCR) - pour 214 millions d'euros - et le glissement-vieillesse technicité - + 219 millions d'euros).

Enfin, le programme 230 pour la « vie de l'élève » accueille 20 % de l'augmentation des crédits en raison d'un bond de 14 % des crédits en faveur de l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap. Toutefois, malgré un budget en augmentation, je souhaite souligner deux points de vigilance.

Le premier point de vigilance concerne les moyens dévolus à la formation des enseignants. Les crédits de formation stagnent pour les personnels enseignants du second degré. Surtout, ces crédits sont en baisse de 3,45 %, soit près de 30 millions d'euros, pour les enseignants du premier degré. Il me semble paradoxal d'encourager la formation continue à travers un nouveau schéma directeur publié en septembre 2019 tout en baissant au même moment les crédits alloués à cette politique. Par ailleurs, je souhaite rappeler le décret du 6 septembre 2019 qui prévoit une incitation financière pour les enseignants qui se formeraient pendant les vacances. Son montant est de 120 euros par jour et 20 euros de l'heure dans la limite de cinq jours par an. Cette mesure aura un impact budgétaire.

Le second point de vigilance concerne la poursuite de l'effort de la Nation en faveur de l'éducation et les annonces récentes du Président de la République. Ont été annoncés le plafonnement de la taille des classes à 24 élèves en grande section, CP et CE1 sur l'ensemble du territoire d'ici à la rentrée 2022, ainsi que le dédoublement des classes de grande section de maternelle en REP et REP +. Interrogé à ce sujet le 13 novembre, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a indiqué que le plafonnement des effectifs nécessiterait la création de 3 200 équivalents temps plein (ETP) sur trois ans. Le dédoublement des classes de grande section dans l'éducation prioritaire conduirait à la création de 6 000 classes supplémentaires. Or seuls 440 emplois dans l'enseignement primaire ont été créés dans le budget 2020.

Le ministre a indiqué également que ces efforts s'échelonneraient sur la fin du quinquennat et qu'il fallait en outre prendre en compte la baisse démographique des élèves, avec 40 000 élèves de moins à cette rentrée malgré l'abaissement de l'âge de scolarisation obligatoire. Nous devrons être très attentifs à la mise en oeuvre de ces annonces.

J'en viens maintenant à la rémunération des personnels enseignants de l'éducation nationale. En effet, la mission « Enseignement scolaire » présente la spécificité de consacrer plus de 92 % de ses crédits aux dépenses de personnel et concerne plus d'un million de personnes. Aussi, il me semblait intéressant d'axer l'avis budgétaire de notre commission sur ce thème cette année.

Premier constat : les personnels enseignants ressentent un sentiment de déclassement social. Alors que le salaire net moyen d'un enseignant en France est de 2 555 euros, le salaire net moyen d'un fonctionnaire de catégorie A est de 2 909 euros. Il atteint même 3 632 euros pour le cadre A de la fonction publique d'État hors enseignant. Quant au salaire moyen d'un fonctionnaire de la catégorie B, il est seulement 100 euros inférieur à celui d'un enseignant, soit 2 422 euros. Un enseignant stagiaire du premier degré, qui a réussi un concours de niveau bac +5, est payé à 1,34 SMIC.

En outre, la rémunération des enseignants français est dans la moyenne inférieure de l'Union européenne. Certes, l'étude de l'OCDE « Regards sur l'éducation », publiée en septembre dernier, doit être prise avec une certaine distance en raison de la difficulté intrinsèque de toute comparaison internationale de systèmes différents. On peut toutefois retenir une idée forte : la progression salariale est plus lente en France que dans les autres pays de l'OCDE, que ce soit dans le premier ou le second degré. Le salaire moyen en France après 10 à 15 ans d'ancienneté est inférieur de 20 % à la moyenne de l'OCDE. À titre de comparaison, cet écart est de 7 % en début de carrière.

Enfin, si le salaire moyen en fin de carrière est plus élevé que celui constaté dans les autres pays de l'OCDE, il y est atteint plus tardivement. Dans l'OCDE, il faut en moyenne à un enseignant de collège 25 ans d'exercice pour atteindre l'échelon maximum du barème. En France, ce délai est de 27 ans, soit deux ans de plus. À titre de comparaison, il ne faut enseigner que pendant six ou sept ans en Écosse pour parvenir à l'échelon maximal.

Par ailleurs, l'analyse de la rémunération des enseignants montre qu'il faut se défaire d'une approche globale de cette question. On ne peut pas parler de la rémunération des enseignants en général, sans analyse catégorielle plus fine. La situation est très différente entre un professeur des écoles, un professeur certifié ou un professeur agrégé.

Un enseignant exerçant dans le primaire est plus pénalisé que celui travaillant dans le secondaire. Outre des possibilités de mobilité moins élevées, le pourcentage moyen des primes et indemnités dans le montant de la rémunération d'un enseignant du primaire est de 8 %, contre 16 % pour les enseignants du second degré et 22 % pour l'ensemble de la fonction publique.

On constate, ces dernières années, une volonté de revalorisation du salaire des enseignants. Je pense au protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations (PPCR), dont le coût pour la période 2017-2012 pour l'éducation nationale est évalué à un milliard d'euros. Le PPCR représente un coût de 300 millions d'euros en 2020. Je citerai deux déclinaisons : une convergence progressive de la proportion de promotions à la hors classe pour les professeurs des écoles vers celle des enseignants du second degré et la création d'un troisième grade : la classe exceptionnelle. Ces mesures concernent donc le milieu, voire la fin de carrière.

En outre, les personnels enseignants en REP + bénéficient d'une nouvelle revalorisation de 1 000 euros. Celle-ci fait suite à une première revalorisation d'un même montant lors de la précédente rentrée. Une troisième revalorisation est prévue l'année prochaine.

Enfin, le plafond des heures supplémentaires est augmenté. Ainsi, les enseignants du secondaire peuvent être tenus d'effectuer deux heures supplémentaires exonérées de cotisations salariales et défiscalisées dans la limite de 5 000 euros par an. D'ailleurs, les deux tiers des enseignants du second degré font au moins une heure supplémentaire par semaine. Je note toutefois que les enseignants du premier degré peuvent dans les faits moins profiter de cette mesure. Certes, sur le papier, ils peuvent bénéficier des mêmes exonérations pour les travaux supplémentaires effectués en dehors de leur service normal. Mais, avec un temps de présence devant élèves de 26 heures, contre 18 heures pour les professeurs certifiés et 15 heures pour les professeurs agrégés, la possibilité d'heures supplémentaires pour cette catégorie d'enseignants est réduite. En outre, cela ne répond pas à la pratique du métier. Le professeur des écoles a la même classe sur l'ensemble de ses heures de travail. Le temps scolaire du primaire ne prévoit pas d'autres heures d'enseignement.

Je conclurai cet avis par une première analyse des conséquences financières de la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance ainsi que des récentes annonces du Président de la République pour les collectivités locales.

L'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire à trois ans engendre un coût important pour les collectivités locales, notamment en raison du choix de parents de scolariser leurs enfants à l'école privée. Lors des débats sur le projet de loi pour une école de la confiance, nous avions alerté le Gouvernement sur ce surcoût pour les communes qui avaient fait le choix de participer au financement d'écoles maternelles privées sous contrat. Les conséquences financières de cette mesure peuvent représenter des sommes importantes, en raison du « montant du vrai forfait », c'est-à-dire du coût réel d'un élève pour l'école publique et du principe de parité des dépenses entre l'éducation privée et publique. Ainsi, à Brest, ce coût est estimé à 1 850 euros. Or le forfait que versait jusqu'à présent la ville de Brest à l'enseignement privé était de 850 euros. Certes, ce montant ne respectait pas le principe de parité public/privé, mais, dans la mesure où il ne résultait d'aucune obligation, tous les acteurs en étaient satisfaits et aucune remarque n'avait été faite au moment du contrôle de légalité. Le surcoût pour chaque enfant de maternelle scolarisé dans un établissement privé de Brest est de 1 000 euros, entraînant ainsi un coût total non prévu ni anticipé pour la ville de 1,3 million d'euros. Je ne peux que regretter que la position de notre commission et du Sénat n'ait pas été suivie lors des débats sur le projet de loi pour une école de la confiance. Nous avions plaidé pour la pleine compensation de l'ensemble des communes concernées.

Nous devrons également suivre avec attention les conséquences financières du dédoublement des classes. On constate pour la rentrée actuelle une certaine tension. En raison de problèmes de bâti, certaines communes ont utilisé des locaux destinés à d'autres usages, comme l'accueil périscolaire. Les perspectives de construction de nouveaux bâtis scolaires, souvent dans des zones urbaines denses, voire très denses, doivent rapidement être prises en considération - ainsi que les compensations financières résultant de telles dépenses. La ville de Grenoble avance actuellement des coûts d'un montant de 600 000 euros. Ce sont autant de sommes actuellement « gelées » au détriment d'autres investissements de la collectivité.

Enfin, je souhaite évoquer le plan Pauvreté. Plusieurs mesures concernent le scolaire et le périscolaire. J'en évoquerai une : le petit-déjeuner gratuit dans les écoles en REP et REP + ainsi que pour certains territoires ruraux « défavorisés ». Ce dispositif pose de nombreuses questions. Tout d'abord, la catégorie de « territoires ruraux défavorisés » n'existe pas. Comment est-elle définie ? Ce repas doit-il être donné sur le temps scolaire ou périscolaire ? Qui donne ce repas : les enseignants ou des agents communaux ? Quelles sont les conséquences logistiques pour la livraison de ces petits-déjeuners et qui les supportent ? Face à l'ensemble de ces questions, et autant de conséquences en termes financiers, l'État ne propose une prise en charge que d'un euro par petit-déjeuner.

Malgré ces inquiétudes, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, sous réserve de l'avis de notre collègue Antoine Karam.

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