Intervention de Antoine Karam

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 14 novembre 2019 à 10h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « enseignement scolaire » - crédits « enseignement technique agricole » - examen du rapport pour avis

Photo de Antoine KaramAntoine Karam, rapporteur pour avis des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » :

Mes chers collègues, il m'appartient de rapporter les crédits du programme 143 de la mission « Enseignement scolaire » consacré à l'enseignement technique agricole : 1,47 milliard d'euros y seront consacrés en 2020, soit une augmentation de 7,15 millions d'euros. Cette hausse de 0,5 % des crédits du programme s'explique principalement par la poursuite en 2020 des mesures du protocole PPCR, comme pour l'ensemble de l'Éducation nationale (+ 5,46 millions d'euros), et par une dotation d'un million d'euros afin de poursuivre la promotion de l'enseignement agricole.

Cet avis budgétaire est l'occasion d'un rendez-vous annuel sur l'enseignement technique agricole, ce dont je me réjouis. J'ai décidé de profiter de ce point d'étape pour aborder deux sujets thématiques : un premier bilan de la campagne de communication « l'aventure du vivant » et la prise en compte des élèves en situation de handicap par l'enseignement agricole.

Mes chers collègues, comme beaucoup d'entre vous, je crois fortement en l'avenir de l'enseignement agricole. Il répond à des enjeux majeurs, qui sont la préservation de l'environnement et la gestion des ressources naturelles, la transition agro-écologique et les nouvelles formes d'agriculture. Pourtant, nous le savons, l'enseignement agricole connaît depuis 2011 une diminution continue de ses effectifs d'élèves. À la rentrée 2018, il accusait encore une perte de 4 000 apprenants.

Par ailleurs, la population des élèves qui fréquentent ces établissements est en pleine évolution. Alors qu'en 1985 près de quatre élèves sur dix étaient enfants d'agriculteurs ou de salariés agricoles, cette proportion n'est plus que d'un élève sur dix en 2017. L'enseignement agricole doit donc recruter au-delà de son cercle traditionnel.

C'est dans ce contexte que le Gouvernement a lancé en mars dernier une vaste campagne de communication, « l'aventure du vivant - des métiers grandeur nature » visant à promouvoir l'enseignement agricole.

L'année dernière, je vous disais mon sentiment que l'enseignement agricole devait sortir d'une logique de conservation et de repli pour entrer dans une logique d'expansion. À cet égard, je ne peux que saluer l'ambition de cette campagne qui traduit la volonté du ministère de l'agriculture d'améliorer l'attractivité de son enseignement.

Peu connu, souvent mal considéré, l'enseignement technique agricole gagnera à ce que les élèves soient mieux informés de ses taux d'insertion enviables - 82 % pour les bacs pro diplômés de 2012 par exemple.

Face à ce constat, le ministère de l'agriculture et le ministère de l'éducation ont fait preuve de volontarisme afin de revaloriser cet enseignement. Cette grande campagne de communication d'un million d'euros en 2019 a été lancée à l'occasion du salon de l'agriculture. Elle doit se poursuivre sur les territoires d'ici à février 2020. Je ne peux que saluer cette démarche que j'appelais de mes voeux depuis plusieurs années.

Par ailleurs, je note depuis avril 2019 un rapprochement bienvenu entre les ministères de l'agriculture et de l'éducation nationale. Les deux ministres ont ainsi cosigné une lettre insistant sur la nécessité de faire connaitre la formation agricole. En outre, plusieurs mesures concrètes ont été mises en place : des temps d'information des professeurs principaux de collèges et de lycées sur les filières de formation de l'enseignement agricole ; la participation systématique des professeurs principaux des établissements de l'enseignement agricole aux réunions de concertation troisième-seconde ; un partage de l'information entre les autorités académiques de l'éducation nationale et les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ; l'utilisation des appellations officielles des formations proposées au lieu de dénominations jugées stigmatisantes telles que « 2de agricole » ou « 4ème-3ème agricole » sur la base d'affectation des élèves par le net (Affelnet) pour le lycée qui permet aux élèves d'indiquer leurs souhaits d'orientation.

Si cette liste non exhaustive reflète bien le rapprochement qui a été opéré, elle souligne surtout l'absence de lien et de partenariat qui prévalait auparavant entre les deux ministères.

La campagne « l'aventure du vivant » semble porter ses fruits. On constate une nette inflexion. Alors que le nombre d'élèves a diminué de 4 000 lors de la rentrée 2018-2019, il est en hausse de 750 élèves pour cette rentrée. Comme l'a indiqué le ministre, l'enseignement agricole technique, y compris dans le supérieur, regroupe 183 000 apprenants. L'objectif ambitieux est d'atteindre la barre des 200 000 apprenants d'ici à 2022.

Si cette rentrée marque la fin de dix années de baisse continue, il est nécessaire de poursuivre cette revalorisation et d'accompagner l'effort de communication au niveau local. En effet, l'enseignement agricole présente la spécificité d'être un enseignement national à ancrage territorial. La déclinaison de cette campagne de communication sur les territoires est donc essentielle.

Or les représentants des chefs d'établissement agricole nous ont indiqué que ces dépenses n'avaient pas été budgétisées localement. Les établissements doivent financer sur leurs fonds propres des supports de communication dans les salons régionaux d'orientation. Les DRAAF, en partenariat avec les régions, ont un rôle important à jouer pour mieux faire connaître localement ces filières.

Il me semble également important de réfléchir aux conséquences de la réforme des centres d'information et d'orientation (CIO) qui pourrait conduire à confier aux grands lycées de bassin cette mission d'orientation. Actuellement, il n'est pas prévu de confier une mission similaire aux lycées agricoles. En outre, franchir la porte d'un lycée pour s'informer sur son orientation peut représenter un frein pour certains élèves et leurs familles. Les CIO constituent un lieu plus « neutre » pour accueillir des jeunes qui se sont éloignés de l'école. Notons enfin que ces lieux étaient ouverts le samedi et pendant les vacances scolaires. En sera-t-il de même des lycées ? Notre commission devra être particulièrement vigilante sur les conséquences de cette réforme.

Je conclurai ce développement sur la valorisation de l'enseignement agricole par la nécessité de rester vigilant quant à cette inversion de la tendance sur les effectifs dans les prochains arbitrages budgétaires si elle venait à se pérenniser. Le schéma d'emplois pluriannuel sur la période 2019-2022 prévoit une réduction de 300 ETP dans l'enseignement agricole selon le schéma suivant : - 50 ETP en 2019, - 60 ETP en 2020, - 80 ETP en 2021 et - 70 ETP en 2022. Malgré la hausse des effectifs, la diminution de 60 ETP a été maintenue en 2020. Ces diminutions ont des effets immédiats sur la qualité de l'enseignement délivré, puisque l'enseignement agricole est une petite structure.

J'en viens maintenant à l'école inclusive dans l'enseignement agricole.

Depuis de nombreuses années, l'enseignement agricole accueille un nombre important d'élèves en situation de handicap. Une enveloppe de 14,4 millions d'euros en faveur de l'école inclusive est inscrite dans le budget pour 2020. Je constate qu'elle est en hausse de 26 % par rapport au budget pour 2019, soit près de 3 millions d'euros, ce dont je me réjouis.

Toutefois, ce budget en hausse ne doit pas masquer l'existence de problèmes persistants qui prennent une dimension particulière en raison des caractéristiques de l'enseignement agricole.

Comme vous le savez, l'enseignement agricole se caractérise par l'accueil d'un nombre important d'élèves en situation de handicap ou connaissant des difficultés sévères d'apprentissage. Je reprendrai quelques exemples donnés par les syndicats que j'ai auditionnés : une classe de 4ème-3ème agricole de 24 élèves, dont 22 élèves connaissent des difficultés d'apprentissage pouvant aller jusqu'au handicap, 12 élèves en situation de handicap sur une classe de 22 élèves, 15 des 20 élèves d'une classe de 4ème et 3ème professionnelle en situation de handicap.

Certes, ces exemples sont choisis, mais ils témoignent de l'effort important fait par l'enseignement agricole en matière d'inclusion depuis de nombreuses années. Cette spécificité doit être gardée à l'esprit dans la démarche de relèvement des seuils du nombre d'élèves par classe. Notre collègue Céline Brulin a d'ailleurs évoqué cette question lors de l'audition de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Si le relèvement des seuils permet de faire face à la hausse des élèves à budget quasi constant, puisque 750 élèves en plus représentent en moyenne 3 à 4 élèves en plus par établissement, cela ne doit pas conduire à une dégradation des conditions d'apprentissage des élèves.

Aussi, il me semble indispensable que le ministère procède avant la rentrée prochaine à une étude d'impact ex post des conséquences de cette augmentation des seuils sur les enseignements, les conditions d'apprentissage et les élèves. Je ne proposerai pas un amendement demandant un rapport au Gouvernement. Nous connaissons la position de notre commission sur ce type de demande.

Lors de son audition, Didier Guillaume a indiqué vouloir confier un rapport à son corps d'inspection sur les contractuels dans les établissements d'enseignement agricole. Le sujet des conséquences de l'augmentation des seuils mérite également d'être traité, surtout si la tendance haussière des effectifs se poursuit sans modification du schéma d'emploi pluriannuel. Je plaide pour que l'inspection générale de l'enseignement agricole se saisisse de ce sujet.

Si l'on constate des améliorations dans l'articulation entre les accompagnants d'élèves en situation de handicap et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) sur le terrain, des retards perdurent dans l'affectation aux jeunes d'un accompagnement. Sur certains territoires, l'incertitude sur la présence d'un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH) le jour des examens, notamment d'un lecteur scripteur qui reformule les consignes, est telle que certains parents d'élèves viennent afin de pallier, le cas échéant au pied levé, l'absence de cette aide indispensable à leur enfant. Une anticipation minimale pour ces moments clés de la formation des élèves me semble la moindre des choses.

Une autre caractéristique importante de l'enseignement agricole réside dans le nombre important d'élèves internes. En effet, plus de 59 % des élèves font le choix de l'internat. Ce temps périscolaire ne doit pas être oublié. L'analyse de cette question sous l'unique prisme du ratio du nombre d'élèves par assistant d'éducation est insuffisante. On ne peut faire abstraction des contraintes matérielles, telles que la séparation des filles et des garçons entre des étages, voire des bâtiments distincts.

J'ai également été alerté sur la crainte d'un décrochage entre l'enseignement scolaire et l'enseignement agricole pour les personnels d'assistance éducative. Or ceux-ci sont recrutés et rémunérés par les établissements publics locaux d'enseignement. Toutefois, les établissements bénéficient d'une subvention du ministère pour couvrir ces frais. Au vu du nombre d'assistants d'éducation rémunérés et du montant de l'enveloppe allouée, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation ne semble ainsi pas avoir pris en compte dans le budget 2020 la revalorisation de l'indice des assistants d'éducation issue de l'arrêté du 24 septembre 2019. Il y a un reste à charge pour l'établissement agricole de 1 411 euros par assistant d'éducation. Il était de 241 euros avant cette revalorisation. Les établissements d'enseignement agricole risquent d'être confrontés à un choix douloureux : prendre en charge ce différentiel sur leurs budgets propres, alors même que la rémunération de ces personnels relève de la compétence de l'État et ne pas financer d'autres projets (par exemple des visuels ou des stands dans les salons locaux d'information et d'orientation), ou diminuer la quotité du temps de travail pour correspondre aux sommes perçues avec pour incidence la réduction de l'encadrement des élèves.

Voilà, mes chers collègues, les points que je souhaitais aborder.

De mon point de vue, l'enseignement agricole est une filière d'avenir en prise avec les défis émergents. Il est pour certains jeunes une école de la deuxième chance incroyable, mais il est aussi et surtout une filière d'excellence, avec un taux d'insertion professionnelle remarquable.

Le budget que nous propose le ministère de l'agriculture en hausse de 0,5 % et le rapprochement tant attendu entre les ministères de l'éducation nationale et de l'agriculture témoignent de l'intérêt que porte le Gouvernement à l'enseignement agricole.

C'est la raison pour laquelle, je recommande de donner un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à l'enseignement agricole au sein de la mission « Enseignement scolaire ».

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