Intervention de Christelle Dubos

Réunion du 19 novembre 2019 à 14h30
Carte vitale biométrique — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Christelle Dubos :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre la fraude est un objectif majeur du Gouvernement.

Les organismes de sécurité sociale ont largement investi dans la détection et la prévention de la fraude, et les résultats en témoignent : en 2018, la fraude détectée par les organismes de sécurité sociale s’est élevée à 1, 2 milliard d’euros, ce qui correspond à une hausse de plus de 40 % en quatre ans.

La proposition de loi dont nous allons débattre cette après-midi porte sur le sujet particulier de la fraude à l’usage de la carte Vitale.

Vous le savez, la carte Vitale permet d’établir des feuilles de soins électroniques, documents servant de base au remboursement ; mais ce n’est pas sa seule fonction au regard de la situation des assurés. Elle sert aussi à gérer leurs droits, qui sont historiquement inscrits dans la carte et accessibles directement, en cohérence avec les droits ouverts et contrôlés par les caisses d’assurance maladie.

La fraude à l’usage de la carte Vitale repose sur une usurpation de carte : une personne sans droits utilise la carte d’une personne ayant des droits ; une autre utilise celle d’une personne couverte à 100 % alors qu’elle-même n’a que des droits à la couverture de base. La création d’une fausse carte Vitale est également possible en théorie, mais elle est techniquement très complexe.

Néanmoins – à cet égard, je rejoins les auteurs du présent texte –, les fraudes à la carte Vitale constituent un sujet important, et, en la matière, nous menons des actions structurantes.

Je tiens à revenir sur les nombreuses mesures prises depuis 2004 pour réduire les risques liés à la délivrance de la carte et sécuriser tout à la fois notre système d’émission des cartes et les facturations : la création d’une liste d’opposition des cartes Vitale, qui permet de bloquer l’utilisation des cartes mises en opposition ; l’ajout de la photographie en couleur de l’assuré, tant sur le support de la carte que dans le composant électronique ; la mise en place d’un portail interrégimes, qui permet d’éviter l’émission d’une nouvelle carte si l’ancienne n’a pas été restituée ou invalidée ; enfin, la mise en fin de vie des cartes Vitale dont les titulaires n’ont plus de droits, sont décédés ou radiés.

Plusieurs chiffres ont été avancés et, pour clarifier nos débats, je tiens à indiquer que, tous régimes confondus, 59, 4 millions de cartes Vitale actives étaient comptabilisées à la fin de l’année 2018. En outre, depuis la création du système de cartes Vitale, 42 millions de cartes ont été invalidées et, partant, désactivées.

Les auteurs du présent texte proposent de renforcer l’arsenal de lutte contre la fraude en transformant la carte Vitale en une carte Vitale biométrique comportant les empreintes digitales. Ces compléments seraient ensuite utilisés par les professionnels de santé pour vérifier la bonne correspondance entre le titulaire de la carte et la personne qui l’utilise.

La commission a modifié cette proposition de loi, qui privilégie désormais la voie de l’expérimentation.

Cependant, même par ce biais, la création d’une carte Vitale biométrique serait extrêmement sensible en termes de protection de la vie privée et des données personnelles. Elle serait également lourde à mettre en œuvre, étant donné les changements profonds qu’elle introduirait, que ce soit en termes de fabrication ou d’usage du titre.

Les empreintes sont des données sensibles au sens du règlement général sur la protection des données (RGPD), et leur traitement pour le cas particulier d’authentification des personnes exige un avis de la CNIL au titre des formalités d’autorisation prévues à cette fin.

La question posée est la suivante : le recueil et la conservation de ces données sont-ils nécessaires et proportionnés au but visé ? La réponse à cette question ne présente aucun caractère d’évidence.

J’évoquerai également le coût financier et les délais de mise en œuvre d’une telle réforme. Même dans le cadre d’une expérimentation, ils ne sont pas négligeables.

L’utilisation des empreintes induit des coûts et des délais de mise en œuvre importants pour le recueil des données biométriques, le contrôle par les professionnels de santé et l’adaptation du système de gestion des cartes Vitale.

Le recueil des empreintes digitales suppose que chaque demandeur se déplace. Or, pour traiter cette demande, les accueils des caisses d’assurance maladie ne disposent ni des équipements ni des effectifs nécessaires. Au demeurant, une telle évolution nécessiterait de former les agents aux équipements qui devraient être utilisés.

Pour exercer un contrôle biométrique, il serait aussi nécessaire que les professionnels de santé soient équipés d’un matériel permettant de relever les empreintes du patient. Ce processus aurait un effet certain sur la relation entre les professionnels de santé et leurs patients en ajoutant un contrôle qui ne relève pas strictement de leurs missions.

Au-delà de la polémique que ce changement pourrait créer avec les professionnels utilisant la carte Vitale au quotidien, un financement de ces matériels par l’assurance maladie serait demandé.

Enfin, les contraintes de sécurité afférentes à l’utilisation des données biométriques par des traitements automatiques induisent une complexité technique. La mise en place de cette nouvelle carte serait de nature à augmenter de façon substantielle le prix unitaire de la carte Vitale et, plus généralement, le coût global de gestion des cartes. On peut estimer à environ 3 euros le coût complet actuel de fabrication et de délivrance d’une carte Vitale de seconde génération, c’est-à-dire avec photographie. Ce montant serait au moins doublé si la carte Vitale devenait biométrique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous partageons votre préoccupation et nous prenons d’ores et déjà des mesures fortes pour lutter contre la fraude.

M. Mouiller et Mme la rapporteure l’ont dit, une expérimentation est en cours, à savoir la création d’une application « carte Vitale » nommée e-carte d’assurance maladie, proposée sur smartphone, pour renforcer la sécurisation des usages. Ce dispositif présente une forte valeur ajoutée pour lutter contre la fraude : il permettra une mise à jour des droits en temps réel, ce qui ne serait pas le cas avec la carte Vitale biométrique proposée.

Cette expérimentation est régie par le décret du 27 mai 2019 relatif à l’expérimentation d’une e-carte d’assurance maladie. Actuellement menée dans deux départements, le Rhône et les Alpes-Maritimes, elle est nécessaire pour évaluer et, si besoin, consolider l’ensemble du processus afin de sécuriser la délivrance de cette application, qui, dans un premier temps, cohabitera avec la carte physique.

De ce fait, il me semble inopportun de lancer une nouvelle expérimentation. En outre, cette dernière ne serait pas soutenable d’un point de vue opérationnel. Enfin, elle serait très risquée sur le plan juridique. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à la nouvelle expérimentation que tend à mettre en œuvre cette proposition de loi.

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