Intervention de Martin Lévrier

Réunion du 19 novembre 2019 à 14h30
Carte vitale biométrique — Discussion générale

Photo de Martin LévrierMartin Lévrier :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport de Mmes Nathalie Goulet et Carole Grandjean, remis au Premier ministre, fait état de 5, 3 millions de cartes Vitale surnuméraires environ en 2019. Bien qu’on peine à comptabiliser les fraudeurs à la carte Vitale, leur existence, indéniable, constitue une atteinte à l’équilibre de notre pacte républicain.

Voilà qui aurait pu conforter la proposition de loi déposée par notre collègue Philippe Mouiller tendant à instituer une carte Vitale biométrique, afin de lutter contre l’utilisation de vraies cartes Vitale par des personnes qui n’en sont pas titulaires.

Toutefois, après avoir examiné le rapport de Mme Deroche et constaté les multiples interrogations soulevées par ce texte, la commission l’a remanié en profondeur. On nous propose désormais une expérimentation d’un an de la carte Vitale biométrique, à charge pour le Gouvernement de désigner les organismes d’assurance maladie responsables de l’expérimentation. La commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée.

En pratique, la carte Vitale biométrique serait délivrée après vérification de l’identité du titulaire et de la validité de sa carte d’assurance maladie ; les empreintes digitales seraient stockées sur une puce. Les professionnels de santé seraient chargés de vérifier l’identité du détenteur de cette nouvelle carte. La mise en place du dispositif s’accompagnerait d’un traitement de données spécifique, intégrant notamment l’image numérisée des empreintes digitales.

Reste, mes chers collègues, que cette proposition de loi soulève plusieurs interrogations.

D’abord, une expérimentation de la e-carte Vitale est en cours depuis mai dernier, et une généralisation de la version dématérialisée de la carte Vitale sur smartphone est prévue à partir de 2021. Cette carte rejoindra ainsi la technologie de la carte européenne d’assurance maladie, déjà dématérialisée. Preuve que les systèmes biométriques commencent à être dépassés.

Actuellement expérimentée par deux caisses primaires d’assurance maladie et deux caisses de mutualité sociale agricole, la e-carte Vitale a été présentée par la CNAM et le GIE Sesam-Vitale comme une bonne solution, à double titre : elle assure l’actualisation des droits en donnant la possibilité aux professionnels de santé de vérifier les droits du bénéficiaire en temps réel, via un service de consultation des droits interrégimes intégré au logiciel de gestion administrative des patients ; elle garantit que le titulaire de la carte en est bien le détenteur, grâce à une identification biométrique réalisée préalablement, au moment de l’enrôlement.

Mes chers collègues, le décret de mise en application de l’expérimentation de l’e-carte d’assurance maladie, publié au Journal officiel le 27 mai dernier, prévoit qu’un rapport d’évaluation sera rendu au plus tard deux mois avant le terme de l’expérimentation, c’est-à-dire en mars prochain. Dès lors, quel serait l’intérêt de voter aujourd’hui une expérimentation de la carte biométrique ?

Outre que le rapport sur l’e-carte Vitale sera rendu dans quatre mois, l’expérimentation de la carte biométrique soulèverait de nombreuses difficultés : l’intégration d’un élément biométrique à un dispositif existant doit tenir compte du RGPD et de la doctrine élaborée par la CNIL ; le système proposé exposerait les données biométriques des Français aux hackers ; le coût de la nouvelle carte serait exorbitant ; enfin, les professionnels de santé n’adhèrent pas au projet.

S’agissant, premièrement, de la protection de la vie privée et des données personnelles, le RGPD étant d’application directe et s’imposant à la loi, une disposition prévoyant l’obligation d’effectuer une analyse d’impact préalablement à la mise en œuvre d’un traitement de données pose un problème de conformité.

En ce qui concerne la CNIL, bien que le système d’informations que supposerait le traitement des données biométriques soit motivé par une mission d’intérêt public, il soulèverait des interrogations en matière de proportionnalité de l’outil retenu, ainsi que de sécurité.

Le traitement de données sensibles peut être envisagé lorsqu’il sert un objectif d’intérêt public, si et seulement si l’insuffisance manifeste des traitements existants est démontrée. Compte tenu de l’expérimentation en cours de l’e-carte Vitale et de ses effets en matière de lutte contre la fraude, l’objectif visé par la création d’une carte Vitale biométrique serait considéré comme satisfait par les traitements de données existants.

Deuxièmement, la proposition de loi prévoit le stockage centralisé des données biométriques collectées. Cette base de données serait particulièrement exposée aux risques de cybercriminalité. Nul besoin d’être Besson ou Spielberg pour imaginer des scénarios catastrophes… De surcroît, le risque est amplifié par l’exigence d’une durée de conservation de dix ans prévue dans le texte, alors que la CNIL estime la durée de conservation de trois mois suffisante.

Troisièmement, les coûts financiers et les délais de mise en œuvre du dispositif proposé ne seraient pas soutenables.

La CNAM a chiffré pour Mme la rapporteure le coût de la mesure : renouveler le stock de cartes dans son intégralité supposerait de produire 3, 6 millions de cartes par an pendant vingt ans et d’embaucher massivement des agents affectés à la collecte des données biométriques, pour un coût en personnel estimé à 400 millions d’euros ; le coût de production de la carte passerait de 4, 40 à 15 euros avec l’introduction d’une donnée biométrique, pour une masse financière de 900 millions d’euros ; enfin, le coût de l’équipement de l’ensemble des professionnels de santé est estimé à 60 millions d’euros – sans compter le développement nécessaire de logiciels adaptés par tous les éditeurs de cartes Vitale. Au total, 1, 36 milliard d’euros : est-ce bien raisonnable ?

Quatrièmement, l’adhésion des professionnels de santé, indispensable, est loin d’être acquise et particulièrement difficile à obtenir pour un contrôle qui ne relève pas de leur exercice professionnel.

Mes chers collègues, résumons-nous : une expérimentation est déjà en cours ; la mesure aurait un coût exorbitant et insoutenable ; les données biométriques des Français seraient exposées aux hackers ; les professionnels de santé n’adhèrent pas au système envisagé. Autant de raisons pour lesquelles le groupe La République En Marche votera contre la proposition de loi.

Oui, la lutte contre la fraude est indispensable ; mais l’avenir, c’est l’e-carte Vitale !

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