Les crédits proposés en 2020 pour les outre-mer appellent deux séries d'observations : tout d'abord, on constate une baisse qui signale un risque de récession pour l'économie ultramarine ; j'avais évoqué ce risque dès l'an dernier mais les mesures prises en 2019 pourraient prendre leur plein effet cette année - j'y reviendrai. Cependant, une « session de rattrapage » de ce budget est en cours : en effet, certaines mesures approuvées en projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) peuvent améliorer la donne. Je précise qu'avant de repousser le PLFSS dans son ensemble sur la question des retraites, le Sénat y avait introduit un amendement qui prévoit très opportunément d'élargir les seuils d'exonérations de charges. Par ailleurs, dans les prochains mois, il faudra aussi relever le principal défi budgétaire qui est d'activer les crédits, en particulier dans le secteur du logement.
Ma première série de remarques porte sur l'évolution et le niveau des crédits. J'ai suivi ce budget pendant douze ans et c'est la première fois que je vois des crédits des outre-mer en diminution : auparavant on nous avait presque toujours présenté les chiffres sous un jour favorable. J'en tire deux principales leçons. Tout d'abord, il faut faire très attention aux changements de périmètre dans ce budget des outre-mer qui est très « composite ». Les outre-mer émargent bien entendu sur la quasi-totalité de la trentaine de missions du budget de l'État. Cependant, la mission outre-mer stricto sensu se limite à deux programmes et il suffit de faire varier leur périmètre pour faire apparaitre une hausse ou une baisse. Le plus bel exemple nous a été donné par la loi de finances 2017 : quelques mois avant des élections majeures, le budget des outre-mer a été artificiellement « gonflé » en décembre, grâce à une dotation qui a réintégré la mission « Éducation » quelques semaines après le vote. L'année suivante, on pouvait également faire croire à une hausse en dégonflant rétroactivement la base de calcul de l'année 2017...
Cette année, la documentation budgétaire me semble plus sincère avec une baisse marquée de 6,5 % en crédits de paiements et de 4 % en autorisations d'engagements.
Je mentionne quelques changements de périmètre qui concernent surtout la Polynésie et la Guyane avec un va-et-vient entre des dotations et des prélèvements sur recettes. J'attire votre attention sur le fait que ces modifications de « tuyauterie » ne sont pas neutres pour la liberté de manoeuvre des collectivités car les prélèvements sur recettes sont libres d'emploi alors que les dotations sont conditionnées et leur gestion relève assez largement des représentants de l'État.
Le Gouvernement s'efforce de trouver des qualificatifs rassurants, en parlant cette année d'un budget « préservé », avec, « à périmètre constant », une baisse des crédits de paiement limitée à 100 millions d'euros dont 34 millions « rattrapables » en loi de financement de la sécurité sociale et 66 qui sanctionnent la sous-consommation des crédits les années précédentes. Je reviendrai sur ces deux points.
J'ajoute un commentaire un peu plus lucide : ce budget démontre, une fois encore, que les arbitrages gouvernementaux conduisent à demander aux ultramarins de participer activement à l'effort de rigueur budgétaire alors qu'ils sont confrontés à des niveaux élevés de risques naturels et enregistrent un taux de chômage deux fois supérieur à celui de l'hexagone.
En ce qui concerne le niveau de ce budget, l'essentiel se résume, en fait, à la reconduction depuis huit ans d'une enveloppe avoisinant 2 milliards d'euros avec des crédits insuffisamment utilisés sur le terrain. J'ai entendu le Gouvernement faire valoir que l'enveloppe 2020 de 2,5 milliards d'euros se situe à un niveau historiquement élevé. Je rappelle que ce seuil a été atteint l'année dernière non pas dans l'enthousiasme mais avec un tollé de critiques d'une intensité rarement atteinte. En effet, les 500 millions supplémentaires correspondent d'une part, à la bascule du CICE en allègements de charges, avec un manque à gagner important, et d'autre part à la transformation de ponctions fiscales récurrentes en subventions par nature aléatoires et centralisatrices mais dont le Gouvernement nous avait garanti la pérennisation ; il s'agit de 100 millions d'euros sur les entreprises et 70 millions sur les ménages. Quand nous demandons au Gouvernement les modalités concrètes de réemploi de ces sommes, on nous répond que l'année en cours n'étant pas terminée, il nous faudra patienter jusqu'à l'année prochaine...
Sur des marchés ultramarins par nature étroits, la réduction des encaisses des ménages et des entreprises ainsi que l'imparfaite compensation du CICE produisent, en bonne logique, des effets récessifs. Je ne suis donc pas surpris des prévisions des organismes de sécurité sociale qui anticipent un moindre recours aux allègements de charges et le Gouvernement lui-même a compris qu'il fallait agir très vite pour rectifier le tir.
Pour relativiser l'importance des crédits, les rapports et avis budgétaires soulignent que les dépenses fiscales rattachées à la mission outre-mer représentent environ le double du budget. Or le montant des dépenses fiscales est très estimatif et elles obéissent à une politique restrictive : 5 milliards d'euros en 2018 et 4,6 milliards prévus pour 2020. J'ajoute que les taux de TVA réduits et les exonérations de taxe sur les carburants représentent plus de 80 % de ces dépenses fiscales. Par conséquent, il reste moins de 20 % pour les soutiens fiscaux plus particulièrement ciblés sur la construction et l'investissement productif.
S'agissant des préconisations sur ces aides fiscales : fondamentalement, je rappelle ma préférence pour le soutien ciblé sur des projets précis d'investissements à long terme. Ensuite, pour le logement, les opérateurs de terrain insistent sur le fait que les aides fiscales jouent un rôle moteur dans la réhabilitation et qu'il est donc pertinent de les perfectionner et, Madame la Présidente, comme vous l'avez rappelé, nous avons convaincu le Gouvernement qu'il fallait rétablir l'aide à l'accession à la propriété. Enfin, il faut aussi introduire plus de précision dans certaines définitions et favoriser ce qu'on peut appeler le « fair play » juridique et fiscal pour pas « casser » la confiance des investisseurs et ne pas fragiliser les entrepreneurs de bonne foi.
On cite également chaque année les calculs effectués dans le document orange de politique transversale qui totalise les crédits alloués aux outre-mer par les 30 missions du budget de l'État. Je me félicite du changement apporté à sa présentation : on ne parle plus d'« effort de l'État » pour les outre-mer mais de la nécessité de favoriser le « réflexe outre-mer » dans l'ensemble des ministères. Je précise que les 22 milliards d'euros qu'il retrace - ce chiffre étant stable par rapport aux années antérieures - correspondent à des services publics de base. Il s'agit non pas d'une « faveur » mais d'une participation encore insuffisante de l'État au développement ultramarin avec 3,9 % des dépenses du budget de l'État pour 4,3 % de la population.
Je vous propose, dans le second axe de mon exposé, des mesures immédiates et des propositions pour donner plus de percussion à ce budget pour 2020 : favoriser l'embauche, retenir les talents ultramarins, investir et activer les crédits.
Par souci de brièveté, je me concentrerai sur les deux points fondamentaux : les allègements de charges et les crédits au logement.
Les autres dotations sont, pour l'essentiel, reconduites et je mentionne ici simplement l'effort accru en matière de service militaire adapté (SMA) : la performance de ce dispositif est remarquable puisqu'il permet à 80 % des jeunes stagiaires de trouver un emploi et, au cours des auditions, la qualité de leur prestation au travail est régulièrement saluée par les entrepreneurs ultramarins.
J'en viens aux allègements de charges qui représentent à eux seuls plus de 60 % des crédits. Le budget des outre-mer est donc ici un prolongement des décisions prises en loi de financement de la sécurité sociale.
Aujourd'hui le problème posé renvoie à l'application de la « bascule », décidée l'an dernier, du CICE (un crédit d'impôt qui relevait des lois de finances) en allègements de charges (relevant du PLFSS) : à la base, le CICE à 9 % été transformé en un allègement de charges de 6 %. S'y ajoute le rabotage des exonérations qui avaient été introduites par la loi dite Ledeom : elles favorisaient l'embauche jusqu'à 3 voire 4 smic alors que le nouveau dispositif a concentré les allègements sur les bas salaires avec un risque de « smicardisation » et de fuite des talents. Les entreprises ultramarines ont donc subi un considérable manque à gagner dans ce recyclage. Cette année, les députés ont adopté en PLFSS une mesure de rattrapage présentée par le Gouvernement et le Sénat a approuvé le 13 novembre dernier un rehaussement des seuils d'exonérations dans les secteurs exposés à la concurrence. J'espère que cette mesure, qui a été adoptée par le Sénat contre l'avis de la commission et du Gouvernement, pourra être sauvegardée au cours de la navette qui va suivre l'échec de la commission mixte paritaire.