Intervention de Muriel Pénicaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 novembre 2019 à 16h30
Projet de loi de finances pour 2020 — Audition de Mme Muriel Pénicaud ministre du travail

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Je suis ravie de vous retrouver pour répondre à vos questions sur la mission « Travail et emploi ». Je rappellerai tout d'abord en quelques mots la philosophie générale de notre action que porte ce budget.

Comme vous le savez, au cours des deux dernières années, nous avons posé les fondations d'une nouvelle politique de l'emploi fondée sur les compétences et la liberté donnée aux acteurs, au travers notamment des ordonnances révisant le code du travail, la réforme de l'apprentissage et de la formation, le plan d'investissement dans les compétences (PIC) et la réforme de l'assurance chômage.

La clé de voûte de notre politique est l'émancipation par le travail et la formation. L'année 2020 sera l'année de l'approfondissement de la mise en oeuvre opérationnelle de la transformation de la politique de l'emploi et de la montée en charge des dispositifs issus de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

C'est dans cet esprit de transformation, en multipliant les déplacements sur le terrain et en favorisant le dialogue avec les acteurs, que j'ai construit le budget de l'emploi et de la formation professionnelle. En 2020, le budget global de la mission « Travail et emploi » s'élève à 13,7 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 13 milliards d'euros en crédit de paiement (CP). Il progresse par rapport à 2019, avec une stabilisation des AE et une progression de 210 millions d'euros des CP, marquant la volonté du Gouvernement de poursuivre les efforts de transformation et de les voir s'inscrire de façon concrète dans la vie de nos concitoyens.

Nous donnons la priorité à l'inclusion dans l'emploi. L'insertion par l'activité économique (IAE) constitue le premier volet de cette politique. Au moment où la croissance repart et que le chômage recule, il est primordial que les personnes les plus vulnérables soient replacées au coeur des politiques d'inclusion en cohérence avec l'objectif d'émancipation porté par la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Cette stratégie trouve son aboutissement dans le Pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique. Il est le fruit d'une concertation de plus de six mois avec les représentants du secteur et a été présenté au Président de la République le 10 septembre dernier, à Bonneuil-sur-Marne. Ainsi, le budget pour 2020 prévoit une augmentation historique du financement des aides au poste dans les structures de l'insertion par l'activité économique : 83 000 équivalents temps plein (ETP) seront financés dans le cadre du Fonds d'inclusion dans l'emploi, soit environ 7 000 ETP de plus que dans la loi de finances initiale pour 2019. Notre objectif est que 15 000 à 20 000 personnes de plus puissent accéder à l'insertion par l'activité économique dès 2020, car elle donne de très bons résultats avec un taux d'insertion de plus de 60 %. Pour cela, le budget est augmenté de 120 millions d'euros, dépassant pour la première fois la barre symbolique du milliard d'euros. À l'horizon de 2022, nous espérons que 100 000 personnes auront bénéficié de ce dispositif.

Le deuxième volet repose sur le développement des entreprises adaptées. En cette semaine pour l'emploi des personnes handicapées, permettez-moi de rappeler l'engagement fort du Gouvernement en faveur de l'inclusion dans l'emploi des personnes handicapées. J'ai d'ailleurs installé lundi, avec mes collègues Sophie Cluzel et Olivier Dussopt, le comité de suivi et d'évaluation de la réforme de la politique d'emploi des personnes handicapées. Le projet de loi de finances réaffirme l'engagement du Gouvernement en faveur des entreprises adaptées qui jouent un rôle essentiel pour l'insertion des personnes handicapées les plus éloignées de l'emploi, comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises, sur le terrain, à l'invitation du président de l'Union nationale des entreprises adaptées (UNEA), Cyril Gayssot, tant, le 26 avril, dans l'Entreprise FMS, à Saint-Geours-de-Maremne dans les Landes, que le 10 octobre dernier, lors du lancement à Pau, de l'Inclusive tour. J'ai aussi pu mesurer à nouveau, à ces occasions, la nécessité d'une transformation et les attentes du secteur. C'est précisément le sens de l'engagement national « Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022 », que nous avions signé avec Sophie Cluzel, le 12 juillet 2018, avec l'UNEA, l'APF France Handicap et l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei). Son ambition, sans précédent, est de changer d'échelle et de doubler, d'ici à 2022, le nombre de personnes en situation de handicap en emploi grâce aux entreprises adaptées, soit de passer de 40 000 à 80 000 personnes.

L'appui financier de l'État à la transformation des entreprises adaptées se poursuit donc, en 2020, avec un budget de 403 millions d'euros, en augmentation de 7 millions par rapport à 2019. Au total, nous voulons, grâce à ce budget et à la contribution de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (l'Agefiph), que 6 000 à 10 000 personnes supplémentaires accèdent aux entreprises adaptées dès 2020. Parallèlement, le PIC crée un système d'incitation à la formation des travailleurs handicapés - 8 % des formations leur sont réservées - pendant la durée de leur CDD tremplin ou contrat de mission.

Ces efforts sont complétés par 100 000 nouveaux parcours emploi compétences (PEC), qui remplacent les contrats aidés. Dès l'été 2017, le Gouvernement a décidé, en effet, de recentrer les contrats aidés afin d'en faire de véritables outils d'insertion durable dans l'emploi, avec un accent mis sur la qualité de la formation plutôt que sur la quantité. Les premiers résultats sont là : le taux d'insertion dans l'emploi durable à l'issue d'un contrat aidé a progressé de cinq points entre fin 2017 et fin 2018. L'effort de transformation de ces contrats s'est poursuivi, avec le déploiement des PEC qui renforcent davantage encore les engagements des employeurs, ainsi que la formation et l'accompagnement des salariés pendant la durée des contrats.

L'expérimentation des emplois francs, lancée le 1er avril 2018, se poursuit et sera généralisée, début 2020, à l'ensemble des quartiers relevant de la politique de la ville (QPV). L'enjeu est de lutter contre les discriminations à l'embauche dont sont victimes les habitants de ces quartiers. Le budget prévoit une enveloppe de 233,6 millions d'euros en AE et 80 millions d'euros en CP pour financer ce dispositif. Nous visons 40 000 personnes en contrat fin 2020.

L'expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée » bénéficiera d'un budget de 28,5 millions d'euros, en progression de 6 millions par rapport à l'an dernier. J'ai rencontré Laurent Grandguillaume, président de l'association « Territoires zéro chômeur de longue durée », Michel de Virville et Louis Gallois. Nous avons eu un échange très constructif. Nous partageons la conviction qu'il s'agit d'un dispositif innovant, qu'il faut soutenir et développer. Lundi prochain, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d'une part, et le comité scientifique d'autre part, nous remettront chacun un rapport d'évaluation à mi-parcours sur la base desquels nous engagerons une discussion avec les acteurs pour améliorer l'expérimentation, la prolonger et la développer. Cette évaluation, qui, d'après la loi, n'aurait dû être réalisée que l'année prochaine, a été anticipée à la demande des acteurs.

J'en viens aux acteurs de l'accompagnement. Opérateurs essentiels de l'accompagnement et de l'insertion des jeunes, les missions locales bénéficieront d'une inscription de crédits à hauteur de 371,94 millions d'euros en 2020, soit une hausse de 21 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Ces financements assurent la mise en oeuvre de la stratégie pluriannuelle de performance des missions locales. Ils sont désormais globalisés en gestion et couvrent à la fois la convention pluriannuelle d'objectifs et l'accompagnement des jeunes qui bénéficient de la Garantie jeunes. Cette globalisation des crédits introduit plus de souplesse et favorise une approche décloisonnée des dispositifs. Le montant prévu en 2020 intègre aussi le financement de la mise en oeuvre de l'obligation de formation, instaurée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Je rencontrerai d'ailleurs vendredi prochain, à Metz, les responsables de la mission locale, qui m'est chère, et les jeunes bénéficiaires des actions de la mission.

S'agissant de la subvention pour charges de service public versée à Pôle emploi, le budget prévoit un montant de 1 235,9 millions d'euros, soit une baisse de 136,8 millions d'euros par rapport à l'an dernier. Cependant, cette baisse est plus que compensée par l'augmentation de la contribution de l'Unédic, qui progresse sous l'effet conjugué du dynamisme de la masse salariale et du passage de 10 % à 11 % des contributions d'assurance chômage qui lui sont affectées. Pôle emploi disposera de 622 millions d'euros de ressources supplémentaires en 2020. Celles-ci lui permettront de mettre en oeuvre les évolutions issues de la loi du 5 septembre 2018 et surtout de transformer ses modalités d'accompagnement, conformément à la convention tripartite entre l'État, l'Unédic et Pôle emploi, signée à l'issue d'une large concertation avec les partenaires sociaux.

S'agissant des maisons de l'emploi, nous avons échangé avec le réseau Alliance Villes Emploi, présidé par Nathalie Delattre, sur la nécessité de poursuivre l'effort de transformation du réseau. Aussi, comme je l'avais indiqué dès mon audition par la commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale, j'ai donné un avis favorable à un amendement autorisant un financement à hauteur de 5 millions d'euros pour 2020, soit au même niveau qu'en 2019. Il permettra d'accompagner l'évolution des maisons de l'emploi, en leur donnant une meilleure visibilité et une capacité accrue pour candidater à des appels à projets dans le cadre du PIC pour développer des projets innovants.

Nous poursuivrons aussi la montée en puissance du PIC, avec un nouvel engagement de près de 3 milliards d'euros, financé, à parts égales, par des crédits budgétaires et par la contribution des entreprises, via France compétences. L'année 2020 doit ainsi constituer l'année du plein déploiement des actions.

Les crédits seront mobilisés dans quatre directions. Tout d'abord pour mettre en oeuvre des parcours de formation qui seront déployés dans le cadre des pactes régionaux sur la période 2019-2022, 1,7 milliard d'euros sont ainsi provisionnés pour la seule année 2020.

Il s'agit aussi de consolider les mesures d'accompagnement des jeunes du Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'autonomie et l'emploi (Pacea) et d'atteindre l'objectif de 100 000 jeunes bénéficiant de la Garantie jeunes. Ces mesures représenteront environ 575 millions d'euros en 2020. Le PIC permettra également de renforcer les capacités d'accueil dans les écoles de la deuxième chance (E2C) et les établissements pour l'insertion dans l'emploi (Epide).

Les crédits permettront également de repérer les invisibles, les jeunes sans emploi ni formation, qui ne sont pas suivis par le service public de l'emploi, pour mieux les accompagner et les former : près de 60 millions d'euros seront investis en 2020 pour financer la mise en place d'actions de repérage de ces jeunes décrocheurs dans le cadre d'un appel à projets « Repérage ».

Enfin, il s'agit de promouvoir les expérimentations portant des approches innovantes sur des problématiques ciblées, telles que la remobilisation et le retour à l'emploi dans les QPV par l'appel à projets « 100 % inclusion » ou la préparation à l'apprentissage. L'expérimentation du parcours intégré d'insertion « hébergement, orientation et parcours vers l'emploi » (HOPE) se poursuivra au profit de 1 500 réfugiés bénéficiaires d'une protection internationale, avec un taux d'embauche de 90 %.

La mise en oeuvre de la réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage se poursuivra en 2020. L'année 2019 aura été une année de profonde transition, avec la mise en place de France Compétences ou encore la création de onze nouveaux opérateurs de compétences (OPCO), à la place des 20 organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) préexistants, avec des missions recentrées sur le développement de l'apprentissage et l'appui aux TPE. L'année dernière a aussi vu le déploiement du nouveau compte personnel de formation, « Mon Compte Formation », qui trouvera son aboutissement demain, avec le lancement d'une application mobile dédiée. Cette application sera un élément clé du mouvement de transformation de la formation professionnelle que nous avons initié, donnant accès à 26 millions d'actifs à leurs droits et au choix de leur formation.

Les crédits du programme 111 augmentent sensiblement pour pouvoir financer l'organisation des élections syndicales visant à déterminer l'audience syndicale dans les petites entreprises.

Au-delà, mon ministère poursuit ses efforts dans le cadre de l'objectif gouvernemental global de réduction des effectifs. En 2020, la baisse sera de 226 emplois soit un taux d'effort de 2,6 %, identique à celui de 2019.

Cet effort s'inscrit plus largement dans le cadre de la réorganisation des services territoriaux de l'État initiée cette année par le Premier ministre. Un nouveau service public de l'insertion, sous l'autorité des préfets, regroupera l'ensemble des compétences contribuant à l'accompagnement, de l'hébergement d'urgence à l'insertion par l'activité économique jusqu'à l'emploi.

Enfin, le ministère relèvera le défi du numérique par le biais de la modernisation des systèmes d'information du ministère et surtout le lancement du code du travail numérique au 1er janvier 2020.

Un mot pour conclure sur les articles rattachés. La réforme de l'aide à la création ou à la reprise d'une entreprise (Acre) s'inscrit dans la même volonté de recentrer les crédits vers les personnes les plus éloignées de l'emploi. L'Acre est une exonération totale de cotisations de sécurité sociale, hors CSG et CRDS, pour la première année d'activité. Initialement réservée aux demandeurs d'emploi qui créent leur activité, elle bénéficie, depuis le 1er janvier dernier, à tous les créateurs d'entreprise, quelle que soit leur situation, y compris pour la création d'une micro-entreprise. Le projet de loi de finances prévoit un ajustement du dispositif pour réduire les effets d'aubaine identifiés, et ainsi maîtriser le montant de l'exonération de début d'activité, recentrer le mécanisme sur le public initialement visé, c'est-à-dire les créateurs et repreneurs d'entreprise donnant lieu à une activité économique nouvelle, et enfin rétablir l'équité entre les travailleurs indépendants, en alignant le niveau d'exonération pour les micro-entrepreneurs sur celui des travailleurs indépendants. L'exonération sera également limitée à un an pour tout le monde. Ces deux mesures sont prévues par un décret qui entrera en vigueur au 1er janvier 2020. Le PLF réserve par ailleurs l'exonération pour les micro-entrepreneurs aux chômeurs créateurs d'entreprises à compter de 2020 afin de cibler l'aide sur les publics les plus éloignés de l'emploi. Les crédits prévus pour financer cette mesure s'élèvent à 743 millions d'euros, soit une progression conséquente de 216 millions d'euros par rapport à l'an passé, malgré la réforme.

Ensuite, comme vous le savez, nous avons décidé de stabiliser les exonérations de charges pour les services à la personne pour les personnes de 70 ans et plus, quel que soit leur niveau de revenu, que ces personnes soient dépendantes ou non. Pour financer cette stabilisation, nous avons recherché des économies de l'ordre de 120 millions d'euros. En effet, la suppression envisagée de ces exonérations entraînait un coût pour la sécurité sociale à hauteur du report sur les allègements généraux de charges sociales estimé à 125 millions d'euros, ramenant l'économie à 198 millions d'euros. Après prise en compte du crédit d'impôt, qui aurait été plus élevé puisque les bénéficiaires de l'exonération auraient payé plus cher la prestation après suppression de l'exonération et auraient donc bénéficié d'un crédit d'impôt supérieur, l'économie pour l'ensemble des administrations publiques était estimée à 101 millions d'euros au titre de 2020. À compter de 2021, l'économie nette totale toutes administrations publiques confondues et après prise en compte de l'effet sur le crédit d'impôt, était estimée à environ 120 millions d'euros par an.

Ce sont ainsi 120 millions d'euros d'économies qui ont été recherchées sur le budget de la mission « Travail emploi », et que nous pouvons intégrer sur le PIC, en raison de son caractère pluriannuel. Le léger retard pris sur certains projets permet de décaler le lancement de certaines formations du dernier trimestre 2020 au premier trimestre 2021, permettant ainsi de réaliser les économies, sans pénaliser les demandeurs d'emploi. C'est le sens des amendements déposés par le Gouvernement et votés par l'Assemblée nationale le 6 novembre dernier.

En conclusion, ce budget porte deux grandes ambitions : intensifier l'effort d'inclusion et d'émancipation par l'emploi, d'une part, et stimuler la création d'emplois, grâce à la réforme de l'alternance et de la formation professionnelle, d'autre part.

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