Après la présentation générale des crédits qui vous a été faite par Hélène Conway-Mouret, je voudrais d'une part vous présenter rapidement la conséquence concrète des crédits inscrits, c'est-à-dire les matériels dont la livraison est prévue pour 2020, ainsi que les principales commandes effectuées, et m'attarder sur un dossier qui a particulièrement retenu mon attention, celui du drone européen de moyenne altitude-longue endurance MALE, dit Eurodrone.
Pour commencer avec cette question très sensible du drone MALE, je voudrais tout d'abord rappeler le contexte. Il s'agit d'un grand programme de coopération européenne. Airbus défense and Space est le leader du projet, pour environ 50 %. Dassault représente environ 35 %, et l'italien Leonardo les 15 % restant.
Je rappelle aussi que la dernière loi de programmation militaire (LPM) repose en partie sur l'hypothèse que nous parviendrons à équiper nos forces pour moins cher en travaillant en coopération européenne. L'idée est simple et connue : en mutualisant les coûts de développement, d'une part, et en augmentant le nombre d'exemplaires produits du fait des besoins cumulés des différents pays européens participant au programme, on espère obtenir un matériel de meilleur niveau, à un coût moindre.
Evidemment, ces objectifs louables contrastent avec les difficultés inhérentes à tout partage de la décision entre plusieurs pays. Les écueils sont de deux natures : le risque de sur-spécification. Concrètement, si chacun fait sa demande spécifique, qui diffère légèrement ou largement de celle des autres partenaires, on finit par chercher à produire un mouton à cinq pattes.
Second écueil : la logique industrielle, c'est-à-dire, pour parler crûment, l'absence de logique industrielle qui conduit d'abord, pour un pays, à réclamer la partie sur laquelle il est le moins compétent, pour chercher à monter en gamme et acquérir une compétence ; et ensuite la logique de retour géographique qui consiste à réclamer pour son industrie une part au moins égale à son financement du programme..
Quand on combine ces deux écueils, on rencontre les difficultés de l'A400M...
Toute la question de l'Eurodrone est donc de savoir s'il est parvenu à éviter ces écueils. Eh bien, nous sommes parvenus, dans le cadre de notre rapport sur le programme 146, à une conclusion peu rassurante. Il semble qu'il y ait une difficulté majeure sur le prix. Il semble que l'écart entre le prix attendu par la DGA et le prix proposé par les industriels soit de près de 30 %. Autant dire qu'il y a péril, car le risque est grand, qu'à ce prix-là, les Etats qui participent au programme n'achètent pas (sans même parler des perspectives d'exportation, qui seraient compromises par un prix trop élevé). La France a voulu être vertueuse, en n'annonçant à ce stade qu'une commande réaliste de 4 systèmes de drones MALE européen, quand l'Allemagne en annonce 7, et l'Espagne et l'Italie 5.
La tentation pourra alors exister, même pour les pays qui ont participé à ce programme, soit d'acheter un matériel non-européen, soit du moins d'acheter un vecteur sur étagère, pour y greffer une charge nationale. La faisabilité d'une telle solution de repli resterait évidemment encore à expertiser. Mais la question du prix se pose aujourd'hui de façon aigüe. Il reste quelques semaines aux industriels et à la DGA pour se mettre d'accord. Il faut souhaiter que ce dossier puisse évoluer de façon favorable, car rappelons que l'Eurodrone devrait être une des composantes du SCAF.
J'en viens maintenant aux livraisons. La trajectoire d'augmentation des crédits du programme 146 permet des avancées significatives, qui se traduisent par l'arrivée dans les forces, en 2020, de nombreux matériels :
Pour l'armée de terre, sont notamment prévus :
- 128 blindés Griffon (contre 3 en 2018 et 89 en 2019). Je précise que nous avons à nouveau contrôlé le niveau des livraisons actuel. Ont été livrés à ce jour 38 Griffon. 16 devraient être livrés d'ici la fin de la semaine prochaine, soit 54 à la fin novembre. L'objectif de 92 livrés à fin décembre semble donc possible, si ce rythme exigeant est tenu ;
- les 4 premiers Jaguar (successeur de l'AMX 10 RC) ;
- 12.000 fusils d'assaut HK 416F (soit 50 % de plus qu'en 2019) ;
- 7 hélicoptères NH90 Caïman ;
- 1.000 VLTP (véhicules légers tactiques polyvalents, successeur du P4) ;
- 1 système de drone tactique (SDT) Patroller, dont il est désormais prévu qu'il soit armé, comme le CEMAT nous l'avait confirmé lors de son audition, et comme le DGA nous l'a encore redit la semaine dernière, puisqu'une étude de levée de risques a été commandée. Il faut rappeler que, sans possibilité d'armer ce drone, ses perspectives d'exportation auraient été restreintes.
Pour la marine, ce seront bien sûr le Suffren (SNA de classe Barracuda), 2 ATL 2 rénovés, 2 hélicoptères NH90 Caïman Marine ;
Pour l'armée de l'air, les livraisons sont également très importantes :
- 2 A400M Atlas ;
- 1 MRTT Phénix (avion de transport et de ravitaillement) ;
- 1 ravitailleur KC-130J ;
- 2 Mirage 2000D rénovés ;
- 1 système Reaper.
Pour l'espace, puisqu'il convient désormais d'identifier ce domaine de façon spécifique, le deuxième satellite MUSIS/CSO.
Je passerai plus rapidement sur les commandes : il est prévu de commander en 2020, notamment, pour l'armée de terre, 271 Griffons, 364 Serval, 42 Jaguar, la rénovation de 50 Leclerc ; pour la marine nationale, 3 avions de surveillance Hawkeye, 7 avions de surveillance maritime et 2 modules de lutte contre les mines (programme SLAMF) ; pour l'armée de l'air, 4 C130-H rénovés et les 4 premiers systèmes MALE, si nous avons pu nous entendre sur le prix. En revanche, je rappelle pour mémoire qu'il n'y a pas de livraisons de Rafale prévues pour 2020 ni 2021, ce qui portera donc à 5 ans la durée sans livraison d'exemplaire neuf de cet appareil.
Au vu de ces différents éléments, je vous propose d'émettre un avis favorable aux crédits du programme 146.