Intervention de Jean-Pierre Moga

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 novembre 2019 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « recherche et enseignement supérieur » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-Pierre MogaJean-Pierre Moga, rapporteur pour avis :

Nous examinons aujourd'hui un budget de continuité pour la recherche. Continuité, car les crédits poursuivent leur augmentation, de 2 % en crédits de paiement et de 3 % en autorisations d'engagement, pour atteindre près de 15,5 milliards d'euros. C'est évidemment bienvenu et il faut saluer cet effort.

Mais la continuité, en l'espèce, c'est aussi le manque d'ambition, car nous sommes dans l'attente de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche annoncée en février dernier par le Premier ministre.

L'enjeu est de taille car notre pays est à la traîne : notre effort de recherche - mesuré par la part de recherche et développement (R&D) dans le produit intérieur brut (PIB) - stagne depuis plus de trente ans, entre 2,2 et 2,25 % du PIB, loin de l'objectif que nous poursuivons depuis le début des années 2000, qui est de parvenir à 3 % du PIB. Or, des pays comparables au nôtre y sont parvenus, je pense, en particulier, à l'Allemagne. En valeur absolue, la situation est encore plus inquiétante : l'Allemagne dépense plus de deux fois plus que nous en R&D : 132 milliards de dollars contre 65 milliards de dollars en 2017 !

Il y a donc du chemin à parcourir. La recherche publique doit atteindre 1 % du PIB. Il faudra probablement lier la hausse des budgets publics à un assouplissement des règles régissant les organismes de recherche afin de renforcer leurs performances scientifiques et l'attractivité des carrières.

Mais le bât blesse surtout sur la recherche privée, en particulier en raison de la faiblesse de l'industrie dans notre structure économique. Mais, outre la politique industrielle, la politique de recherche et d'innovation peut inciter la recherche publique à travailler avec le secteur privé. L'un des enjeux de la loi de programmation sera de poursuivre le renforcement de ces liens et d'accroître la dynamique visant à passer du laboratoire au produit.

Même si le budget augmente, on aperçoit certaines incohérences. Le Gouvernement entend donner la priorité à l'innovation. Pourtant, le financement des aides à l'innovation octroyées par Bpifrance sur l'ensemble du territoire poursuit sa chute : il était de 250 millions d'euros en 2012 ; le Gouvernement propose un budget de 100 millions cette année, soit une baisse de 20 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Daniel Dubois avait alerté, dans son rapport sur le budget pour 2019, sur la nécessité de ne pas réduire davantage cette dotation, estimant qu'un point bas avait été atteint. Ces aides, qui s'inscrivent à un stade très amont, sont essentielles à l'émergence d'entreprises innovantes et peuvent être vues comme la base du continuum de financement que Bpifrance met en place depuis son existence. Autrement dit, c'est un maillon essentiel de la chaîne de financement des entreprises innovantes. Alors que notre pays essaie de bâtir un écosystème favorable, poursuivre la baisse de ces aides est un signal particulièrement négatif.

Cela a été dit lors de l'examen de la mission « Économie », les entreprises ont besoin de stabilité dans les dispositifs d'accompagnement. Les politiques en faveur de l'innovation doivent être stables et lisibles, sans quoi il s'agit de coups d'épée dans l'eau. Je vous proposerai un amendement pour limiter cette dynamique dangereuse.

Deuxième incohérence : le Gouvernement donne la priorité à la recherche collaborative, en renforçant le soutien aux Instituts Carnot. C'est bien, mais dans le même temps le financement des projets de recherche des pôles de compétitivité diminue et devient moins lisible. Les pôles sont aujourd'hui ballotés entre l'État et les régions sans que la transition ne soit organisée ni mûrement réfléchie. Cela se fait au détriment de leurs projets ! Il faut d'urgence clarifier la situation. Ce désengagement de l'État se traduit également à travers la suppression de la ligne budgétaire dédiée au programme Cap'Tronic, qui visait à la diffusion des technologies du numérique dans les TPE et PME de l'ensemble des secteurs industriels. L'État estime à nouveau que c'est aux régions de reprendre le flambeau.

Enfin, il semble que le Gouvernement ne respecte pas ses promesses. Il avait promis de sanctuariser le crédit d'impôt recherche. Il le rabote en se basant sur un rapport de la Cour des comptes qui date déjà d'il y a six ans ! Cette opération rapportera 230 millions d'euros. Mais aucune étude quant à l'impact de cette décision sur les entreprises n'a été réalisée !

Par ailleurs, je souhaite souligner, dans le prolongement des remarques de Daniel Dubois, le manque de lisibilité croissant de la politique de recherche et d'innovation. Aux crédits budgétaires s'ajoutent ceux des programmes d'investissement d'avenir (PIA) et le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII). Parfois, l'un prend le relais de l'autre, et inversement. Le dernier né de ces véhicules financiers, le FII, s'apparente, comme l'a déjà souligné notre collègue Alain Chatillon, à une débudgétisation. Ce sont ainsi 250 millions d'euros qui échappent chaque année à un contrôle systématique des parlementaires. Or, comme le PIA avant lui, il finance des dépenses qui relèvent pourtant clairement de la mission que nous examinons. Ces dispositifs sont mis en oeuvre par une multiplicité de structures : les ministères, le secrétariat général pour l'investissement, le Conseil de l'innovation, j'en passe ! Une rationalisation s'impose ! C'est un enjeu démocratique, celui de la transparence des fonds publics, mais aussi économique : comment rendre efficaces des dépenses dont personne ne parvient vraiment à effectuer le suivi ?

Je prendrai un exemple concret : le plan pour l'intelligence artificielle annoncé l'année dernière, et dont notre collègue Daniel Dubois avait analysé les prémices. Son financement est éparpillé dans différentes missions budgétaires, le PIA et le FII. Une annexe de suivi de ce plan devrait être fournie aux parlementaires dans le cadre de l'examen des lois de finances. C'est un enjeu absolument crucial pour la compétitivité de notre économie à long terme si nous ne voulons pas être dépassés, la moindre des choses est de tenir les parlementaires bien informés !

J'en termine par quelques points de vigilance sur le financement des organismes de recherche. Il est écrit dans le bleu budgétaire que les crédits d'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) augmenteront de 30 millions d'euros afin de parvenir à une hausse du taux de sélection de l'Agence et, ainsi, éviter de décourager les chercheurs à candidater à ses appels à projets. Mais nous votons un budget en baisse ! Et nous n'avons aucune garantie quant au montant qui sera effectivement versé car la hausse mise en avant par le Gouvernement dépend du taux de mise en réserve, lequel n'est pas encore arrêté ! Or, selon qu'il sera de 3 ou 4 %, on passera de près de 30 millions d'euros de hausse à près de 20 millions d'euros. La seconde hypothèse serait un signal particulièrement négatif.

Par ailleurs, les établissements de recherche doivent toujours faire face à un glissement vieillesse-technicité défavorable, estimé à 30 millions d'euros. Cela s'est traduit par la suppression de plus de 3500 ETPT entre 2012 et 2018. Le personnel de recherche ne doit pas être la variable d'ajustement !

Du reste, certains établissements de recherche connaissent toujours une situation délicate. C'est en particulier le cas de l'IFP-EN, qui voit sa subvention décroître à nouveau alors qu'une logique de stabilisation apparaissait jusqu'alors garantie. Le Gouvernement doit s'assurer de la stabilité de ses crédits afin que l'établissement puisse monter en compétence sur la transition énergétique et les énergies nouvelles.

Enfin, je m'interroge sur la capacité du Gouvernement à bien utiliser l'argent public. Après un audit de son fonds de roulement, le CNRS a identifié 90 millions d'euros comme étant libres d'engagement. À ce jour, il n'a pu en utiliser que 48. Autrement dit, 42 millions d'euros restent inemployés. Alors même que le CNRS souhaite les utiliser pour financer des dépenses de pré-maturation, des recherches interdisciplinaires et des doctorats, on le lui refuse.

Enfin, quelques mots pour finir sur une note positive : la fusion de l'Inra et de l'Irstea semble se passer dans de bonnes conditions. Une ligne budgétaire de 2,5 millions d'euros est d'ailleurs prévue pour financer l'alignement des régimes indemnitaires. Le nouvel établissement dénommé Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, sera le nouveau géant français de la recherche dans ces domaines, confrontés à des défis d'ampleur mondiale.

Malgré les incohérences et le manque de lisibilité de la politique du Gouvernement, force est de reconnaître qu'il fait un effort pour financer la recherche. Je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous soumets.

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