Je relève, incidemment, que le régime actuel comporte en soi une incitation, certes contestable mais effective, à ne pas liquider trop tôt alors que le futur régime en préservant mieux la valeur actuarielle des cotisations anciennes offre davantage de possibilités de moduler l'âge de départ aux affiliés à carrières longues.
En bref, le levier pour assurer l'équilibre financier du régime, c'est un bouquet entre la valeur de conversion du point et l'adaptation de l'âge-pivot. En fonction du mélange choisi, il y aura moins de pension plus longtemps ou plus de pension moins longtemps. La liberté de choix individuel est toisée par un âge tutélaire destiné à éviter de trop faibles pensions dit-on. En tout cas, le système ne s'ajuste pas par l'âge légal, inchangé à 62 ans, ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise issue, compte tenu des effets ambigus de l'augmentation de l'âge légal. Il faut toutefois s'interroger sur l'ampleur des effets de sauvegarde liés au mécanisme de l'âge-pivot, mécanisme qui n'empêchera pas la perpétuation des asymétries nécessairement associées à toute condition d'âge, tout en les redistribuant en partie par rapport à la situation actuelle. Les femmes et les cadres en emploi seront moins pénalisés. Les carrières longues seront plus sollicitées. Pour les seniors sans emploi cela dépendra de leur carrière professionnelle : plus ils auront accumulé de points, moins ils seront touchés.
Il faudrait réfléchir à un mécanisme d'ajustement prenant mieux en compte les niveaux cibles de taux de remplacement.
Le niveau de vie moyen des retraités est égal à 106 % de celui des actifs et, même si les retraites ne contribuent qu'à 70 % des revenus des retraités, elles sont immunisées, en régime normal, contre les pertes de pouvoir d'achat. Néanmoins, si l'ajustement devait porter sur la valeur de conversion du point, cela poserait un problème pour les petites pensions d'autant qu'un engagement a été pris de les garantir à 85 % du SMIC net. Il sera difficile d'ajuster uniformément la valeur de conversion du point sauf à prendre le risque de ne pas respecter le seuil du minimum contributif.
Dans ce contexte, il apparaît que le taux de remplacement des pensions des fonctionnaires baissera, comme dans le régime actuel à l'instar des évolutions prévues hors réforme mais sans doute davantage. Les primes des fonctionnaires, qui seront intégrées au régime universel, s'élèvent en moyenne à 20 % de la rémunération dans la fonction publique civile. Il en résulte un sérieux problème : outre que le taux effectif des cotisations se rapprochera du taux nominal, avec des impacts élevés sur les rémunérations nettes, pour tous les fonctionnaires à faible taux de prime, le rendement de leurs contributions sera nettement réduit.
Ces fonctionnaires supporteront notamment le financement des avantages relatifs conférés aux fonctionnaires à fort taux de prime qui sont censés accompagner, en les amortissant, les impacts de la réforme pour les fonctionnaires ; or, les fonctionnaires susceptibles de supporter cette charge sont les plus nombreux puisqu'il s'agit des fonctionnaires de l'éducation nationale. En revanche, les bénéficiaires de l'intégration des primes sont, soit les catégories actives, soit les catégories A+. Pour ces deux catégories de fonctionnaires, l'intégration des primes peut offrir une compensation aux effets défavorables de la réforme, cet effet étant plus ou moins assuré en fonction de la séquence suivie par les primes au cours de la vie active. Par ailleurs, pour les catégories « actives », il faut tenir compte de la perspective d'un raccourcissement de la durée de perception de la pension et du fait que l'architecture des primes pourrait être modifiée par une réforme qui est sous-tendue par une banalisation des statuts. Il peut donc y avoir pour ces fonctionnaires une baisse du taux de rendement contributif instantané en même temps qu'une réduction de la période de service de la pension, avec un impact négatif amplifié sur le rendement actualisé sur le cycle de vie.
Il ne faut donc pas écarter un risque financier d'augmentation des rémunérations afin de compenser des évolutions trop brutales, comme c'est déjà arrivé dans le passé dans le cadre des réformes des régimes spéciaux, et un risque d'équité du fait des effets très fortement asymétriques de l'intégration des primes.
Il existe, enfin, un dernier risque lié au processus de transition entre le monde actuel et le monde nouveau, risque qui sera d'autant plus fort que l'ajustement de court terme évoqué plus haut pour combler le déficit du système se produirait plus vite.
Incidemment, j'indique que, pour les fonctionnaires il est techniquement impossible de convertir les droits actuellement constitués dans les droits du nouveau régime. Il n'y a pas d'informations sur les primes versées dans le passé aux fonctionnaires du fait du règlement sur la protection des données et parce que les primes n'étant pas liquidables n'intéressaient pas les gestionnaires du service des retraites de l'État. Un responsable de la Caisse des dépôts et consignations m'a indiqué que lorsqu'elle serait possible la reconstitution des droits prendrait a minima dix ans de travail !
La convergence des droits entre les fonctionnaires qui ont 40 % de primes dans leur rémunération et ceux qui n'en ont que 12 % pourrait prendre vingt ans !
Le rapport du haut-commissaire à la réforme des retraites préconise de figer les droits acquis par les fonctionnaires au moment de la bascule vers le nouveau régime en supposant que les annuités seraient liquidées sur la base du traitement alors atteint par les différents fonctionnaires. Cette préconisation aboutit à une décapitalisation des droits acquis. Il y a donc, là un véritable problème juridique et d'équité et non plus une interrogation réelle sur le délai de transition nécessaire pour maintenir des droits attendus et ajuster les taux de cotisation.
Mes dernières interrogations sont les suivantes : Quels effets sur le chômage en cas de recul de l'âge d'ouverture des droits ? Quid des réserves constituées par les différents régimes ? Quelle gouvernance pour le nouveau système ? Le rapport n'interdisant pas aux branches professionnelles d'octroyer des dispositions plus favorables que la réforme, reconstituera-t-on les régimes spéciaux dans quelques années ?