Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 20 novembre 2019 à 8h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « écologie développement et mobilité durables » et articles 76 76 bis 76 ter 76 quater et 76 quinquies et comptes d'affectation spéciale « transition énergétique » et « financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » facé - compte d'affectation spéciale « services nationaux de transport conventionnés de voyageurs » - budget annexe « contrôle et exploitation aériens » - examen des rapports spéciaux

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, développement et mobilité durables » et l'article 76 quater, ainsi que sur les comptes d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ) » et « Transition énergétique » :

rapporteur spécial sur les programmes « Paysages, eau et biodiversité », « Prévention des risques », « Énergie, climat et après-mines », « Service public de l'énergie » et « Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » et l'article 76 quater, ainsi que sur les comptes d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ) » et « Transition énergétique ». - Nous examinons ce matin les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui retrace le financement des politiques publiques menées en matière d'environnement, de transition énergétique et de transports.

Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une augmentation des crédits de la mission de 9 % à périmètre courant à hauteur de 13,3 milliards d'euros et une augmentation similaire si l'on exclut de son périmètre les transports, analysés par nos collègues Christine Lavarde et Vincent Capo-Canellas.

J'estime qu'il s'agit d'une hausse « en trompe-l'oeil » des crédits de la mission. En effet, trois mesures de périmètre gonflent en effet artificiellement les crédits de la mission : les crédits dédiés au financement du bonus à l'achat de véhicules « propres », inscrits jusqu'à présent sur un compte d'affectation spéciale, sont désormais inscrits sur le programme 174 « Énergie, climat et après-mines », augmentant les crédits de la mission de 395 millions d'euros ; les crédits destinés au financement de la prime appelée à remplacer le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) sont également inscrits sur le programme 174, augmentant les crédits de 400 millions d'euros ; un nouveau programme est créé, intitulé « Charge de la dette de SNCF réseau », correspondant à la reprise par l'État de cette dette et doté de 409 millions d'euros.

À périmètre constant, le budget de la mission s'élève à 12,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) et diminue donc de 214 millions d'euros en AE et de 20 millions d'euros en CP.

En excluant les transports, analysés par nos deux collègues, les crédits baissent de 1 %. Le Gouvernement s'appuie donc sur des mesures de périmètre pour afficher une augmentation artificielle des crédits alloués à l'écologie. Ce subterfuge n'est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens s'agissant de l'urgence écologique à laquelle nous faisons face et participe d'une communication abusive, voire éhontée, du Gouvernement.

Par ailleurs, le projet de loi de finances prévoit une réduction de 797 équivalents temps plein (ETP) ; 55 % des départs à la retraite ne sont pas remplacés. Le rythme de baisse des effectifs ministériels est en moyenne de 2 % par an depuis plusieurs années. Je considère qu'il est très difficile de continuer à affirmer qu'il est possible de faire mieux en matière d'écologie et de faire face aux enjeux actuels avec moins de crédits et moins d'emplois.

Après ce constat d'ensemble, je vous présente les enjeux auxquels font face certains opérateurs.

D'abord, 2020 sera l'année de la mise en place de l'Office français de la biodiversité (OFB), fusion le 1er janvier prochain de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) et de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Il est difficile de se prononcer sur le budget de ce nouvel opérateur, car il n'a pas encore été arrêté. On peut le reconstituer, même si ce n'est pas simple au regard des multiples canaux permettant d'assurer son financement.

Compte tenu de la fusion des deux opérateurs, le projet de loi de finances prévoit qu'à compter de 2020, les redevances cynégétiques seront recouvrées par les agences de l'eau. L'article 27 prévoit ainsi de rehausser le plafond global des redevances perçues par les agences de 46,1 millions d'euros, pour le porter à 2,151 milliards d'euros.

Ces redevances cynégétiques s'ajouteront à la contribution annuelle versée par les agences de l'eau à l'AFB et, à partir de 2020, à l'OFB. Je me réjouis que, cette fois, cette évolution n'entraîne pas de mise à contribution directe des agences de l'eau, mais elle ne sera pas sans conséquence en termes de gestion - 2 à 3 ETP seraient nécessaires.

Une subvention pour charges de service public de 41,2 millions d'euros est également prévue sur le programme 113 pour financer le futur OFB, dont 21,5 millions d'euros compensent le manque à gagner de la baisse du permis de chasse, que le Gouvernement n'avait pas compensée à l'ONCFS l'année dernière. Neuf millions d'euros financent le transfert de missions aux fédérations de chasse et 11 millions d'euros complètent les actions « biodiversité » qui seront conduites par les fédérations de chasse.

Grâce à cette subvention nouvelle sur le programme, le compte y est, et les agences de l'eau ne sont pas mises à contribution.

S'agissant des moyens humains, ce nouvel opérateur ne se verra pas appliquer de schéma d'emplois en 2020, tandis que 20 ETP seraient supprimés en 2021 et 40 en 2022.

Cet opérateur bénéficie d'un financement conforté pour assurer sa mise en oeuvre. Il n'en est pas de même de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). En effet, si la subvention qui lui est allouée est stable - 595 millions d'euros en 2020 -, l'agence est confrontée à une baisse d'effectifs, alors même que les missions qui lui sont confiées sont de plus en plus nombreuses. Un schéma d'emplois de 20 ETPT est prévu en 2020, portant le plafond d'emplois à 858 ETPT ; 11 % des effectifs seraient ainsi supprimés sur cinq ans.

Je considère que l'État doit se donner les moyens de mettre en oeuvre les politiques qu'il propose, et qu'une révision de la trajectoire des emplois de l'ADEME devrait être envisagée dans le cadre de l'élaboration du nouveau contrat d'objectif et de performances fixant les orientations de l'agence pour les années 2020 à 2023.

J'aimerais maintenant revenir plus en détail sur certaines politiques financées par la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

S'agissant de la politique de gestion de la biodiversité, 10 millions d'euros seront consacrés en 2020, comme en 2019, au plan Biodiversité. Ce financement est dérisoire, alors que 600 millions d'euros avaient été annoncés par l'ancien ministre lors de la présentation du plan. En réalité, 510 millions d'euros proviendront d'un redéploiement des interventions des agences de l'eau entre le dixième et le onzième programme d'intervention. Une fois n'est pas coutume, l'État a exercé un véritable « tour de passe-passe » quant au financement de ce plan.

La principale augmentation de crédits sur le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », outre la subvention nouvelle à l'OFB, est la hausse de l'enveloppe consacrée à l'organisation du congrès mondial de la nature de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui se tiendra à Marseille en 2020. Ces crédits auraient dû être consacrés à un renforcement des actions en faveur de la biodiversité, qui diminuent en 2020.

S'agissant de la politique de prévention des risques, la stagnation des moyens alloués me paraît dangereusement déconnectée des enjeux liés au réchauffement climatique.

Quinze ans après la catastrophe de l'usine AZF, la quasi-totalité des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) a été adoptée. Mais la mise en oeuvre opérationnelle de ces plans ne se déroule pas aussi rapidement que prévu, alors qu'elle est indispensable à la prévention des risques. L'actualité récente de l'incendie de l'usine Lubrizol nous rappelle l'importance de cette politique de prévention. Je ne doute pas que la commission d'enquête permettra de tirer les enseignements de cet accident sur la politique de prévention des risques technologiques.

Les crédits alloués à la prévention des risques naturels et hydrauliques sont stables, et près de 12 000 communes sont couvertes par un plan de prévention des risques naturels (PPRN) approuvé. Toutefois, c'est bien le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) qui prend en charge les dépenses d'élaboration de ces PPRN. Alors que l'augmentation des risques liés au réchauffement climatique implique des besoins de financement croissants pour les PPRN, la question de la soutenabilité du fonds se fait jour, en particulier après 2020 : au regard du niveau élevé des dépenses - 174,1 millions d'euros en 2018 - et du plafonnement des recettes, la trésorerie du fonds diminuerait de moitié en 2020.

Enfin, certains opérateurs de la mission pourraient être sous-dimensionnés à terme pour faire face à l'accroissement de leurs missions. Je pense à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui bénéficie d'une augmentation de ses moyens humains, mais qui voit ses missions augmenter en raison notamment du vieillissement des centrales nucléaires et de l'instruction des demandes de prolongation de leur fonctionnement.

J'en viens à présent aux charges de service public de l'énergie, dont le montant est arrêté tous les ans par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), et qui représenteront 7,9 milliards d'euros en 2020, soit une hausse de 3,4 % par rapport à 2019.

Ces charges, qui étaient financées jusqu'en 2015 par la contribution au service public de l'électricité (CSPE) en dehors de tout contrôle parlementaire, sont désormais retracées dans le budget de l'État par le programme 345 « Service public de l'énergie » et par le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique ».

En ce qui concerne le programme 345, qui ne porte plus les crédits du chèque énergie, la solidarité avec les zones non interconnectées (ZNI) représentera 1,8 milliard d'euros, en forte hausse de 10,4 %. Le soutien à la cogénération sera lui aussi dynamique, avec 748,5 millions d'euros de dépenses, ce qui représente une augmentation de 3,1 % par rapport à 2019.

Le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique », doté de 6,3 milliards d'euros pour 2020, porte avant tout les 5,0 milliards d'euros de soutien aux énergies renouvelables électriques, un montant stable par rapport à 2019 en raison de la hausse des prix du marché de gros de l'électricité, laquelle contrebalance l'augmentation des capacités installées.

Il est financé de façon quasi exclusive par des recettes issues de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), ce qui apparaît cohérent et conforme à la vocation de la fiscalité écologique : la composante carbone de cette taxe devrait exclusivement avoir pour objet le financement de ce type de dépenses, et non l'abondement du budget général.

Je note que les députés ont voté à l'article 32 du projet de loi de finances, contre l'avis du Gouvernement, la suppression de ce CAS au 1er janvier 2021. Je ne suis pas favorable à cette suppression, car ce CAS constitue l'un des rares exemples de transparence sur l'usage qui est fait du produit de la fiscalité écologique.

Le CAS porte également le soutien à l'injection de biométhane, dont le montant va augmenter de 88,2 % à 248,5 millions d'euros en 2020, ainsi que le dernier remboursement à EDF de la dette relative à des défauts de compensation accumulés entre 2009 et 2015, soit une somme de 896,8 millions d'euros en 2020.

À compter de 2020, le programme 174 « Énergie, climat et après-mines » porte plusieurs dépenses destinées à accompagner la transition énergétique des ménages. Sont notamment concernés le chèque énergie, le bonus automobile et les primes versées par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) aux ménages modestes dans le cadre de la transformation du CITE.

Le chèque énergie, qui bénéficiera à 5,8 millions de ménages en situation de précarité énergétique en 2020, est présenté par le Gouvernement comme la principale contrepartie à la hausse de la fiscalité sur les produits énergétiques. Comme en 2019, son montant moyen sera de 200 euros en 2020, ce qui restera très insuffisant pour compenser l'augmentation des taxes qui a touché les plus modestes de nos concitoyens ces dernières années.

Les crédits qui seront consacrés au chèque énergie en 2020 - 839,7 millions d'euros en AE et 779,9 millions d'euros en CP, soit des sommes en légère augmentation par rapport à 2019 - ne représentent qu'une faible part du produit de la fiscalité écologique, que le Gouvernement considère comme une fiscalité de rendement.

En outre, 390 millions d'euros sont également inscrits sur le programme 174 afin de financer en 2020 une partie de la prime de rénovation énergétique à destination des ménages modestes, appelée à remplacer en 2021 le CITE. Ces crédits permettront de financer 210 000 primes unifiées qui seraient distribuées à 170 000 ménages modestes en 2020. Cette prime est bienvenue, car elle permettra d'assurer la contemporanéité du versement de l'aide avec la réalisation des travaux.

Jusqu'à l'an dernier, les aides à l'acquisition de véhicules propres étaient financées par le malus automobile, lequel venait alimenter un compte d'affectation spéciale dédié. Or l'article 33 du projet de loi de finances supprime ce CAS, ce qui constitue une maladresse voire une faute dans un contexte où les Français nous demandent une plus grande traçabilité des taxes environnementales. C'est pourquoi je soutiens pleinement l'amendement de notre rapporteur général visant à supprimer cet article 33 et à rétablir le CAS.

Les crédits relatifs aux aides à l'achat ou à la location de véhicules neufs émettant peu de CO2, le « bonus », vont fortement augmenter de 49,6 % l'an prochain puisqu'ils passeront de 264 à 395 millions d'euros.

Alors que le bonus automobile n'est plus accessible qu'en cas d'achat d'un véhicule électrique, l'objectif de 100 000 « bonus » que s'est fixé le Gouvernement paraît ambitieux.

Les crédits de la prime à la conversion, en revanche, diminueront de 32 %, passant de 596 à 405 millions d'euros à la suite d'un durcissement des conditions d'accès au dispositif imposé le 1er août 2019.

Cette décision est regrettable à l'heure où la transition énergétique du parc automobile français doit être accélérée pour respecter les normes européennes, qui prévoient d'atteindre des émissions moyennes pour les voitures neuves de 95 grammes de CO2 par kilomètre.

En ce qui concerne le CAS « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale (FACÉ) », qui joue un rôle essentiel pour accompagner les territoires ruraux dans leur développement démographique et économique en matière de réseaux électriques, le montant des aides versées sera stable en 2020.

Au total, la hausse du budget de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » est très artificielle, puisqu'elle repose exclusivement sur des mesures de périmètre et dissimule un recul des crédits.

Dans le détail, les déceptions sont nombreuses : stabilité des crédits pour la prévention des risques technologiques, absence de revalorisation du chèque énergie, baisse des crédits de la prime à la conversion. Cela montre que l'ambition écologique affichée par le Gouvernement n'est qu'un artifice de communication et que le projet de loi de finances pour 2020 n'a rien d'un « budget vert ».

Au regard de l'ensemble de ces éléments, je proposerai donc à notre commission des finances de ne pas adopter les crédits de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », mais d'adopter les crédits des comptes d'affectation spéciale « Transition énergétique » et « FACÉ ». Enfin, je vous propose d'adopter l'article 76 quater rattaché à la présente mission, qui prévoit de prolonger de cinq ans la possibilité de financement par le fonds Barnier de la démolition et de l'indemnisation de l'habitat informel en zone fortement exposée aux risques en outre-mer. Cette mesure vient à échéance au 31 décembre 2019 et elle est plafonnée à 5 millions d'euros par an.

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