La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) représente 9,7 % des crédits de l'ensemble de la mission « Justice », moins d'un quart des crédits du programme « Justice judiciaire » et un peu plus d'un quart de ceux du programme « Administration pénitentiaire ». Les missions dévolues à la PJJ, qui assure le suivi de près de 150 000 jeunes chaque année, justifient cependant qu'un examen spécifique de ses crédits soit effectué chaque année par la commission des lois.
Le projet de loi de finances pour 2020 dote la protection judiciaire de la jeunesse d'un budget de 736,6 millions d'euros hors pensions, en augmentation de 16,5 millions d'euros, soit 2,3 %, par rapport à la loi de finances initiale pour 2019. Il est marqué par la mobilisation pour préparer les réformes votées et à venir issues de la réforme territoriale de l'État, de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, et surtout de la réforme de l'ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs, dont l'entrée en vigueur est prévue le 1er octobre 2020.
L'un des objectifs premiers de cette réforme est la réduction des délais de jugement pour les mineurs. Le projet de budget prévoit la création de 70 ETP correspondant à 94 postes d'éducateurs. Par ailleurs, 5 emplois sont créés pour favoriser la participation de la PJJ aux internats tremplin.
Hors Titre 2, le budget de la PJJ continue sa progression entamée il y a 3 ans. Si l'on ne peut que se féliciter de ces augmentations, on peut s'interroger sur les orientations retenues à moyen terme.
En effet, la création de postes d'éducateurs dans le projet de budget correspond à un renforcement du secteur ouvert. Or le contexte général est celui d'un recours accru au secteur fermé, c'est-à-dire privatif de liberté pour les mineurs.
La PJJ a engagé un programme de création de 20 centres éducatifs fermés d'ici 2022. 5 de ces centres seront gérés par le secteur public et 15 par le secteur associatif. Le projet de budget reflète ce choix. Les CEF sont critiqués par les syndicats de la PJJ comme l'antichambre de l'incarcération en raison des contraintes qu'ils font peser sur les mineurs et de leur caractère jugé excessivement disciplinaire. La commission nationale consultative des droits de l'homme a formulé les mêmes critiques en mars 2018.
Du strict point de vue budgétaire, la dépense annuelle moyenne d'un CEF telle qu'elle est présentée par le programme annuel est de 1,555 million d'euros. Le budget de fonctionnement annuel des nouveaux CEF devrait donc s'élever à 31,11 millions d'euros lorsqu'ils seront tous ouverts. Ces sommes, qui représentent 4 % du budget actuel de la PJJ, devront soit être ajoutées à son budget, soit être redéployées.
Il me paraît donc important d'insister sur le fait que l'importance accordée aux centres éducatifs fermés comme structures et au secteur associatif habilité comme opérateur ne doit pas aboutir à détourner la PJJ de sa vocation première, à savoir l'éducation et l'insertion des jeunes en danger, en s'appuyant sur les compétences des éducateurs spécialisés et en milieu ouvert.
Les chiffres trimestriels de l'administration pénitentiaire ont fait apparaître en juin 2019 un pic de 894 mineurs incarcérés, renouant avec les chiffres de la fin des années 1980. Au total, plus de 3 000 mineurs sont incarcérés chaque année. Pour comprendre pourquoi, je me suis rendue dans les deux établissements qui en accueillent le plus : l'établissement pour mineurs de Porcheville et le quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Les mineurs ne peuvent être incarcérés qu'à partir de l'âge de 13 ans, mais plus de 90 % ont plus de 16 ans. Ils sont incarcérés dans les quartiers mineurs des prisons pour adultes et depuis 15 ans dans les établissements pour mineurs (EPM) créés par la loi dite Perben I de 2002. Ces derniers ont été conçus pour offrir une réponse plus adaptée et plus éducative dans les cas où la détention a été décidée par le juge. Mais leur nombre est limité. Il en existe six en France, chacun ayant une capacité de 60 places. Ceci signifie que près des deux-tiers des mineurs détenus le sont dans les quartiers pour mineurs. Ces quartiers sont répartis dans 51 maisons d'arrêt et centres pénitentiaires sur l'ensemble du territoire national. Seuls trois ont plus de 20 détenus, dont deux sont situés en Ile-de-France : la maison d'arrêt de Villepinte qui a 30 places et celle de Fleury-Mérogis qui en compte 94.
La situation de l'Ile-de-France, qui a le plus grand nombre de mineurs détenus (174) et en transfère une partie vers le nord de la France, est préoccupante et demande un engagement clair du gouvernement pour éviter que les difficultés actuelles ne s'accroissent. Cette situation se caractérise par la conjonction de trois phénomènes : le taux élevé de délinquance, la concentration des mineurs accusés de terrorisme et le nombre de mineurs non-accompagnés qui représentent un tiers des mineurs détenus de Fleury-Mérogis.
Il convient bien sûr d'agir sur les causes de la détention pour la limiter. On peut ainsi noter que la très grande majorité des mineurs détenus sont des prévenus, et qu'une partie d'entre eux est incarcérée pour des périodes courtes, voire très courtes, allant de 4 jours à 4 mois.
Je souhaite vous présenter les difficultés liées aux lieux de détention. L'EPM de Porcheville est d'abord caractérisé par sa difficulté d'accès. Même si les familles peuvent s'organiser pour effectuer des transports communs depuis la gare la plus proche, il s'agit là nécessairement d'un frein au contact avec les familles.
Par ailleurs, bien qu'ayant à peine plus de dix ans, l'établissement souffre de nombreuses malfaçons, à commencer par son architecture. La plupart des quartiers de détention sont situés en rang le long de la cour centrale. Les allées et venues de chacun sont donc visibles et les interpellations constantes. L'atmosphère de l'établissement s'en trouve dégradée et plus tendue. Les consultations médicales et plus spécifiquement de psychiatrie sont connues de tous du fait de cet agencement et entrainent la stigmatisation de ceux qui y ont recours, ce qui conduit sans doute à un renoncement aux soins.
La qualité de construction des cellules est également faible. Soumises à des dégradations constantes, à l'opposé des lieux d'activité, des salles de sport notamment ou des salles de classe mais aussi des parloirs qui sont particulièrement bien préservés, les cellules auraient dû être conçues de manière adaptée. Qu'il s'agisse des peintures ou surtout des douches et sanitaires, tel n'a pas été le cas. Un contentieux en cours entre l'administration et le constructeur a de plus retardé les travaux de rénovation ce qui rend la situation actuelle très insatisfaisante.
Pour sa part, le quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis disposait initialement d'un des trois bâtiments qui constituent la maison d'arrêt, les deux autres étant le bâtiment pour hommes et le bâtiment pour femmes, au sein duquel se trouve une unité de dix places pour mineures. Dans le cadre du programme pluri-annuel de rénovation de la maison d'arrêt, ce bâtiment a été fermé en avril 2016. Le quartier pour mineurs a été relogé à cette date au troisième étage du bâtiment D4 pour hommes, où sont logés les détenus condamnés à de courtes peines ou en réinsertion active. D'importants travaux dans le terrain vague situé devant le bâtiment ont permis de transformer le gymnase qui s'y trouvait en bureaux pour la PJJ et en unité éducative, et de créer des cours de promenade spécifique aux mineurs. Plus de trois ans après ce déménagement, les travaux sur l'ancien bâtiment pour mineurs devraient bientôt commencer, pour s'achever entre 2023 et 2024.
La situation temporaire aura à cette date théorique duré huit ans. Après plus d'une année de grandes difficultés, liées au déménagement et aux contraintes de l'insertion du quartier pour mineurs dans un bâtiment pour adultes, l'engagement, le dynamisme et la volonté de progresser des équipes de la PJJ et de l'administration pénitentiaire semblent permettre de trouver des modes de prise en charge de plus en plus adaptés aux jeunes.
Un projet « d'aile de confiance » est ainsi en préparation pour début 2020 : certains jeunes prépareront et prendront leurs repas avec les éducateurs et gardiens, afin de favoriser une meilleure interaction. Ce projet particulièrement intéressant marque l'arrivée à maturité des relations entre la PJJ et l'administration pénitentiaire s'agissant de la gestion du quartier pour mineurs. Pour autant, la situation actuelle n'est clairement pas adaptée.
Face à cette situation, deux décisions doivent être prises et j'ai eu hier l'occasion les aborder lors de l'audition de Mme la garde des Sceaux.
Tout d'abord, la situation de l'Ile-de-France appelle la création d'un nouvel établissement carcéral pour les mineurs. Il serait envisagé de réaffecter à l'incarcération des mineurs l'établissement de Meaux-Chauconin qui avait été initialement conçu comme un EPM. L'administration semble hésiter entre le rétablissement d'un établissement pour mineurs et la création d'un nouveau quartier pour mineurs. Au regard de la qualité de prise en charge, j'estime indispensable que ce soit la création d'un nouvel EPM qui soit retenue. Il est donc très regrettable que la garde des Sceaux nous ait annoncé hier que c'était la création d'un nouveau quartier pour mineurs qui sera retenu.
Je pense aussi que les incertitudes sur la possibilité pour le quartier pour mineurs de réintégrer un bâtiment dédié doivent être levées. Quelles que soient les difficultés d'incarcération des majeurs à Fleury-Mérogis, qui compte actuellement 3700 détenus pour 3000 places et en a compté récemment jusqu'à 4200, la spécificité des besoins des mineurs incarcérés doit être prise en compte. Cela impose que ce qui est en pratique la plus grande prison pour mineurs de France soit installée dans un bâtiment dédié. Nous pouvons espérer que les assurances et le calendrier donnés par la garde des Sceaux en ce sens seront respectés, même si la perspective de 2021 me paraît assez utopique pour créer un nouveau bâtiment ex-nihilo.
Plus généralement, je souhaite insister sur deux points essentiels s'agissant de la prise en charge des mineurs incarcérés : l'éducation et la préparation de la sortie. Le partenariat avec l'Éducation nationale est au coeur du projet des EPM. Des moyens conséquents lui sont consacrés. Je m'inquiète cependant du nombre de personnels contractuels, qui représentent la quasi-totalité des enseignants à l'exception d'une professeure des écoles titulaire, affectés à l'établissement de Porcheville. Il me semble que doit être développé le recours à des enseignants titulaires effectuant une partie de leurs heures de service au sein de l'établissement. Bien sûr, je ne minimise pas la difficulté que pose le public spécifique des mineurs incarcérés et la nécessité d'une formation spécifique pour les enseignants. Mais l'objectif étant le retour en scolarité au sein d'établissements classiques, la prise en charge par des enseignants également en poste au sein de ces établissements serait souhaitable.
La situation de chaque établissement doit être prise en compte, et le service de la PJJ de Fleury-Mérogis a fait valoir à juste titre que la grande majorité des mineurs incarcérés ayant entre 17 ans et 17 ans et demi, la question de la scolarité ne pose pas pour eux de la même façon. À ceci s'ajoute le fait qu'alors que la scolarité est obligatoire pour l'ensemble des mineurs en EPM quel que soit leur âge, en quartiers pour mineurs elle s'applique jusqu'à l'âge de 16 ans, comme en milieu ouvert. Le besoin premier de ces jeunes n'est donc pas nécessairement l'acquisition d'un diplôme scolaire, mais celle d'une qualification professionnelle. Les mineurs incarcérés à Fleury-Mérogis en sont actuellement privés du fait de l'aménagement du quartier dans un bâtiment pour majeurs et de l'impossibilité de mener des activités de formation communes aux deux populations.
S'agissant de la préparation à la sortie, j'ai été particulièrement impressionnée par l'engagement des services de la PJJ à Fleury-Mérogis et à l'EPM de Porcheville pour travailler sur le parcours d'insertion des mineurs. À l'EPM de Porcheville, un important travail d'articulation avec les milieux ouverts de la PJJ a été conduit depuis 2018 pour faciliter l'accueil des mineurs sortants, afin de surmonter les difficultés et réticences à l'accueil de ces jeunes. L'adhésion à la mesure prise à la sortie de l'incarcération dépend, comme l'ont montré les représentants de la PJJ de Fleury-Mérogis, de la manière dont le mineur sera accueilli. C'est donc un très important travail de préparation qui est mené, tout d'abord avec les magistrats, pour envisager les solutions alternatives à l'incarcération qui peuvent être proposées et anticiper la sortie du mineur, mais aussi avec les services d'accueil, qu'ils relèvent de la PJJ ou des départements, dans un contexte où les mineurs les plus fragiles risquent d'être immédiatement repris par les réseaux de délinquance s'ils ne font pas l'objet d'un suivi attentif.
La construction de l'adhésion au projet, et la possibilité d'offrir des solutions aux mineurs incarcérés, permettent des réussites en matière d'insertion, y compris pour des mineurs issus des catégories les plus fragiles, comme les mineurs non accompagnés. L'investissement nécessaire s'en trouve dès lors pleinement justifié.
Au regard de l'importance de la préparation de la sortie des mineurs incarcérés, il me paraît important que ceux-ci fassent systématiquement l'objet d'une mesure de milieu ouvert.
En conclusion, je souhaite formuler le constat suivant. Dans les deux principaux établissements d'incarcération des mineurs en Ile-de-France, la PJJ dispose d'équipes de taille similaire. Avec les mêmes moyens, la PJJ de Fleury-Mérogis doit faire face à un nombre de détenus beaucoup plus important, dans un contexte complexe d'équilibre avec l'administration pénitentiaire et d'incertitude sur les locaux. Pour autant, paradoxalement, la place de la PJJ au quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis semble mieux définie qu'elle ne l'est à l'EPM de Porcheville. Au sein de l'EPM, la définition des interventions semble se nouer prioritairement entre l'administration pénitentiaire et l'Éducation nationale. La place de la PJJ comme moteur du suivi des mineurs avant, pendant et après leur incarcération est plus affirmée à Fleury-Mérogis. Il m'apparaît donc que les EPM doivent faire une plus grande place à l'écoute de la PJJ dans la définition de leurs projets et de leurs orientations.
L'incarcération des mineurs doit être la plus limitée possible, et l'investissement des équipes de la PJJ doit être accompagné pour que, lorsque l'incarcération est indispensable, elle puisse prendre tout son sens dans un parcours d'insertion dans jeunes.
Au regard du projet de budget 2020, je vous propose de donner un avis favorable, avec quelques réserves.