Le rapport pour avis que je vous présente porte sur les crédits dévolus, dans le projet de loi de finances pour 2020, à quatre programmes de la mission « Justice » : le programme 166 « Justice judiciaire », le programme 101 « Accès au droit et à la justice », le programme 310 « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et le programme 335 « Conseil supérieur de la magistrature ».
Les crédits de la mission « Justice » progressent de 2,8 %, hors pensions, par rapport à la loi de finances pour 2019, pour atteindre un montant total de 7,58 milliards d'euros en crédits de paiement. Cela représente 205 millions d'euros supplémentaires, mais c'est moins qu'en 2019 où le budget avait augmenté de 4,5 %.
Parmi les programmes de la mission, le programme « Justice judiciaire », dont les crédits de paiement atteignent 3,5 milliards d'euros, est celui qui augmente le moins. L'effort consenti est de seulement 0,13 %, soit environ 4,4 millions d'euros supplémentaires, ce qui ne couvre même pas l'érosion liée à l'inflation.
Malgré tout, le renforcement des effectifs de magistrats se poursuit et commence à porter ses fruits en juridiction. Le taux de vacance de postes de magistrats n'est désormais plus que de 0,5 % alors qu'il s'élevait à 5,18 % en 2017. La situation est moins favorable pour les greffiers, dont le taux de vacance est de 7 %. Ces constats sont perceptibles dans les juridictions, comme me l'ont indiqué les personnels et le président du tribunal de grande instance de Bobigny, dans lequel je me suis rendu.
Le schéma d'emploi prévoit 384 emplois supplémentaires pour 2020, dont la majorité correspond à des postes de juge des enfants et de greffiers, en vue de l'entrée en vigueur du nouveau code de la justice pénale des mineurs.
Les frais de justice constituent une dépense toujours conséquente. Alors que les prévisions d'exécution pour 2019 font état de près de 519 millions d'euros de dépenses, seulement 491 millions d'euros sont prévus en 2020. Il faut y ajouter 45,39 millions d'euros de charges restant à payer, ainsi que 133 millions d'euros de dette dont le plan d'apurement n'est pas encore prévu. Je crains donc une sous-dotation manifeste. Or cela a des conséquences sur les juridictions et peut retarder le cours de la justice.
La modernisation numérique de la justice se poursuit. Il y a toutefois un certain décalage entre les annonces des services et la réalité dans les juridictions. À titre d'exemple, le ministère indique que, grâce à l'application Portalis, les justiciables peuvent consulter l'état d'avancement de leur procédure en matière civile. Les représentants des personnels entendus lors des auditions et à Bobigny m'ont dit que cela n'était pas encore possible.
L'activité juridictionnelle est également toujours très soutenue. Les délais de traitement des affaires sont néanmoins trop élevés, notamment pour les jugements criminels de première instance, rendus en 42,2 mois en moyenne, ce qui est insatisfaisant. Dans ce contexte, la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice implique la mise en oeuvre de nombreuses réformes d'organisation judiciaire : expérimentation de cours criminelles départementales depuis septembre dernier, création du tribunal judiciaire, spécialisation des juridictions en première instance et en appel, ainsi que révision de l'implantation des cabinets d'instruction sur le territoire. Tous ces chantiers sont en cours, nous les suivrons attentivement.
S'agissant de l'aide juridictionnelle, à périmètre constant, les crédits qui lui sont alloués diminueraient de près de 22 millions d'euros sans que cela ne soit réellement justifié, ce qui n'est pas acceptable. En outre, l'Assemblée nationale a adopté un amendement qui réforme l'aide juridictionnelle et dont on se demande pourquoi le Gouvernement ne l'a pas intégré lui-même au projet de loi initial. Cette méthode ne me semble pas honnête, d'autant plus que le dispositif pose plusieurs problèmes de fond.
L'article 76 terdecies tel qu'adopté renverrait, en premier lieu, la définition des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle au pouvoir réglementaire, alors qu'ils sont aujourd'hui fixés par la loi. Il retiendrait aussi le revenu fiscal de référence comme critère d'éligibilité, alors qu'aujourd'hui les ressources de toute nature sont examinées.
Ces modifications auront, à l'évidence, une incidence financière. Or, sans étude d'impact, nul ne sait quel seuil envisage de retenir le Gouvernement. Il n'est pas non plus possible d'estimer les conséquences de ces mesures sur la population éligible à l'aide juridictionnelle, ni leur coût. L'article supprime, en second lieu, l'obligation d'avoir un bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) dans chaque tribunal de grande instance. Leur répartition serait renvoyée au décret sans aucun encadrement du législateur. Cette disposition est problématique pour l'exercice des droits de la défense, surtout en matière pénale où l'aide juridictionnelle est une urgence. Les autres mesures proposées par l'article visent à écarter plus efficacement les publics qui n'ont pas droit à l'aide juridictionnelle : plus satisfaisantes sur le principe, elles me paraissent invalidées par le dispositif global et la méthode retenue qui sont contestables.
Je vous proposerai donc un amendement de suppression de l'article 76 terdecies, identique à celui de notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances.
J'ai souhaité, cette année, faire un focus particulier sur la réforme des juridictions sociales intervenue le 1er janvier 2019, en application de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle. 116 tribunaux de grande instance sont désormais compétents pour traiter le contentieux auparavant dévolu aux tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et aux tribunaux du contentieux de l'incapacité (TCI), ainsi qu'une partie du contentieux des commissions départementales d'aide sociale (CDAS). Des efforts ont été faits pour apurer le stock, qui s'élevait à près de 200 000 affaires. Il ne s'élève plus, si je puis dire, qu'à 165 000 affaires.
De manière générale, la question du transfert des personnels auparavant affectés au secrétariat des TASS et TCI reste posée : ces personnels étaient des agents de droit privé dont la rémunération était prise en charge par la sécurité sociale, en majorité, ou des agents publics du ministère des affaires sociales. Ce dernier s'est d'ailleurs engagé à transférer 541 ETP aux services judiciaires. Là encore, nous ne saurons que fin 2020 combien d'entre eux souhaitent rejoindre les services judiciaires, mais à ce jour, seuls 357 d'entre eux ont accepté la mise à disposition auprès de la Chancellerie, le différentiel étant compensé par le recrutement de contractuels et de greffiers qui connaissent moins bien cette matière.
Au final, je regrette la quasi-stagnation des crédits de paiement alloués aux services judiciaires, tout comme la diminution des crédits de l'aide juridictionnelle sans raison valable et l'adoption d'une réforme dans la précipitation à l'Assemblée nationale, sans la moindre étude d'impact.
Au surplus, je ne peux accepter que la suppression de certains cabinets d'instruction dans les tribunaux puisse se faire selon des considérations électorales. Malgré les explications de la garde des sceaux, je reste sceptique.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose un avis défavorable à l'adoption des crédits des programmes « Justice judiciaire », « Accès au droit et à la justice », « Conduite et pilotage de la politique de la justice » et « Conseil supérieur de la magistrature » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2020.