Intervention de Jacques-Bernard Magner

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 novembre 2019 à 10h25
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « sport jeunesse et vie associative » - crédits « sport » et « jeunesse et vie associative » - examen du rapport pour avis

Photo de Jacques-Bernard MagnerJacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis :

Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi une première remarque sur ce programme 163 « jeunesse et vie associative » : la maquette du programme a évolué. Elle comprend une action supplémentaire pour le Service national universel (SNU). Le secrétaire d'État, M. Gabriel Attal, nous a expliqué que cette création répond à sa promesse d'avoir une ligne budgétaire dédiée au SNU. Si je note avec intérêt cette démarche, qui est censée nous permettre un suivi plus facile de l'exécution des crédits alloués au SNU, je souhaite exprimer deux points de vigilance.

Tout d'abord, les documents budgétaires indiquent que « des crédits supplémentaires, issus d'autres ministères parties prenantes au SNU, pourront venir compléter cette dotation », mais sans donner plus de précisions. Quels ministères seraient concernés ? Pour quels montants ? Le secrétaire d'État n'a pas répondu à ma question sur les autres sources de financement possibles.

Dans l'exécution budgétaire, un gestionnaire de programme peut facilement transférer des sommes d'une action à l'autre de son programme, sans avoir à se justifier en cours d'année. Les sommes dédiées au SNU sont certes identifiées, mais n'empêchent pas pour autant un siphonnage d'autres actions du programme. Nous devrons donc être particulièrement attentifs à l'exécution de cette action.

Hors SNU pour lequel 30 millions d'euros sont budgétés, le budget du programme 163 est en augmentation de plus de 3 %, soit un peu plus de 19 millions d'euros. Cette augmentation s'explique, d'une part, par une hausse de plus de 8,5 millions d'euros des crédits pour la montée en puissance du compte d'engagement citoyen - une mesure déjà ancienne -, et d'autre part, par une augmentation de 11,5 millions d'euros pour le service civique.

Malgré ces augmentations, il me semble nécessaire d'attirer votre attention sur un point. Les crédits pour le service civique, en hausse constante depuis de nombreuses années en raison de l'augmentation du nombre de jeunes en mission, marquent nettement le pas cette année. Alors que ces cinq dernières années, le taux de progression de cette action était à deux chiffres, elle est de 2,24 % pour l'année prochaine. Ma crainte que j'avais déjà exprimée l'année dernière, est que le service civique pâtisse de la mise en place du SNU. J'y reviendrai un peu plus tard dans cette présentation.

Dernier point de présentation générale : je souhaite vous indiquer que l'Assemblée nationale a adopté un article 78 univicies permettant l'affectation des comptes inactifs des associations au fonds de développement de la vie associative (FDVA). Je salue cette mesure, que nous appelions de nos voeux depuis plusieurs années. En effet, les 25 millions d'euros consacrés au FDVA ne compensent pas la fin des 50 millions d'euros de la réserve parlementaire versés aux associations. Toutefois, le dispositif voté par nos collègues députés pose problème. La commission des finances a proposé une modification. Mais, des négociations sont en cours entre la Caisse des dépôts et consignations - qui détient physiquement ces sommes -, le ministère de l'éducation et de la jeunesse - qui serait l'un des bénéficiaires de cette mesure -, ..... et Bercy, qui suit ce dossier de près, car il voit cette affectation au FDVA comme autant d'argent en moins au budget général de l'État.... Nous devrons veiller lors de l'examen de cette disposition demain matin en séance à empêcher toute marche arrière de la part du Gouvernement.

J'en viens maintenant à la partie thématique de cet avis budgétaire. Il me paraissait intéressant de dresser un bilan de la préfiguration du SNU, des questions que soulève ce dispositif et de son articulation avec le service civique.

En juin, s'est déroulée la première phase du SNU, pour 1 978 jeunes volontaires dans quatorze centres implantés dans treize départements. L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) a procédé à une évaluation de cette première expérimentation. Celle-ci est positive : 94 % des jeunes sont satisfaits ou très satisfaits. 84 % estiment que la généralisation du SNU serait utile à la société.

Ce premier retour est très intéressant, mais j'estime qu'il est nécessaire de prendre ces résultats avec un certain recul. Il s'agissait uniquement de volontaires. Tous ces jeunes étaient désireux de faire cette expérience et ont donc abordé celle-ci de manière positive. La donne risque d'être différente dans le cas d'un service obligatoire. En outre, près d'un tiers des volontaires (31 %) déclare que l'un de ses parents travaille ou a travaillé dans l'armée, alors que les personnes travaillant pour l'armée représentent 1,3 % de la population active. Or, parmi les motivations ayant poussé certains jeunes à participer au SNU, se trouve la volonté de bénéficier d'un environnement militaire. D'ailleurs 63 % de ces jeunes souhaitent faire leur mission d'intérêt général de quinze jours - la phase 2 du SNU - dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Pour moi, de nombreuses questions restent en suspens dès 2020 avec une extension du dispositif de treize à l'ensemble des départements concernés, et plus encore lorsque le SNU concernera toute une classe d'âge. La première d'entre elles porte sur le coût de ce dispositif. 30 millions d'euros ont été budgétés en 2020, calculés sur une estimation de 20 000 participants. Or, le secrétaire d'État évoque 30 000 jeunes. À 1 500 euros le coût par jeune, le budget bondit de 30 millions d'euros à 45 millions d'euros soit une augmentation de 50 %, sans précision toutefois sur l'origine de ces 15 millions d'euros supplémentaires. Se pose également la question de la capacité d'accueil de ces jeunes. Le secrétaire d'État l'a indiqué : il a demandé à chaque préfet de répertorier les places disponibles en juin. D'ailleurs, c'est en fonction du nombre de places d'accueil disponibles, que sera fixé le nombre de jeunes accueillis l'année prochaine. Le Gouvernement semble déjà avoir des difficultés pour loger 20 000 à 30 000 jeunes. Or, une classe d'âge représente 750 000 à 800 000 jeunes. Faudra-t-il construire des infrastructures dédiées ? Comment les financer ? Une autre question relative à l'organisation pratique doit être évoquée : ce stage de cohésion a eu lieu en juin. Le ministère de l'éducation nationale nous parle régulièrement de sa volonté de « reconquérir le mois de juin » comme mois scolaire. Quant à l'organisation du stage de cohésion de quinze jours pendant les petites vacances scolaires, cela pose d'autres problèmes potentiels.

Autre interrogation : l'encadrement de ces jeunes. Le ministre nous a indiqué que ce taux était très élevé : un adulte pour cinq jeunes. Actuellement, un tiers des encadrants sont d'anciens militaires, un tiers des membres de l'éducation nationale et un tiers des membres de l'éducation populaire. Tous les intervenants ont bénéficié d'une formation. Ils étaient 450 encadrants en 2019, pour quatorze centres. Il en faudrait 4 500 pour 2020 pour 20 000 jeunes. Le défi pour le ministère est de réussir à fidéliser un vivier d'encadrement, mobilisable toute l'année. De l'aveu même du Secrétaire d'État, « le vrai enjeu est moins l'hébergement que celui de l'encadrement. Il est nécessaire de prendre de l'avance pour recruter et former en nombre suffisant les encadrants pour maintenir le haut niveau d'exigence en matière de sécurité que nous avons fixé ». Enfin, je m'interroge sur la phase 3 du SNU - la phase d'engagement volontaire - qui peut notamment se faire en service civique.

Le service civique est aujourd'hui une réussite. En 2019, un peu plus de 143 000 jeunes étaient en service civique à un moment de l'année - en stock pour reprendre la terminologie officielle -, et un peu plus de 84 000 conventions de service civique ont été signées dans l'année.

Je suis également convaincu de l'utilité de cet outil pour aller chercher les jeunes, notamment ceux en décrochage scolaire et connaissant des problèmes d'insertion. Je souhaite à cet égard saluer le rôle de toutes les associations qui agissent au quotidien, pour aller chercher ces jeunes. Les chiffres sont là : 13 % des volontaires sont issus des quartiers prioritaires de la ville, 17 % des volontaires sont sortis du système scolaire sans diplôme, les deux tiers étaient inactifs ou demandeurs d'emplois à l'entrée en service civique. Selon une étude réalisée à la demande d'Unis-Cité, le retour sur investissement social global du service civique représente près de deux fois l'investissement initial de l'État. À Unis-Cité, 38 % des jeunes recrutés n'ont pas le bac. 82 % à la sortie du service civique ont soit trouvé un emploi, soit une formation professionnelle.

Or, je déplore la nette inflexion du budget consacré au service civique. Le nombre de jeunes accueillis stagne. De plus, la tentation est grande, pour l'agence du service civique, d'inciter les organismes d'accueil à raccourcir la durée des missions proposées de neuf mois à huit voire sept mois - pour pouvoir accueillir à coût constant plus de jeunes. Mais cette gestion comptable méconnait les besoins des organismes d'accueil et des jeunes. Former un jeune nécessite un certain temps. Il faut permettre aux organismes d'accueil d'avoir, si vous me permettez cette expression, un certain retour sur investissement et pouvoir disposer d'un jeune opérationnel pendant un certain temps. Lors de son audition, la présidente d'Unis-cités m'a indiqué qu'un certain nombre d'organismes d'accueil refusait de répondre favorablement à cette recommandation de l'agence du service civique de missions d'une durée inférieure à huit mois.

Cette politique comptable risque ainsi de faire diminuer le nombre de missions disponibles, alors même qu'actuellement il n'y a pas assez de places pour toutes les demandes : une mission pour trois à quatre demandes. Ces difficultés existent avant même l'arrivée potentiellement massive de jeunes en phase 3 du SNU. Je réaffirme ma position à ce sujet : un principe de parité entre les sommes allouées au service civique et au SNU doit être mis en place. Et, si le SNU doit coûter à terme 1,5 milliard d'euros, la même somme devra alors être consacrée au service civique.

Enfin, je m'interroge sur le type de missions qui pourrait être proposé en phase 3 du SNU. Le délai minimal est de trois mois. On pourrait ainsi avoir des missions de trois, quatre ou cinq mois. Quelle utilité pour le jeune et l'organisme d'accueil ? En effet, en dessous de huit mois, l'intérêt de telles missions est faible.

Mes chers collègues, comme vous le voyez, mes interrogations sont nombreuses. Aussi, je vous propose d'émettre un avis de sagesse sur le programme 163.

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