Intervention de Sylvie Robert

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 novembre 2019 à 11h35
Projet de loi de finances pour 2020 — Mission « culture » - crédits « patrimoines » « création » et « transmission des savoirs et démocratisation de la culture » - examen du rapport pour avis

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert, rapporteure pour avis des crédits des programmes 131 « Création » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » :

Ce budget intervient dans un climat de grande inquiétude, perceptible aussi bien chez les acteurs culturels que les élus. La perspective de la transformation du ministère de la culture engagée dans le cadre du plan « Action publique 2022 », mais aussi les réformes à venir en sont sans doute la cause.

En tenant compte des nombreuses modifications de périmètre qui interviennent dans le projet de loi de finances pour 2020, et qui rendent ce budget difficilement lisible, il semble que les crédits sont globalement stables l'an prochain à périmètre constant, hors dépenses de personnel.

Trois des quatre priorités mises en avant par le ministre de la culture lors de son audition devant notre commission le 31 octobre dernier concernent plus particulièrement les programmes 131 et 224 : faire des arts et de la culture un levier d'émancipation, mobiliser les arts et la culture au service des territoires, et faire de la France une terre d'artistes et de créateurs.

Elles ont conduit le Gouvernement à consentir des efforts financiers en faveur de quelques dispositifs : le Pass culture, les Micro-Folies et le Fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps), auxquels s'ajoutent quelques grands travaux jugés prioritaires, en particulier le projet de Cité du théâtre dans les ateliers Berthier et l'aménagement d'une salle modulable à l'opéra Bastille.

Il est vrai que, pour les financer, le ministère de la culture a dû procéder à des redéploiements importants de crédits à l'intérieur des deux programmes, tant les crédits sont désormais calculés au plus juste, sans réelle marge de manoeuvre, ni pour l'administration centrale, ni pour les DRAC, pour lesquelles l'essentiel des crédits est fléché.

Pour autant, les crédits d'intervention ont globalement été préservés, voire confortés. Ainsi, sur le programme 131, la légère croissance des dépenses d'intervention a été rendue possible par des efforts réalisés sur les dépenses d'investissement. Cette méthode reste possible à court terme, mais elle ne sera pas soutenable à long terme. C'est ce qui me fait dire que ce budget est dans un entre-deux.

Il faudra donc que nous soyons vigilants dans les années à venir, et ce d'autant plus que les collectivités territoriales restent largement attendues pour contribuer à la mise en oeuvre de plusieurs des grandes priorités nationales : Pass culture, Micro-folies, éducation artistique et culturelle... Or, nous savons tous que les capacités financières de ces dernières sont contraintes, encore plus pour celles dont les contrats avec l'État prévoient désormais de limiter la progression de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2 %.

Je souhaite partager avec vous plusieurs considérations sur les politiques mises en oeuvre par le ministère de la culture au regard des objectifs qui lui sont assignés l'an prochain.

Je crois qu'il est important, au regard des inquiétudes actuelles, que nous soyons très vigilants dans notre activité de contrôle sur les actions qui seront engagées par le ministère dans l'année à venir.

Par rapport à l'objectif d'émancipation culturelle, qui constitue la première priorité du ministère l'an prochain, je constate, à mon grand regret, que les crédits de l'éducation artistique et culturelle (EAC), hors Pass culture, sont en baisse par rapport à 2019, à 96 millions d'euros.

C'est d'autant plus regrettable que la politique actuelle en matière d'EAC manque encore, à mon sens, de cohérence. Compte tenu de la multiplicité des acteurs qui interviennent dans sa mise en oeuvre, dont les collectivités territoriales, le monde culturel, les associations et, évidemment la communauté éducative, des efforts restent nécessaires pour mieux la définir, renforcer les mécanismes de concertation ou faire davantage usage de ceux qui existent et améliorer la formation commune des acteurs de l'EAC. On ne peut pas estimer que l'objectif du « 100 % EAC » est atteint dès lors que les enfants sont sortis au musée une fois dans l'année.

Il ne faudrait pas que le Pass culture, même s'il a intégré la question des pratiques artistiques, résume progressivement la politique de l'État en matière d'EAC, alors qu'il ne s'applique qu'à de jeunes adultes pendant seulement une année et n'a véritablement de sens que s'il vient s'inscrire dans le continuum d'un parcours d'EAC déjà complet et abouti.

Le Pass culture devrait être doté de 39 millions d'euros en 2020, soit une hausse de crédits de 35 %. Pourtant, l'intégralité des crédits n'a une nouvelle fois pas été consommée en 2019 malgré le lancement cette année des deux premières vagues d'expérimentation. 10 millions d'euros non consommés devraient d'ailleurs être reportés sur 2020, portant à 49 millions d'euros le budget total qui pourrait être consacré au Pass culture l'an prochain.

Une société par actions simplifiée a été créée depuis juillet dernier pour prendre en charge la gestion du Pass culture en lieu et place du ministère de la culture, même si elle reste à ce stade intégralement financée par de l'argent public.

Le premier bilan de l'expérimentation, paru la semaine dernière, est en demi-teinte.

Il manque à mon sens de données qualitatives pour apprécier la pertinence du Pass culture au regard des objectifs qui lui ont été assignés. En tout cas, il ne permet pas de lever les réserves que nous avions formulées dès le départ dans le cadre du groupe de travail sur le Pass culture, en particulier la capacité de ce dispositif à, d'une part, réduire les inégalités sociales et territoriales qui font obstacle à l'accès des jeunes à la culture et, d'autre part, diversifier leurs pratiques culturelles, surtout en l'absence de dispositifs de médiation qui lui seraient associés.

J'ai senti chez le directeur de la SAS une envie de tenir compte des retours d'expérience pour améliorer progressivement l'outil.

Nous devrons analyser de près les résultats de l'expérimentation dans un an, puisqu'il est prévu d'ouvrir celle-ci à davantage de départements au printemps et que nous saurons enfin si l'algorithme destiné à ouvrir les jeunes à d'autres habitudes culturelles fonctionne : il doit en effet être élaboré et testé dans le courant de l'année prochaine.

Notre prise de position sera d'autant plus importante qu'il est prévu de réaliser ensuite une grande évaluation en 2021, avant l'éventuelle généralisation du Pass culture en 2022. Plus nous avançons dans le temps, plus un retour en arrière paraît difficile au regard des fonds publics déjà investis. Je ne vous cache pas que j'ai le sentiment que nous sommes pris au piège du fait de la méthode de construction qui a été retenue et qui manque cruellement de transparence.

En ce qui concerne les enseignements artistiques, les crédits de l'État sont enfin stabilisés. Il serait cependant utile que de nouvelles instructions soient transmises aux DRAC pour que leurs modalités d'attribution soient uniformes sur le territoire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

En revanche, la réforme du classement des conservatoires a pris du retard depuis 2016. Une étude d'impact est attendue pour 2020 concernant les différentes évolutions proposées par le ministère. Les directeurs de conservatoire semblent dépités et craignent une nouvelle phase de décentralisation dans le cadre du projet de loi « décentralisation, différenciation, déconcentration » à venir l'année prochaine, qui pourrait expliquer une certaine inertie de l'administration centrale.

La réforme du statut des enseignants des écoles d'art territoriales n'a pas davantage avancé au cours de l'année écoulée, alors qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour éviter le décrochage de ces écoles vis-à-vis des écoles nationales et pour garantir la cohérence du réseau des écoles d'art, comme la qualité de l'enseignement supérieur des arts plastiques.

Les retards enregistrés dans ce dossier s'expliquent par la réforme imminente de la grille indiciaire des enseignants des écoles nationales. Le ministre de la culture a jugé préférable d'attendre que la réforme statutaire des professeurs des écoles nationales soit intervenue avant de réviser le statut des enseignants des écoles territoriales, pour éviter le risque de tout nouveau décrochage entre les deux statuts.

La réforme doit désormais être traitée dans le cadre du nouveau Conseil des territoires pour la culture (CTC), mais aucun calendrier n'a été précisé, ce que nous ne pouvons que déplorer au regard de l'urgence à traiter ce dossier. Aucune avancée ne peut être envisagée avant le printemps en raison des élections municipales à venir.

S'agissant de la deuxième priorité du ministère, la correction des déséquilibres territoriaux, l'essentiel des nouveaux efforts en la matière reposent sur le déploiement de 1 000 Micro-Folies à l'horizon 2022. Pour le reste, les crédits destinés à corriger les déséquilibres territoriaux et sociaux dans l'accès à la culture baissent même de 5 millions d'euros, soit une contraction de 13 %.

Je ne suis pas opposée au numérique, mais l'accès physique aux oeuvres, à la création me semble préférable encore. Il faudrait donc que ce dispositif soit systématiquement accompagné d'une offre de médiation appropriée et que des artistes soient régulièrement invités à se produire ou à présenter leur travail dans ces lieux.

Le déploiement des Micro-Folies risque par ailleurs de se heurter à des difficultés financières. 3 millions d'euros sont inscrits à cet effet dans le projet de loi de finances pour 2020. Mais les crédits de l'État ne permettront, au mieux, que de couvrir l'équipement de base. Ce sera ensuite aux collectivités de prendre à leur charge les coûts de fonctionnement des structures et les coûts de maintenance des équipements numériques, faute de quoi le dispositif pourrait rapidement se transformer en coquille vide.

Dans ces conditions, on peut se demander si les communes rurales, en particulier, pourront supporter une telle charge.

J'en viens à la dernière priorité, le soutien aux artistes et à la création. Cette priorité devrait à mes yeux être la première tant les artistes et la création sont au coeur et à la base de nos politiques culturelles. Là encore, il y a plusieurs points de vigilance.

Dans le domaine du spectacle vivant, nous avons évoqué la semaine dernière le problème posé par la suppression de la taxe perçue au profit de l'ASTP et sa transformation en subvention. Le Sénat est revenu sur cette suppression en fin de semaine dernière lors de son examen en séance publique.

Je souhaiterais également vous proposer un amendement pour rétablir le bénéfice du crédit d'impôts pour le spectacle vivant aux spectacles de variétés. La loi de finances pour 2019 les en a privés depuis le début de l'année, alors que vous vous souvenez sans doute que nous nous étions opposés à cette évolution. Et comme nous sommes tenaces...

Les arts visuels sont une nouvelle fois le parent pauvre de ce budget. Le soutien aux arts visuels reste profondément déséquilibré par rapport au spectacle vivant, en dépit de la fragilité économique du secteur et de la grande précarité dans laquelle sont plongés les artistes visuels. Un certain nombre de mécanismes de soutien n'existent que pour le spectacle vivant.

Même si le Conseil national des professions des arts visuels est enfin en place depuis décembre 2018, il reste des efforts importants à faire pour accompagner la structuration des professions et aider les arts visuels à mieux faire entendre leur voix.

Dernier sujet, la question de l'emploi des artistes. Les crédits du Fonpeps n'ont cessé d'être abaissés au fil des exercices depuis sa mise en place il y a trois ans, faute d'être consommés en raison, principalement, du mauvais calibrage des mesures qui le composent.

Le Fonpeps a enfin fait l'objet d'une refonte en octobre 2019.

Alors que le Gouvernement proposait d'accroître de 5 millions d'euros les crédits du Fonpeps l'an prochain pour accompagner le lancement de cette réforme, les députés ont décidé de réaffecter ces crédits supplémentaires au financement des harmonies musicales, fanfares et autres sociétés de musique. Je n'ai rien contre ces ensembles structurants pour les territoires ruraux et périurbains, mais cette minoration des crédits adresse à mon sens un très mauvais signal aux artistes et techniciens du spectacle à la veille de grandes échéances sociales. Je vous proposerai un amendement pour les rétablir.

Un mot positif en ce qui concerne la compensation de la hausse de la CSG : après deux années de flottement, les crédits sont enfin inscrits en loi de finances et n'auront pas à être dégagés en gestion.

Il est néanmoins regrettable que cette compensation soit prise en charge sur les crédits du ministère de la culture, plutôt que dans le cadre du régime de droit commun. S'il devait, à l'avenir, systématiquement prendre en charge les éventuelles compensations sociales des réformes menées par le Gouvernement sans que ses crédits augmentent en conséquence, il pourrait voir ses marges de manoeuvre de plus en plus réduites pour financer ses politiques publiques.

Voici mes alertes sur les grandes orientations du ministère. Le budget qui sera présenté pour 2021 sera crucial. J'espère que nous serons alors mieux informés pour nous permettre de porter un avis plus éclairé. Au demeurant, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de ces deux programmes, qui n'enregistrent pas de baisse.

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