Le juge civil n’aurait pas les moyens d’assurer le suivi des soins qu’il ordonnerait, alors que le juge pénal dispose, lui, des services d’insertion et de probation pour effectuer le suivi des personnes concernées. Prévoir une telle mesure reviendrait à demander au juge d’ordonner une obligation de soins sans moyen de la contrôler ou de la sanctionner, ce qui n’est pas acceptable.
Confier au juge une telle mission, ce serait en outre oublier que le juge n’a aucune légitimité pour arbitrer entre les très nombreuses modalités de soins auxquelles peut concrètement renvoyer un programme de soins. Et l’on ne saurait envisager que le juge doive se borner à ordonner des soins sans en définir les modalités précises ni être en mesure d’apprécier le degré d’atteinte aux libertés qu’elles impliquent.
Aller dans cette direction imposerait au juge de recourir dans tous les cas à une expertise et de s’en remettre en pratique à ses conclusions, ce qui ne saurait être satisfaisant. Comment, en effet, ne pas rappeler la lourde tâche qui est déjà confiée aux experts psychiatres, dont le nombre trop réduit ne permettrait pas de faire face à cette nouvelle mission, qui reviendrait à leur demander, dans des délais très contraints, de proposer, le cas échéant, un protocole de soins ? En outre, le risque que le juge ne puisse obtenir ces expertises dans les délais impartis lui imposerait de prendre une décision non éclairée, ce qui n’est pas davantage acceptable.
C’est, enfin, pour des raisons du même ordre que je ne peux a fortiori que vous inviter à refuser toute extension systématique de l’intervention du juge aux nouvelles mesures de soins ambulatoires sans consentement.
Un programme de soins sans consentement n’a pas vocation à conduire à l’exercice d’une contrainte physique à l’égard du patient. Il ne s’agit pas de soins forcés, à la différence de l’hospitalisation complète. L’intervention automatique du juge, dès lors, n’apparaît pas nécessaire. Pour autant, cela ne veut pas dire que les patients concernés n’auront pas accès au juge : le recours au juge restera toujours possible à la demande du patient ou de ses proches, selon des modalités qui ont été clarifiées et simplifiées par le décret du 20 mai dernier.
Le projet de loi prévoit donc des garanties proportionnées à chaque situation et permet à chacun des acteurs, médicaux, administratifs et judiciaires, de rester dans son rôle, avec un recours juridictionnel systématique pour l’hospitalisation complète, selon les modalités que j’ai évoquées à l’instant, et un recours juridictionnel facultatif pour les soins ambulatoires sans consentement.
Un tel équilibre procédural assure la garantie effective des droits des patients, tout en leur permettant de bénéficier des soins les plus adaptés à leur situation.
Je crois par ailleurs qu’en permettant à la fois la saisine du juge administratif pour apprécier la légalité externe des mesures de placement et celle du juge judiciaire telle que je viens de la décrire, le système français offrira des garanties fortes en matière de protection des droits et libertés. Unifier les deux contentieux au profit du juge des libertés et de la détention ne serait pas incohérent. Toutefois, une telle unification risquerait d’alourdir l’office du juge judiciaire et, alors qu’il est appelé à statuer dans des délais très contraints, de le détourner de sa mission qui est d’apprécier la proportionnalité de la privation de liberté au regard de la situation médicale du patient.
Ce n’est pas sans raison que l’on parle d’un surcroît de charge pour les magistrats. Une étude que nous avons réalisée montre bien que, même si la situation varie à l’évidence d’une juridiction à l’autre, le travail sera considérable lorsque la juridiction compte dans son ressort un nombre relativement important d’hôpitaux psychiatriques. Par exemple, pour Paris, il faut s’attendre à 6 522 affaires supplémentaires, soit vingt-cinq affaires de plus par jour ! Cela représente quelque vingt-cinq heures additionnelles de temps-magistrat et douze heures et demie de temps d’audience supplémentaire ! On voit donc le poids d’une telle réforme sur une juridiction aussi importante.
La situation sera à peu près la même à Lyon puisqu’il y a trois hôpitaux psychiatriques dans le ressort du tribunal de grande instance. Ensuite, viennent plusieurs tribunaux qui ont un ou deux hôpitaux psychiatriques dans leur ressort.
Je pense aussi aux petits tribunaux qui se trouvent dans un secteur abritant une grosse structure pénitentiaire et un établissement psychiatrique important, et où un magistrat unique est à la fois juge de l’application des peines et juge des libertés et de la détention.
Vu l’effort considérable que nous allons demander aux magistrats, un concours exceptionnel de recrutement a été lancé.