Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi vise certains points précis de la réforme des soins psychiatriques.
C’est un texte qui porte sur un domaine particulièrement sensible non seulement sur le plan médical et technique, mais également aussi, j’en ai bien conscience, sur le plan humain.
Je tiens à remercier la présidente de la commission des affaires sociales, Mme Muguette Dini, ainsi que son rapporteur, M. Jean-Louis Lorrain, de même que l’ensemble de ses membres, du travail qu’ils ont déjà effectué. Nous avons bien entendu les interrogations et les inquiétudes qui se sont exprimées en commission. Nous sommes prêts à apporter, au cours de ce débat, toutes les réponses à ces interrogations, qui sont absolument légitimes.
Le projet de loi que vous allez examiner porte une réforme attendue depuis une quinzaine d’années par les professionnels de la psychiatrie, mais aussi par les patients et leurs familles.
Ce texte concerne les patients qui souffrent de troubles mentaux sévères, ce qui rend impossible leur consentement aux soins.
Vous le savez, les troubles mentaux touchent un cinquième de la population française. En 2008, ce sont 1, 3 million de personnes adultes qui ont été prises en charge à ce titre, dont 70 % exclusivement en ambulatoire. Sur ce nombre total de personnes souffrant d’une maladie mentale, chaque année, pour environ 70 000 d’entre elles, soit seulement 5 % des malades, leurs troubles rendent impossible leur consentement aux soins.
Il me paraît important de rappeler, alors que s’ouvre l’année des patients et de leurs droits, que toute atteinte à leur liberté ne peut être motivée que par des raisons liées à leur état de santé, comme l’a rappelé Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Quelles sont les raisons qui nous conduisent à engager cette réforme ?
L’accueil des malades psychiatriques selon des modalités spécifiques, et notamment quand ils ne peuvent pas consentir aux soins, a été prévue dès 1838 par la loi obligeant tous les départements de France à construire un établissement spécialisé dans l’accueil des malades psychiatriques. C’est pourquoi ces établissements sont bien connus et identifiés par l’ensemble de nos concitoyens.
Il aura fallu attendre 1990 pour réformer cette loi, pour prévoir que l’hospitalisation libre est la règle et pour que l’hospitalisation sous contrainte devienne une exception, dûment motivée et encadrée. Néanmoins, cette loi de 1990 n’a pas résolu tous les problèmes, comme l’ont démontré différents rapports : elle ne permet pas d’offrir aux malades qui ne peuvent pas consentir aux soins les formes contemporaines de prise en charge, notamment extrahospitalières ; elle n’a pas non plus permis de résoudre le cas des personnes qui doivent être hospitalisées, mais pour lesquelles aucun proche ne peut en faire la demande.
Ce projet de loi ne remet pas en question les fondements du dispositif actuel, qui permet une prise en charge soit à la demande d’un tiers, le plus souvent un membre de la famille, soit sur décision du préfet. Mais il comble les lacunes de la loi de 1990 que je viens d’évoquer concernant la prise en charge ambulatoire et l’hospitalisation sans demande d’un tiers. Il comprend aussi des avancées substantielles, telles que l’intervention du juge des libertés et de la détention, afin de répondre à la décision du Conseil constitutionnel.
M. le garde des sceaux vient de le rappeler, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé, le 26 novembre dernier qu’« en prévoyant que l’hospitalisation sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire, les dispositions relatives au maintien en hospitalisation sur demande du tiers méconnaissent les exigences de l’article 66 de la Constitution ».
Le Conseil Constitutionnel nous donne donc jusqu’au 1er août pour corriger la loi actuelle.
L’un des objectifs majeurs de ce texte consiste à remplacer la notion d’hospitalisation par celle de « soins ». En effet, ce sont bien les soins qui sont nécessaires à un malade, et non pas le fait d’être placé dans un hôpital psychiatrique. Il appartiendra au médecin d’adapter précisément ces soins aux besoins du malade, en privilégiant toujours la recherche d’une alliance thérapeutique entre le patient et lui.
Je rappelle que les soins psychiatriques peuvent suivre diverses modalités : il peut s’agir d’entretiens, d’ateliers thérapeutiques, de traitements médicamenteux. Ces soins, qui sont souvent conjugués, peuvent avoir lieu dans des services hospitaliers fermés, mais aussi, si l’état du patient le permet, au plus près de son lieu de vie : ce peut être le centre médico-psychologique, le foyer, la rue, la maison de retraite.
Vous le savez, les médecins, dans leurs pratiques quotidiennes, cherchent déjà à offrir des soins ambulatoires aux patients qui ne peuvent consentir à ces soins. Ils utilisent pour cela le dispositif de la sortie d’essai. Cependant, la sortie d’essai telle qu’elle est prévue dans la loi de 1990 est un simple « essai de sortie », après une longue hospitalisation. Ce n’est donc pas une forme de prise de charge ; il n’y a pas de programme de soins défini. Il nous faut donc bien combler cette lacune.
Nous souhaitons que les médecins puissent proposer à leurs malades un véritable programme de soins à l’extérieur de l’hôpital, comme une forme de prise en charge pleine et entière, et non pas comme un sas entre l’hospitalisation et la vie ordinaire. Le texte permet ainsi au médecin de prescrire des soins extérieurs dès le début de la prise en charge, c’est-à-dire à l’issue d’une période d’observation de 72 heures, sans avoir besoin d’enclencher une longue hospitalisation. Le médecin définira avec son patient un programme de soins, ce que nous appelions jusqu’à présent le « protocole de soins ».
Le programme de soins précisera le type de la prise en charge, les lieux de traitement et la périodicité des soins.
Cette avancée majeure permettra de mieux définir le rôle de chacun, patient et équipe soignante, en affirmant la place centrale du médecin : il restera le seul à même de modifier le programme de soins du malade.
Notre texte rénove d’autres aspects de la loi de 1990 et met ainsi en œuvre les préconisations des différents rapports d’évaluation de cette loi. C’est le cas de la période d’observation et de soins de 72 heures que nous proposons d’instaurer, et qui est demandée par les professionnels depuis le rapport Strohl de 1997.
Il s’agit d’éviter au maximum les hospitalisations sans consentement, en apportant au patient des soins psychiatriques intensifs au moment de la crise. Au bout de trois jours, bien souvent, les psychiatres parviennent à obtenir le consentement de la personne : elle va mieux, comprend la nécessité de poursuivre des soins et s’engage d’elle-même dans une démarche thérapeutique, à l’hôpital ou en ambulatoire. Cette période de 72 heures donne donc davantage de chances aux patients d’éviter qu’une mesure de contrainte trop longue ne soit enclenchée à leur encontre.
S’agissant des patients dont le consentement est encore trop fragile à l’issue de ces trois jours, qui peuvent être soignés à l’extérieur mais qui ont besoin d’un étayage particulier, le psychiatre pourra désormais leur proposer une prise en charge en ambulatoire avec un programme de soins.
Le projet de loi apporte enfin une réponse au sujet douloureux des personnes isolées, qui ont absolument besoin de soins psychiatriques mais pour lesquelles aucun tiers ne se présente pour formuler une demande. Les médecins, les équipes soignantes nous le disent : nombre de personnes atteintes de maladies psychiatriques chroniques ont perdu tout lien avec leur famille et leurs proches. Les psychiatres voudraient bien les soigner mais, sans demande formulée par un tiers, ils n’ont pas le droit de leur porter secours, ce qui est très pénible pour un médecin. Vous le savez, les équipes passent beaucoup de temps à rechercher ces tiers.
Nous avons entendu les professionnels et avons donc prévu que le directeur de l’établissement pourrait prononcer l’admission d’un patient, même lorsqu’il n’est pas possible de recueillir la demande d’un proche. Cette possibilité est limitée au seul cas de péril imminent pour la santé du patient et elle est entourée de garanties particulières en termes de respect des droits. Il s’agit d’une mesure essentielle, qui permettra à toutes les personnes dont l’état de santé est très grave, aussi ténu que soit le tissu social dans lequel elles s’insèrent, d’accéder aux soins psychiatriques.
De la même façon, nous rendons possible le fait qu’un psychiatre s’oppose à la demande de levée d’hospitalisation formulée par un tiers. Il arrive en effet qu’une personne soit hospitalisée sans son consentement pour des troubles mentaux graves, mais que le directeur mette fin à cette hospitalisation parce qu’un proche du malade en fait la demande En application de ce projet de loi, pour éviter une rupture de soins qui serait dangereuse pour le patient, le psychiatre pourra s’opposer à cette demande.
C’est donc bien l’accès aux soins et la continuité des soins psychiatriques que le projet de loi renforce.
L’accès aux soins sera également amélioré grâce à une disposition introduite par l’Assemblée nationale, concernant les personnes en situation d’urgence psychiatrique. Vous connaissez bien ces situations, mesdames, messieurs les sénateurs : il arrive qu’une famille vous appelle parce que son enfant est en pleine crise psychiatrique, et il faut intervenir immédiatement. Qui intervient ? Qui transporte ce jeune vers l’établissement de santé ? Certains territoires ont imaginé des réponses coordonnées.
Le projet de loi impose que les acteurs locaux – hôpitaux, SAMU, services départementaux d’incendie et de secours, police, gendarmerie –, sous l’égide de l’agence régionale de santé, définissent entre eux une organisation adaptée, afin de répondre à toutes ces situations, quel que soit l’endroit du territoire de santé où il faut intervenir.
Outre qu’il renforce les droits et libertés des patients, le projet de loi apporte un soin particulier à la situation de certains patients atteints de troubles très spécifiques, pour lesquels les dangers liés à une rechute apparaissent plus sérieux. Il s’agit des patients qui sont ou ont été hospitalisés d’office, soit pour irresponsabilité pénale, ce qui est le cas des auteurs d’un crime dont le discernement était totalement aboli au moment des faits, soit en unité pour malades difficiles, ou UMD.
L’Assemblée nationale a souhaité que ces antécédents ne soient pas recherchés sur la vie entière du patient, mais seulement sur une durée qui sera fixée par décret en Conseil d’État.
Pour ces patients, dont le nombre est extrêmement limité, une procédure particulière sera enclenchée lorsque leur sortie est envisagée. En effet, l’avis du psychiatre traitant devra être accompagné de l’avis d’un collège pluriprofessionnel de soignants – psychologues, infirmiers, assistant social – et de deux expertises. Le préfet disposera ainsi d’informations tout à fait complètes et étayées et pourra prendre dans de meilleures conditions cette décision qui est particulièrement sérieuse.
J’insiste sur le fait que, pour ces patients comme pour tous les autres, les certificats proposant des prises en charge extrahospitalières ou des levées de mesure devront être établis par un psychiatre.
Le psychiatre est la personne centrale dans ce dispositif : c’est lui qui propose de lever l’hospitalisation ; c’est lui qui propose le programme de soins et qui le définit ; c’est encore lui qui demande, le cas échéant, la ré-hospitalisation ou la fin des soins.
L’Assemblée nationale a d’ailleurs confirmé ce rôle essentiel du psychiatre en instaurant une saisine automatique du juge des libertés et de la détention si le préfet ne donne pas suite à la demande du psychiatre de mettre fin à l’hospitalisation d’une personne.
Enfin, vous le savez, ce projet de loi vient répondre à une question prioritaire de constitutionnalité. Le bien-fondé des hospitalisations complètes sans consentement, dès lors que leur durée excède quinze jours, puis six mois, sera désormais soumis au contrôle systématique du juge des libertés et de la détention. Dans ces intervalles, et à tout moment, la personne peut recourir au juge ; il s’agit du recours « facultatif », au moment où le patient en ressent la nécessité. La saisine automatique est une mesure exceptionnelle. Elle porte sur une privation de liberté d’aller et venir qui est, elle-même, exceptionnelle.
Le Gouvernement a fait le choix de ne pas prévoir cette saisine automatique pour les autres formes de prise en charge, qui ont lieu en ambulatoire. En effet, il importe tout d’abord que la procédure soit plus légère en extrahospitalier qu’en intrahospitalier, sauf à décourager les psychiatres de prescrire des soins à l’extérieur, dont on sait qu’ils sont plus difficiles à organiser. De plus, le patient suivi en ambulatoire est présumé aller mieux que le patient hospitalisé et être davantage capable de saisir le juge en cas de besoin.
Je souligne aussi que ce juge, le patient le connaîtra, puisqu’il l’aura rencontré au quinzième jour de son hospitalisation : il sera donc plus aisé pour le patient de le saisir à nouveau. D’autres personnes peuvent également signaler au juge une situation qui apparaîtrait anormale, et la commission départementale des soins psychiatriques, la CDSP, continue d’être chargée de vérifier le bien-fondé de mesures qui pourraient sembler disproportionnées.
En outre, si les soins apparaissent trop pesants pour ce patient, il est fort probable que celui-ci aura rompu son programme de soins et sera retourné en hospitalisation complète, où il verra donc un juge sous quinze jours.
Enfin, et surtout, il serait incompréhensible pour nombre de patients qu’on leur impose un transport vers le juge alors qu’ils respectent leur programme de soins et que tout se passe bien.
Faudra-t-il aller chercher les patients chez eux pour les amener chez le juge ? La saisine automatique pour les patients qui ne sont pas enfermés à l’hôpital nous semble aller à l’encontre du respect des droits et libertés de ces personnes, sans apporter de véritable garantie supplémentaire. En effet, si le patient estime que son programme de soins est excessif, il doit avant tout en parler avec son médecin et l’équipe soignante qui le suit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi sur lequel vous allez vous pencher aujourd’hui est essentiel, tout d’abord, pour garantir à tous les malades un meilleur accès aux soins. La psychiatrie française peut désormais franchir le pas qu’ont franchi ses voisins européens. Elle peut résolument se tourner, comme l’ont fait la chirurgie ou la médecine, vers la prise en charge ambulatoire pour l’ensemble des personnes qui en ont besoin. Elle peut offrir à tous des formes de soins psychiatriques modernes, dans tous les lieux de la cité, des soins qui permettent aux patients de rester, au maximum, insérés dans leur communauté.
La psychiatrie française peut leur offrir cette qualité des soins. Elle a été l’une des premières à s’ouvrir vers l’extérieur avec la politique de secteur.