Vous le savez, l’hospitalisation sous contrainte est régie par un droit ancien et stable : c’est la loi Esquirol de 1838 qui a distingué le régime du placement volontaire, à la demande de la famille, et celui du placement d’office, confié au préfet. Elle n’a été modifiée qu’en 1981 par la loi Sécurité et liberté, puis surtout en 1990 par la loi Évin. Celle-ci a certes consacré le droit des personnes hospitalisées contre leur gré, mais elle a conservé les deux modes d’hospitalisation sans consentement prévus par la loi de 1838 : le placement d’office est remplacé par l’hospitalisation d’office et le placement volontaire cède la place à l’hospitalisation à la demande d’un tiers.
Actuellement, sur les 80 000 hospitalisations contraintes – la moitié est prononcée pour schizophrénie – que l’on dénombre chaque année dans notre pays, 63 000 ont lieu à la demande d’un tiers et 17 000 sont décidées d’office.
Le projet de loi réforme le droit de l’hospitalisation sous contrainte, en cherchant à concilier trois principes de même valeur, mais qui sont parfois largement antagonistes : le droit à la protection de la santé, la sécurité des personnes, les libertés individuelles.
Il ouvre une solution alternative à l’hospitalisation complète en faisant de l’enfermement une modalité de soins parmi d’autres. L’objectif est d’adapter la loi à l’évolution des soins psychiatriques et des thérapeutiques désormais disponibles, qui permettent à de nombreux patients d’être pris en charge par des soins ambulatoires, c'est-à-dire extrahospitaliers, encadrés.
Comme de nombreux collègues de la commission des lois, je suis plutôt favorable à l’extension des soins obligatoires sous contrainte, tout en rappelant qu’ils exigeront des moyens adaptés.
Le dispositif, si fréquemment critiqué, de la sortie d’essai est supprimé. Les personnes internées sous contrainte seront placées en observation pour un délai maximal de 72 heures en hospitalisation complète ; deux certificats médicaux de psychiatres devront alors établir s’il faut poursuivre les soins et déterminer la nature de ces derniers.
Dans le présent projet de loi a été retenu le choix de ne pas recourir systématiquement au juge judiciaire pour les soins ambulatoires sous contrainte : l’intervention du juge est donc obligatoire pour l’hospitalisation complète, mais facultative pour les soins ambulatoires.
Le texte qui nous est soumis prévoit un dispositif spécifique applicable à certaines personnes susceptibles de commettre des actes graves de violences : celles qui ont été reconnues pénalement irresponsables et qui font ou ont fait l’objet d’une hospitalisation d’office judiciaire ; celles qui font ou ont fait l’objet d’une hospitalisation en UMD. Dans ces cas, les sorties seront plus encadrées ; le juge des libertés et de la détention devra recueillir l’avis d’un collège de soignants et, s’il envisage la mainlevée de l’hospitalisation complète, ordonner une expertise judiciaire supplémentaire. Le préfet ne pourra mettre fin à l’hospitalisation d’office judiciaire qu’après avis d’un collège de soignants et deux avis concordants sur l’état médical du patient émis par deux psychiatres étrangers à l’établissement d’hospitalisation.
Par ailleurs, ce texte encadre la notion de tiers susceptible de solliciter une hospitalisation contrainte. En contrepartie, il crée une nouvelle procédure : l’admission sans tiers, en cas de péril imminent.
S’agissant des conséquences sur l’organisation judiciaire, l’étude d’impact évalue le nombre de saisines nouvelles à 61 000 pour les juges des libertés et de la détention ; les besoins en termes d’emploi seraient de 77 à 80 magistrats, de 59 à 61 fonctionnaires de catégorie B et de 7 à 8 fonctionnaires de catégorie C.
Enfin, le texte prévoit que l’audience du JLD – juge des libertés et de la détention - pourra s’effectuer par visioconférence, dans des locaux adaptés de l’hôpital.
Les députés ont apporté plusieurs modifications au projet de loi.
Ils ont introduit un droit à l’oubli, c’est-à-dire le retour au droit commun pour les deux catégories de patients susceptibles de présenter un danger pour autrui, passé un délai de plusieurs années après la fin de leur hospitalisation.
L’Assemblée nationale a prévu une saisine automatique du JLD par le directeur de l’établissement d’accueil du patient lorsque le préfet n’ordonne pas la levée de l’hospitalisation complète alors que le psychiatre estime que cette hospitalisation n’est plus nécessaire.
Elle a également prévu que, lorsque le JLD ordonne la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète, sa décision prend effet dans un délai de 48 heures, afin que le psychiatre de l’établissement puisse, le cas échéant, établir un protocole de soins et que le patient puisse recevoir un traitement contraint sous forme de soins ambulatoires. La commission des lois s’interroge cependant sur la constitutionnalité d’une telle disposition puisqu’une personne demeurera contrainte pendant 48 heures alors que la décision de mainlevée aura été prononcée.
Au nom de la commission des lois, je vous proposerai d’étendre quelque peu la compétence du juge judiciaire, gardien des libertés individuelles : en le dotant de la capacité de transformer une mesure d’hospitalisation complète en soins ambulatoires – je sais que M. le garde des sceaux ne partage pas mon point de vue, mais j’espère que nos échanges permettront d’aboutir à une solution consensuelle ; en prévoyant le contrôle de plein droit du JLD sur les mesures d’hospitalisation partielle sous contrainte ; enfin, en unifiant le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte, par la création d’un bloc de compétence judiciaire.
Je vous proposerai également de permettre au juge de statuer dans des conditions garantissant la sérénité des débats, en prévoyant qu’il pourra se prononcer en chambre du conseil et non publiquement, mais aussi en prévoyant que la visioconférence sera adaptée à la situation des personnes malades, et j’ai bien noté l’accord de M. le garde des sceaux sur ce point.
Enfin, je vous proposerai d’envisager l’évolution, à terme, du statut de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris.
Monsieur le président, mes chers collègues, le Contrôleur général des lieux de privation des libertés, dans son rapport d’activité 2010, qui vient d’être rendu public, fait observer que, dans les établissements de santé, se pose avec acuité la question de l’équilibre entre les droits des personnes, les exigences du soin et les indispensables mesures de sécurité. Il note : « Cet équilibre n’est pas souvent réalisé de manière satisfaisante. » J’espère que le présent projet de loi marquera un progrès significatif sur cette question particulièrement sensible.