Intervention de Guy Fischer

Réunion du 10 mai 2011 à 14h30
Soins psychiatriques — Discussion générale

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Évidemment non, mes chers collègues ! Vous l’avez compris, nous pensons que ce texte sécuritaire va totalement à l’encontre de ce que nous sommes en droit d’attendre.

Manquant d’ambition, il est également flou, imprécis, opportuniste... Pour notre part, ce sont les raisons de fond qui nous avaient conduits, malgré certaines avancées réelles introduites par notre rapporteur Muguette Dini, à rejeter ce texte en commission.

Le Gouvernement avait pourtant annoncé la couleur. On nous parlait d’un triple objectif : un objectif de santé, un objectif de défense des libertés individuelles et un objectif de sécurité.

Disons-le clairement : en ce qui concerne l’objectif de santé, nous ne voyons rien. Rien en faveur d’une meilleure prise en charge des malades, rien sur l’ambition de redonner à tous les acteurs du monde psychiatrique – soignants, malades, familles, magistrats – les moyens de soigner et d’accompagner. L’étude d’impact reste, sinon très optimiste, à tout le moins parfaitement irréaliste, surtout dans le contexte de la « révision générale des politiques publiques », qui se traduit par leur réduction tous azimuts. Ce qu’elle préconise en termes de moyens, ce n’est ni plus ni moins qu’un pansement sur une jambe de bois !

C’est pourtant d’une politique cohérente et même d’un sauvetage massif qu’a besoin la médecine psychiatrique française. Le comble, c’est que nous savons tous ce qui est nécessaire : plus de postes, plus de lits, pour un meilleur suivi à l’hôpital ou en dehors. La médecine psychiatrique française mériterait certainement autre chose qu’un jugement à courte vue, motivé par une politique opportuniste.

L’objectif de santé n’est à l’évidence pas satisfait, je le répète. J’en veux pour preuve supplémentaire le titre II, intitulé « suivi des patients ». Dans toutes ses dispositions, il n’est question que de l’encadrement des soins sans consentement, sans que les objectifs de traitement soient abordés.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la pertinence même de l’expression « soins sans consentement », d’autant que, nous le savons, l’absence de consentement du malade est souvent, en particulier en matière psychiatrique, une des causes de l’échec du traitement. Écoutez l’avis du docteur Roger Ferreri, chef de service dans l’Essonne : « On mélange tout, la contrainte n’est pas du soin, c’est une décision de la société. La société a le droit de se protéger, mais lorsque vous mettez quelqu’un dans une chambre d’isolement, vous n’avez pas le droit de penser que c’est pour son bien. »

Mais ce texte vise-t-il véritablement le traitement des malades ? C’est bien ce qui nous conduit à douter de l’objectif « sanitaire » du texte.

En effet, le cœur du projet de loi est à l’évidence l’objectif sécuritaire. L’ordre public serait menacé par ces personnes en souffrance ! Quelle curieuse conception de la maladie psychiatrique que celle qui consiste à considérer les patients comme des fauteurs de troubles en puissance plutôt que comme des malades ! La logique sécuritaire du texte, facilitant l’internement ou la contrainte tout en limitant les droits des personnes souffrant de troubles mentaux, découle pourtant de cette conception de la maladie mentale comme facteur d’atteinte à l’ordre public.

De notre point de vue, l’appréhension de la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques sous le seul angle sécuritaire est, vous l’avez compris, non seulement réductrice, mais également inacceptable. L’intervention du préfet se situe dans la droite ligne de cette conception. Sous prétexte de maintien de l’ordre public, nombre de principes gouvernant le régime des libertés des personnes, de nos libertés individuelles, sont battus en brèche.

Je pense, par exemple, à la création d’une période d’observation de 72 heures en hospitalisation complète. S’apparentant à une véritable garde à vue psychiatrique, cette mesure est à la fois inapplicable par son immense flou et, plus encore, profondément contraire à nos principes au regard des libertés individuelles.

On peut s’interroger quant à l’opportunité d’une telle mesure alors que le régime de la garde à vue vient d’être réformé pour en atténuer les abus. De fait, cette mesure ne présente aucune différence de forme avec la garde à vue : elle est aussi arbitraire et, par définition, aussi privative de liberté. Les garanties qui entourent cette période d’observation sont, selon nous, bien trop faibles pour constituer une véritable atténuation du pouvoir du préfet.

Comment imaginer que cette période d’observation de 72 heures puisse être décidée par le préfet sur le fondement d’un motif aussi flou que le « péril imminent » ? Comment accepter que le préfet puisse être quasiment le seul à en juger, le médecin ne servant là que d’auxiliaire de police ?

Votre texte n’est pas assez clair sur les garanties qui entourent cette notion, et nous avons les plus grandes craintes concernant son application concrète. En effet, il prévoit de conférer une autorité exorbitante – peut-être peut-on parler de tous les pouvoirs – au représentant de l’État, et non à un médecin ou à un juge. Sous le couvert de la nécessité de protéger la société, la loi tend à créer un régime d’exception, une situation dans laquelle nos concitoyens atteints de troubles psychiatriques pourraient être internés sans avoir véritablement leur mot à dire.

Dans cette optique, l’intervention du juge des libertés et de la détention semblait positive, même si cet élan de respect des droits fondamentaux n’est évidemment pas sans rapport avec la décision du Conseil constitutionnel. Bien sûr, il faut se satisfaire du fait que l’hospitalisation sans consentement puisse être contestée par la voie judiciaire, même si nous estimons que l’intervention du juge devrait être possible dans un délai plus court.

Toutefois, lorsque nous lisons le projet de loi, nous avons une curieuse impression : celle que votre cabinet, madame la secrétaire d’État, pour ne pas déroger pas au caractère globalement liberticide de ce texte, a encadré cette disposition de sorte que son effet positif soit très limité.

Ainsi, le délai annoncé est bien trop long : deux semaines, c’est inadmissible s'agissant d’une mesure privative de liberté. En matière de droit des étrangers maintenus en rétention, par exemple, et pour évoquer une situation comparable, l’intervention du juge des libertés est obligatoire après quatre jours, puis le président du tribunal de grande instance peut se prononcer après douze jours ; autrement dit, la mesure de rétention est examinée deux fois.

Dans ces conditions, comment imaginer que, lorsqu’il s’agit de cas psychiatriques, le JLD puisse être totalement absent au cours des douze premiers jours d’hospitalisation ?

Le rôle de ce magistrat suscite une deuxième interrogation.

Selon nous, votre texte, madame la secrétaire d'État, ne fait que donner l’illusion que le juge décide. En effet, compte tenu du manque de moyens criant du système judiciaire, qui ne permet pas d’examiner les cas de façon approfondie, il y a fort à parier que la décision du juge reposera sur un consentement présumé en faveur de l’hospitalisation, d’autant que rien ne vient renforcer concrètement les droits des personnes hospitalisées.

De fait, alors que nous aurions pu imaginer que ces « prisonniers psychiatriques » bénéficieraient des avancées récentes de la procédure de garde à vue, rien ne le laisse prévoir ici. À la lecture des dispositions de ce projet de loi qui sont censées garantir la défense des libertés individuelles, nous craignons que cet objectif ne soit hors de portée.

Autre mesure que nous ne pouvons que combattre : la création d’un véritable « casier psychiatrique ». Comment admettre qu’une décision d’hospitalisation puisse être prise sur la base d’antécédents psychiatriques datant de plus de vingt ans ? N’y a-t-il pas là un non-respect flagrant du « droit à l’oubli » ?

Oui, mes chers collègues, là encore, le droit des malades est abandonné et sacrifié à l’objectif sécuritaire. Ces personnes atteintes de troubles psychiatriques, il faut les repérer, les ficher, les suivre, les pister, parce qu’elles sont supposées inguérissables ! Comme le sont sans doute les jeunes un peu agités de nos quartiers, ces jeunes dont certains se proposent de repérer les comportements déviants dès le berceau.

Ce traitement sécuritaire de la maladie psychiatrique le prouve : vous avez imaginé un texte qui enferme, non qui guérit.

Enfin, comment ne pas évoquer votre définition des « soins sans consentement », qui englobent les anciennes hospitalisations d’office et sur demande d’un tiers. Le texte prévoit, et c’est une nouveauté, que ces soins pourront être délivrés à l’hôpital et en ambulatoire. C’est le cœur de votre réforme.

Selon nous, il convient d’être très prudent s'agissant de cette fausse bonne idée qu’est la délivrance des soins à domicile. Certes, le patient quitte un environnement hospitalier et les familles peuvent se sentir rassurées. Néanmoins, une telle solution soulève plusieurs questions : qui assume la responsabilité du malade ? Est-ce la famille ? Qu’en est-il du secret médical ? Comment interviennent les soignants dans ce contexte ? Il n'y a aucune réponse à ces interrogations dans le projet de loi !

Derrière cette mesure, se trouve simplement le problème fondamental que nous avons déjà évoqué : notre médecine psychiatrique, après quarante années d’une remarquable évolution, se délite, se meurt. Nos hôpitaux voient leurs moyens se réduire drastiquement de PLFSS en PLFSS, avec des personnels moins nombreux, plus sollicités, en souffrance eux aussi.

La VAP, la valorisation de l’activité en psychiatrie, le pendant dans ce secteur de la tarification à l’activité, n’a d’autre but que de contraindre à sélectionner les patients. Demain, l’hôpital public choisira-t-il les moins malades, les moins vieux, les moins fous ? Telle est, en tout cas, une fois encore, la réflexion qui m’a été faite à Lyon par un psychiatre.

En clair, cette mesure nous donne l’impression que l’on cherche à se débarrasser à moindre frais d’une population et à en transférer la charge à des familles complètement démunies.

Parce que ce texte ne pose aucunement la question du traitement, cette disposition est très cohérente avec sa logique d’ensemble, celle de la prise en charge du trouble psychiatrique dans sa seule dimension sécuritaire, en oubliant ses aspects thérapeutiques.

Enfin, ce texte nous interpelle par son esprit général, notamment parce qu’on offre au préfet un rôle prépondérant dans le choix de l’encadrement, voire un pouvoir véritablement discrétionnaire puisqu’il peut imposer une réadmission du patient en hôpital psychiatrique en cas de problème lors du parcours de soins.

Oui, madame la secrétaire d'État, même si vous vous en défendez, vous ne considérez la psychiatrie que sous l’angle de l’ordre public. Votre texte condamne et stigmatise les personnes atteintes de troubles mentaux, sous couvert d’en protéger la société. Il banalise un régime d’exception, et c’est très grave !

Nous ne pourrons que citer l’opinion des soignants, par exemple le docteur Hervé Boukobza, porte-parole du Collectif des 39, qui constate avec nous le recul fondamental marqué par ce texte puisqu’il affirme : « La psychiatrie a besoin de soins, de se montrer hospitalière, et non pas d’endosser les habits du carcéral et du tout médicament, comme le sous-tend ce texte de loi. »

C’est non pas de répression, d’enfermement et de contrainte qu’ont besoin d’abord ces personnes, mais d’un accompagnement fondé sur la confiance, de soins et de moyens offerts à leurs soignants.

La psychiatrie mérite une véritable loi-cadre qui définisse ses missions et ses moyens, ces derniers devant être pérennes. En conséquence, nous ne pourrons que voter contre ce texte.

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