Intervention de Pierre-André Durand

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 21 novembre 2019 à 15h30
Audition de M. Pierre-André duRand préfet de la région normandie préfet de la seine-maritime

Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime :

Concernant la culture du risque, nous avons dans les effectifs du SIRACEDPC un agent qui suit tous les programmes d'exercice de l'État et des industriels ainsi que les incitations faites auprès des élus pour participer à ces exercices. Nous nous efforçons déjà d'améliorer la planification de ces programmes.

Parmi les pistes de progrès à envisager, ne pourrions-nous pas rendre obligatoires les PCS ? Je me permets de réfléchir à haute voix devant vous. Je rappelle que les PCS ne concernent que des mairies soumises à des risques particuliers. Ne faudrait-il pas rendre l'outil PCS obligatoire dans toutes les communes, afin de généraliser la culture de la planification ?

Des travaux de sensibilisation se font déjà. Je pense notamment aux exercices menés régulièrement par l'Éducation nationale. Mais je crois que nous avons un problème très français, celui d'une culture du risque assez distanciée. Et nous voyons bien lorsque survient l'événement l'émotion que cela crée, les questions et les analyses que cela suscite, etc.

L'État peut effectivement impulser une dynamique. Nous le faisons. Mais je pense que cela doit concerner la société tout entière. L'État ne peut pas tout en la matière.

Le contenu des fûts n'est quant à lui pas soumis au secret. M. Berg vous en parlera sans doute de façon plus savante que je ne pourrais le faire. Il n'y a aucune volonté de ne pas communiquer les informations.

Nous avons été très desservis opérationnellement et sur le plan de la communication puisqu'il nous a fallu nous y reprendre à trois reprises pour obtenir la bonne liste de produits de la part de l'exploitant et puisque les listes des produits nous sont parvenues en deux temps - d'abord ceux de Lubrizol, puis ceux de Normandie Logistique. Ce n'était pas optimal sur le plan de la communication.

Dans un monde où le complotisme est assez présent - je fais allusion au monde des réseaux sociaux -, l'on y voit forcément je ne sais quelle mauvaise manière.

C'est factuel, les choses se sont présentées ainsi. Mais, je le dis devant vous et sous serment : sachez qu'il n'y a eu aucune volonté de masquer la liste ou la composition de l'ensemble de ces produits.

Nous avons d'ailleurs, depuis, abondamment nourri le site de la préfecture, où sont publiés les résultats des analyses dès qu'ils nous parviennent - quelles que soient ces analyses (eau, produits agricoles, etc.). Il existe donc à présent une banque de données de résultats extrêmement fournie, l'événement remontant à près de deux mois. Et ces résultats sont encourageants.

Sur le fait que tout cela ait tardé, c'est le problème de l'exploitant. C'est l'exploitant qui a failli. Je suis assez clair là-dessus.

Sur l'information des élus locaux, nous pourrions avoir deux idées. Nous pourrions imaginer, d'une part, de protocoliser Gala. Ce dispositif relève plutôt du domaine réglementaire, voire de la circulaire. Peut-être serait-il possible de prescrire au préfet, lorsqu'un événement survient, d'informer tous les maires pour qu'ils sachent qu'il se passe quelque chose, en précisant par exemple : « consignes suivront si concernés ». Puis, d'autre part, une fois les communes concernées définies, nous pourrions envoyer un second message Gala expliquant la conduite à tenir, voire un troisième message signalant la fin de l'événement.

Mais il ne faut pas non plus surdimensionner ou survaloriser Gala pour deux raisons. D'une part, il existe aussi des carences municipales. Nous avons parfois 10 % à 15 % d'absence de réponse des intéressés par vague Gala. D'autre part, il ne faut pas non plus que l'État demande aux maires des choses impossibles. Par exemple, s'il s'agit de dire par message Gala : « Prévenez vite votre population ». C'est bien gentil, mais cela est possible pour un maire d'une commune de 200 habitants, qui peut circuler en voiture dans son village avec un mégaphone, par exemple. Mais si la commune compte 3 000 ou 4 000 habitants, comment faites-vous pour prévenir le moindre pavillon, la moindre cage d'escalier ? On retombe sur le cell broadcast. Ce système serait triplement gagnant en cas d'information très générale. Il serait gagnant pour l'État, pour les maires, comme pour les populations touchées.

Sur la réouverture de l'usine, les choses sont très simples. La réouverture complète de l'usine me paraît inenvisageable avant plusieurs mois.

Ce qui me paraît positif, c'est que Lubrizol a eu une attitude plutôt responsable pour l'heure. Cette société a mis en place des systèmes d'indemnisation des entreprises, des collectivités locales et des agriculteurs. De plus, elle a fait un choix stratégique lourd : celui de renoncer à l'implantation de stocks sur place. Ce point est très important. Il n'y aura donc plus de stocks sur le site, à part un petit stock « tampon » nécessaire au fonctionnement. La société a complètement repensé son système pour délocaliser ses stocks ailleurs.

De plus, elle a indiqué qu'à court terme elle souhaiterait rouvrir non pas le site de Lubrizol, mais son siège administratif, situé à Rouen, ainsi que deux petites unités de mélange qui ne présenteraient pas de risque particulier.

Sur ce point, la position de l'État est simple et claire. La balle est dans le camp de Lubrizol. C'est à Lubrizol de constituer un dossier comportant toutes les garanties réglementaires nécessaires, y compris en matière d'incendie et y compris s'il ne s'agit que de petits produits.

Il lui faudra également suivre toute la procédure : instruction et avis de l'inspection des installations classées et débat en Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) avec les élus, les associations, etc. Enfin, le préfet pourrait alors prendre un arrêté de réouverture pour les deux petites unités susmentionnées.

Je comprends la volonté de Lubrizol d'agir vite, compte tenu du problème de l'emploi. Cette société emploie en effet près de 400 salariés - 2 000 en comptant les indirects et les induits. Le sujet est très lourd pour la place de Rouen.

En tout cas, pour ce qui concerne l'État, j'ai clairement indiqué que l'impératif de sécurité devait présider. Soit Lubrizol présente un plan rigoureusement conforme aux textes et convaincant et pourra faire sa réouverture partielle, soit ce n'est pas le cas et il lui faudra attendre le temps nécessaire à cette mise à niveau.

Sur la communication, nous avons publié le premier tweet à 4 h 50. Lors du débat qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, personne n'y a fait référence ! Et pourtant, dès 4 h 50 un premier tweet était publié, suivi à 5 h 15 de notre premier communiqué de presse, puis de plusieurs dizaines d'interviews tout au long de la journée. Mais nous avions face à nous le poids des réseaux sociaux. Il est vrai que la préfecture n'est que sur Twitter, et pas sur Facebook. Faut-il l'envisager ? Pas forcément, car nous n'aurions pas les moyens d'alimenter un dialogue permanent sur Facebook, mais on aurait peut-être s'en servir comme d'un écran supplémentaire, comme nous le faisons sur le site internet de la préfecture.

Toujours sur la communication, nous envisageons une ligne dédiée aux élus. En effet, dès le matin, nous avons mis en place une cellule d'information du public, dotée de près de quinze fonctionnaires mobilisés sur cette unique mission. Mais, pour les maires qui souhaitaient joindre la préfecture, cela pouvait être délicat. L'idée est donc d'avoir une ligne qui leur soit dédiée. Protocoliser Gala, ligne dédiée pour les maires et surtout cell broadcast !

Je terminerai par une remarque, que je ne peux passer sous silence : il y a eu quelques horreurs sur les réseaux sociaux, jusqu'à de faux communiqués de presse sous le timbre de l'ARS ou de la préfecture, et des attaques ad hominem. Tout cela laisse quand même rêveur sur l'état de la société, ou à tout le moins de certains de nos concitoyens. Pourquoi insisté-je tant sur le cell broadcast ? Parce que je me dis que, avec de l'information personnalisée, on pourrait tuer à la source bien des fantasmes ou des actions malveillantes.

Les effectifs préfectoraux sont ce qu'ils sont, mais nous avons les moyens d'agir : nous avons le SIRACEDPC, qui compte 18 fonctionnaires permanents, et les ressources des services déconcentrés - direction départementale des territoires (DDT), Dreal, Sdis, ARS - qui sont mobilisés. Autant nous avons des progrès à faire sur la communication et l'information - notamment avec des outils modernes -, autant je considère que l'opérationnel fonctionne plutôt bien, avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le Cogic, les centres de crise des différents ministères - ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) et ministère de la santé -, et le commandement unifié à l'échelon départemental avec le préfet et le centre opérationnel départemental (COD).

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