Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol

Réunion du 21 novembre 2019 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous accueillons aujourd'hui M. Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie et préfet de la Seine-Maritime. Il y a deux mois presque jour pour jour, vous avez eu à gérer un accident industriel majeur, celui de l'incendie de l'usine Lubrizol. L'incendie a été rapidement maîtrisé et nous tenons à vous en féliciter. Lorsque notre commission d'enquête s'est rendue à Rouen, nous avons pu apprécier à quel point vous avez eu à prendre des mesures difficiles, rapides et efficaces. Le feu a été rapidement maîtrisé ; en revanche, la taille du panache de fumée, sa dispersion jusque dans les Hauts-de-France et la persistance d'une odeur d'hydrocarbures dans l'agglomération rouennaise pendant plusieurs semaines ont engendré un sentiment d'inquiétude dans la population quant aux conséquences sanitaires, notamment à long terme, de cette catastrophe. Vous avez eu l'occasion, lorsque vous nous avez accueillis à Rouen le 24 octobre dernier, de nous présenter de manière détaillée le déroulement de la gestion de crise, il ne sera pas nécessairement utile d'y revenir, sauf peut-être pour répondre aux quelques collègues qui n'auraient pas été présents à Rouen.

Chacun reconnaît le bon déroulement des opérations, mais plusieurs questions se posent, notamment sur la question de l'information des élus, sur les conditions dans lesquelles l'alerte a été donnée, sur les conditions dans lesquelles les transports publics ont pu circuler le matin, mais pas l'après-midi ou sur les conditions d'ouverture des établissements scolaires.

Nous nous interrogeons également sur l'application de l'instruction ministérielle du 12 août 2014 relative à la gestion des situations incidentelles ou accidentelles impliquant des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Nous en avons parlé avec Mme Delphine Batho, ancienne ministre de l'environnement, qui avait souhaité être auditionnée par notre commission d'enquête. Vous avez déclaré devant la mission d'information de l'Assemblée nationale que vous n'aviez pas eu le temps de prendre connaissance de cette instruction.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Seulement du rapport d'inspection de 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Vous allez pouvoir nous préciser les choses, car nous étions quelque peu étonnés qu'un préfet chevronné tel que vous l'êtes, ayant de surcroît été en poste dans des départements comportant des sites Seveso, n'ait pas eu connaissance de cette instruction ministérielle de 2014.

Vous évoquerez sans doute la question de l'information ; les dispositifs utilisés sont sans doute d'un autre temps, et il est regrettable que le système de cell broadcast n'ait pas été mis en oeuvre jusqu'à présent, alors qu'il s'agit d'une proposition évoquée depuis plusieurs années, notamment ici au Sénat, par notre collègue Jean-Pierre Vogel, dans un rapport de 2017.

Le dernier point sur lequel je vous demanderai de revenir, c'est la question du manque d'eau. Vous avez attiré notre attention, lorsque nous sommes venus à Rouen, sur le fait que, pendant quatre heures, le débit d'eau a été insuffisant. L'incendie aurait pu être maîtrisé dans des délais encore plus brefs. Les responsables de la métropole que nous avons interrogés il y a quelques jours semblaient le découvrir et ont considéré qu'il n'y avait pas eu de problème.

Je vous rappelle que vous êtes devant une commission d'enquête, que tout témoignage mensonger est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pierre-André Durand prête serment.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

L'événement que nous avons vécu la nuit du 25 au 26 septembre 2019 est un événement évidemment extrêmement difficile et exigeant pour les services. Il s'est agi d'un incendie industriel de grande ampleur concernant un site industriel Seveso « seuil haut » qui contenait principalement des additifs chimiques d'huiles de lubrifiant, relevant essentiellement de la famille des hydrocarbures. Cet incendie s'est déclaré un peu avant 3 heures du matin et a été totalement éteint en douze heures : il a été circonscrit à 10 h 30, maîtrisé à 13 heures et éteint à 15 heures. Cet incendie extrêmement spectaculaire nous a, bien évidemment, très vite mobilisés. Très rapidement après la première intervention des sapeurs-pompiers, il est apparu que l'article L.742-2 du code de la sécurité intérieure devait s'appliquer : lorsqu'un sinistre concerne plusieurs communes ou est d'une importance telle qu'il dépasse les moyens de la commune, le préfet doit prendre la main et c'est ce que j'ai fait. Avec l'éclairage des sapeurs-pompiers, il m'a fallu ensuite caractériser le risque. Le plan particulier d'intervention (PPI) de la zone de Rouen regroupe plusieurs sites Seveso et ICPE. Il prévoit différents types de risques : le risque explosif, le risque toxique et le risque thermique. Nous n'étions ni dans un cas de risque explosif - même s'il y a eu des explosions de bouteilles de gaz ou de fûts -, ni dans un cas de risque toxique - pas de chlore ou autre, entraînant des décès immédiats ou rapides -, mais dans un cas de risque incendie avec cet important panache de fumée. Cette caractérisation du risque nous a ensuite permis de définir la manière d'agir pour traiter le sinistre et calibrer les moyens.

J'ai tout d'abord pris en compte le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de ce site qui avait déjà réduit les risques à la source, notamment par le retrait de deux cuves de gaz et d'un stockage d'acide chlorhydrique. Je me suis également appuyé sur l'étude de dangers établie par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) dès 4 heures du matin, qui m'a permis d'avoir une indication précise sur le site et le type de produits présents. J'ai donc pu, sur cette base, fixer une ligne stratégique claire au colonel des sapeurs-pompiers. Je souhaitais en premier lieu éviter tout risque de suraccident : on trouve en effet, dans un rayon de 500 mètres, deux sites Seveso « seuil bas » et trois ICPE. Ma seconde préoccupation était d'avoir très vite les éléments de mesure des sapeurs-pompiers, pour prendre les décisions adaptées vis-à-vis de la population rouennaise : fallait-il évacuer ? Fallait-il confiner ? Ou fallait-il simplement éviter les déplacements inutiles et mettre à l'abri les personnes les plus fragiles ? C'est sur ces bases-là que le sinistre a été traité.

Le bilan a été satisfaisant, au regard des craintes que nous avions : pas de suraccident, pas de morts, pas de blessés, pas d'immeubles détruits et pas de pollution de la Seine. Nous avons cependant rencontré deux obstacles de taille au cours de ces douze heures : la rupture d'une source importante d'eau pendant la phase d'extinction, à laquelle vous avez déjà fait allusion, et un risque de pollution majeure de la Seine. En effet, les eaux d'extinction et les émulseurs, mais aussi les hydrocarbures échappés des fûts éventrés, ont commencé à se déverser dans une darse ; j'ai donc pris la décision de mobiliser des moyens du plan Pollution maritime (Polmar) que j'ai fait rapatrier du Havre pour bloquer dans la darse l'ensemble de ces pollutions. Pour remédier à la rupture d'alimentation en eau, nous avons mobilisé des bateaux-pompes qui ont apporté leur concours dès 8 heures du matin.

Voilà donc, à très grands traits, ce à quoi nous avons été confrontés pendant cette nuit. Inutile de vous dire que quand, dans l'après-midi, nous avons pu stabiliser le bilan, avec la hantise de compter des tués, des blessés ou des destructions, nous avons été bien évidemment soulagés. Il y a eu par ailleurs cette pollution liée au nuage qui s'est déployé puis s'est étiré et dilué jusque dans les Hauts-de-France et qui a donné lieu ensuite à des chutes de suie. Nous avons alors alerté les maires.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je souhaiterais que vous nous répondiez sur la question de l'instruction ministérielle. Mme Delphine Batho nous a indiqué que, d'une manière générale, les préfets avaient fait peu de cas de cette circulaire, alors qu'elle avait eu l'occasion de la présenter, en tant que ministre, pendant une demi-journée, à l'occasion d'une réunion des préfets, afin de les sensibiliser sur l'importance de ce sujet.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Je vous remercie de me donner l'occasion de préciser quelque peu les choses. Lorsque j'ai été entendu par la mission d'information de l'Assemblée nationale, son président Christophe Bouillon m'a demandé si, lors de ma prise de fonctions, j'avais lu le rapport d'inspection sur l'incident Lubrizol de 2013. J'ai répondu très franchement, et je le répète sous serment devant vous aujourd'hui, que je ne l'avais pas lu, car, à ce moment-là, je ne l'avais pas à l'esprit. J'avais pris mes fonctions en Seine-Maritime quelques mois auparavant. Lorsqu'un préfet prend ses fonctions, il accomplit un certain nombre d'actes essentiels : il se fait présenter l'ensemble des sites sensibles du département - centrales nucléaires, sites Seveso, etc. - puis l'état des plans - plan Orsec, PPI, et autres - et enfin, l'état du Service interministériel régional des affaires civiles et économiques de défense et de la protection civile (SIRACEDPC) et du centre opérationnel départemental (COD). C'est ce que j'ai fait. Quant au rapport d'inspection de 2013, je ne l'avais pas à l'esprit, et on ne me l'a pas signalé.

J'ai donc été assez surpris quand Mme Batho a déclaré qu'en 2013, il y a six ans, en réunion de préfets, elle avait présenté ce rapport. Je rappelle que nous avons, chaque année, six à huit réunions de préfets qui font intervenir quatre à six ministres par journée, sur des temps de parole de 30 à 60 minutes, ce qui correspond à une cinquantaine d'interventions par an. Très honnêtement, je n'ai pas le souvenir de son intervention, ni même du rapport, que j'avais peut-être lu à l'époque.

Ce qui est important, c'est de savoir si ce rapport avait donné lieu à du droit positif. J'ai cru comprendre que Mme Batho avait également affirmé que le Gouvernement n'en avait tiré aucune conséquence. Cela n'est pas exact, puisqu'il y a justement eu cette instruction du 12 août 2014 signée par Mme Ségolène Royal et par M. Bernard Cazeneuve. Il y a donc bien eu une traduction de ce rapport par le Gouvernement de l'époque.

De quels outils ai-je disposé le soir de la crise ? Essentiellement des dispositions législatives et réglementaires du livre VII du code de la sécurité intérieure, qui constitue en quelque sorte le socle des outils de gestion de crise, ainsi que des diverses circulaires, dont celle du 12 août 2014.

Comment cette circulaire a-t-elle trouvé à s'appliquer ? Premièrement, sur la question du réseau d'expertise, grâce à un partenariat et un appui apportés par la Dreal d'Île-de-France. Deuxièmement, sur la mobilisation de la cellule d'appui aux situations d'urgence (CASU), avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) : c'est alors que j'ai eu connaissance du rapport, à 19 h 40. Troisièmement, sur la prise en compte des événements industriels dans les plans d'opérations internes (POI) et les PPI : ces éléments sont partiellement intégrés dans les POI des industriels et la Dreal en a le contrôle au titre des inspections qu'elle diligente ; dans les PPI des fiches spécifiques ont été rédigées pour que les industriels informent les riverains, les collectivités de tout événement perceptible. Dernièrement, sur le rôle renforcé des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA) : on applique de façon presque littérale la circulaire avec la mutualisation et la mise à disposition par Atmo Normandie de canisters auprès du service départemental d'incendie et de secours (Sdis) pour permettre des mesures rapides de la qualité de l'air ; la circulaire permet également de suspendre momentanément ou d'adapter la diffusion des indices de qualité de l'air, c'est ce qu'a fait Atmo l'après-midi même. Je considère que cette circulaire, qui constitue une boîte à outils, a été bien utilisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Bonfanti-Dossat

Je vous remercie de toutes les précisions que vous venez de nous apporter sur un événement « difficile » et « exigeant » selon vos mots, que nous pouvons considérer comme un accident majeur. Nous avons entendu hier M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, qui nous a fait part de sa satisfaction quant à votre intervention rapide et efficace. Il a même l'employé le terme de « prouesse ».

Le 5 novembre dernier, l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris) a publié un livre blanc qui met l'accent sur une communication de crise dépassée avec des messages contradictoires et flous, qui aurait généré de la défiance au sein de la population. Vous avez vous-même déclaré : « Nous ne pouvons pas gérer les crises du XXIe siècle avec des outils du XXe » Vous avez également déclaré avoir identifié des marges de progrès : quelles sont-elles ? Nous avons l'impression que l'État, obsédé par la défense des secrets de fabrication industrielle, a fait de la rétention d'information qui donne un sentiment d'opacité. J'en veux pour preuve la liste des produits brûlés qui a été dévoilée petit à petit et qui était largement illisible. Dans ces conditions, comment s'étonner que la confiance dans la parole de l'État s'érode ? Cette situation n'a-t-elle pas alimenté les peurs ?

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

J'ai toujours très clairement indiqué, sans aucune réticence ni aucun déni, que nous sommes évidemment perfectibles sur le terrain de l'information. S'agissant de la liste des produits, nous étions, souvenez-vous, dans une situation où, normalement, la liste des produits n'était pas communicable, conformément à une instruction de 2017 diffusée à la suite de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier. Toutefois, dans le cas d'espèce, compte tenu de l'émotion, le Premier ministre a décidé de rendre publique la liste des produits. Ces listes sont conservées et gérées par la Dreal, mais elles ne prennent pas en compte l'évolution des stocks au jour le jour. En revanche, à chaque inspection, l'exploitant doit être en mesure de produire l'état de ses stocks. C'est ce que nous avons demandé à Lubrizol à la suite de l'incendie, mais l'exploitant nous a adressé une liste illisible de formulations industrielles et commerciales. Nous avons dû nous y prendre à trois fois avant de pouvoir disposer d'une liste précise. Quant à l'entreprise Normandie Logistique, elle n'a pas diffusé sa liste au même moment. La totalité des produits brûlés a donc été rendue publique en deux temps. La Dreal a été confrontée à une situation qui, en termes d'annonces et de communication, n'était pas des plus confortables.

Sur les marges de progrès concernant l'information, ma conviction très forte est que le sujet du cell broadcast est, d'un point de vue professionnel, tout à fait central. Quand nous avons dû informer et alerter les populations, nous avons publié un tweet à 4 h 50, puis un communiqué de presse à 5 h 15 ; j'ai ensuite très vite pris la parole sur les ondes et, au cours de la journée, j'ai tenu quatre conférences de presse, publié quatre communiqués de presse et accordé plusieurs dizaines d'interviews. Nous avons donc déployé un plan de communication massive, mais, dans le même temps, nous avons assisté à la montée en puissance très rapide des réseaux sociaux, avec des discours très divers, des bruits les plus singuliers et qui ont fait dévier, presque d'emblée, l'information.

J'évoque à présent l'alerte et l'information des populations, car tout se tient. Dans la partie réglementaire du code de la sécurité intérieure, les articles R.732-19 et suivants décrivent les outils à disposition du préfet et lui laissent le choix parmi ces derniers. L'article R.732-20 mentionne ainsi à la fois la possibilité d'émettre un message d'alerte, au moyen d'une sirène, et celle d'une diffusion par la radio. Nous avons donc une liberté de choix.

S'est posée très rapidement à moi la question des sirènes, la sirène étant l'un des éléments de l'alerte. Il est entre quatre et cinq heures du matin, je dispose d'un PPI de zone qui comporte 31 sirènes couvrant 32 communes. Raisonnablement, à quatre heures du matin, devais-je déclencher ces 31 sirènes ? Évidemment, non. Et j'assume totalement ce choix, le code de la sécurité intérieure me laissant d'ailleurs cette liberté. C'est le premier point. Sachant que l'utilisation des sirènes, même en mode dégradé, peut aller jusqu'à ne pas les actionner.

Fallait-il n'en actionner aucune ? Face à un tel événement, imaginez que je n'aie actionné aucune sirène, que n'aurait-on dit ? Je décide donc d'actionner les deux sirènes à proximité.

Se pose ensuite la question du moment. Fallait-il actionner ces deux sirènes, que l'on entend de loin y compris du centre de Rouen, à quatre heures du matin ou faire un autre choix ? J'ai fait un choix autre. Je les ai actionnées à huit heures moins le quart, avant que les gens aillent à leur travail - étant précisé que, près d'une heure et demie avant, sur les ondes, j'évoquais l'événement et j'annonçais que nous allions actionner ces deux sirènes au moment choisi. Le processus avait donc été annoncé et expliqué, et il a été souligné que cette activation des sirènes avait pour objet d'inviter les gens à écouter la radio et à suivre un peu les choses.

D'un point de vue macro, cela a été compris. Cela a été une bonne décision pour la ville de Rouen et l'ensemble des communes. En revanche, cela a pu causer des quiproquos pour les communes très proches du site, notamment à Petit-Quevilly, qui voyait l'incendie, en quelque sorte, et n'a entendu les sirènes que plus tard. J'admets tout à fait qu'il ait pu y avoir un quiproquo.

Sans vouloir être trop long sur nos histoires de sirènes, je rappelle ce qu'il faut faire lorsqu'une sirène sonne. Il faut rester chez soi, ne pas téléphoner, écouter la radio et ne pas aller chercher ses enfants à l'école.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Je pose la question : qui sait cela ?

J'ajoute que, si les sirènes de Seveso seuil haut et les sirènes de centrales nucléaires ont à peu près la même signification, en revanche la signification d'une sirène de barrage est inverse. Quand la sirène sonne, il faut évacuer les lieux. Imaginez que quelqu'un se retrouve à la campagne sous un barrage au moment où une sirène se déclenche et n'ait qu'une connaissance partielle de sa signification, vous voyez un peu le problème.

Nous avons su passer du tocsin à la sirène au début du XIXe siècle. Je pense que, au XXIe siècle, il faudrait, au moins sur les sites très industriels - je pense à Rouen et au Havre, mais il existe d'autres lieux, comme la vallée de la chimie dans le département du Rhône - passer au cell broadcast.

Cela fait partie des petits points de friction que j'ai eus. Je vois bien l'avantage de ce système. Au lieu d'avoir un écran avec des sirènes à activer, vous avez un écran comportant des pylônes. Il faut alors sélectionner les pylônes, ce qui garantit une zone de diffusion plus large que la zone opérationnelle composée des fameuses douze communes que vous connaissez. Le problème de l'effet frontière ne se pose donc pas, la diffusion étant forcément plus large et les gens recevant, ou non, le message.

De plus, cela peut être fait à n'importe quel moment. Et le message arrive sur les téléphones portables. Tout le monde, même dans les classes modestes, dispose aujourd'hui d'un téléphone portable. Nous sommes dans une société plutôt individualiste. C'est ainsi. Vous devez le vivre en tant qu'élus. Cette société est aussi très mobile. Il faut donc livrer l'information directement au citoyen.

Le cell broadcast permet également d'écrire des messages un peu plus longs que des SMS, comportant sauf erreur de ma part plus de 1 300 signes. Ces messages peuvent indiquer la nature de l'événement concerné ainsi que la conduite à tenir. Le citoyen recevrait ainsi ces informations à domicile. Un tel système règle la question du moment de diffusion de l'information et limite les risques de malentendus et d'effet frontière. Je ne jette pas les sirènes, si je puis dire. Mais elles ne pourraient être, à mon sens, qu'un moyen redondant. Il faut que l'outil de droit commun de l'information pour les risques technologiques, et peut-être aussi pour les risques nucléaires, puisse passer par le cell broadcast.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Oui, c'est pourquoi je proposais que l'on s'intéresse en premier lieu aux très grandes concentrations urbaines. Toutes les zones, peuplées ou non, méritent évidemment d'être traitées. Mais, comme dans tout dispositif, nous pourrions peut-être commencer par les très grands pôles industrialo-urbains que nous avons sur notre sol.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le préfet, vous avez souligné que le PPI comme le PPRT et l'étude de dangers étaient centrés sur des risques létaux à court terme - toxicité aiguë, surpression, effet thermique. L'accident de l'usine Lubrizol soulève, pour sa part, des questions de toxicité chronique. Faut-il renforcer la prise en compte de ces risques dans les documents existants ?

Par ailleurs, quelle est la composition exacte des 160 fûts endommagés qui se trouvent actuellement sur le site de l'usine Lubrizol ? Vous avez dit vous-même, le 1er octobre dernier, que ces fûts contribuaient aux émanations malodorantes. Cela signifie donc qu'ils fuient.

M. Berg a laissé entendre qu'il s'agissait du même produit qu'en 2013 pouvant dégager du mercaptan et de l'hydrogène sulfuré (H2S) lorsqu'il est chauffé. Cela laisse à penser qu'il s'agit de dialkyldithiophosphate de zinc (DATP). Pourquoi cela n'a-t-il pas été dit, écrit, précisé ? La transparence souhaitée sur ce point par les populations n'a pas été totale jusqu'à présent.

Par ailleurs, un dispositif impressionnant a été mis en place autour de ces fûts, comportant une tente dépressurisée, des robots manipulateurs, etc. Cela montre que ces produits sont dangereux. Curieusement, il semblerait que le protocole d'engagement des opérations que vous avez signé le 1er octobre n'ait pas été publié au même titre que les autres documents sur le site de la préfecture, ce qui interroge sur le niveau de transparence à l'oeuvre sur cette question.

Enfin, quelles sont la composition exacte et la toxicité des gaz qui s'échappent de ces fûts ? Des analyses ont-elles été réalisées ou seront-elles conduites prochainement ? Le bon sens voudrait en effet que ces gaz soient analysés, afin d'avoir une idée de la nature des gaz qui se sont échappés pendant l'incendie et dans les jours suivants.

Il s'agit là de questions importantes que les populations se posent et sur lesquelles la transparence ne semble pas totale. J'aimerais donc avoir votre éclairage à leur sujet.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Sur la question des risques chroniques que vous évoquez, le PPI prévoit des scénarios très clairs adossés à des études de dangers. Nous étions en l'occurrence dans le cas d'un risque à effet thermique qui comportait également une toxicité par le nuage. Si l'on était dans le nuage, une difficulté se présentait, bien entendu.

L'étude de dangers expliquait qu'avec 100 mètres de plafond et 1 340 mètres de distance nous n'étions plus dans les zones d'effets irréversibles, même à mesure des zones de dilution. C'est ce qui m'avait conduit d'ailleurs, compte tenu du caractère très exceptionnel de ce feu - je rappelle que le plafond a démarré à 400 mètres, puis est redescendu à 200 mètres - à ne pas me poser de question et à considérer d'emblée qu'il fallait appliquer les mêmes mesures sur 22 kilomètres, soit la longueur des douze communes concernées.

Sur la question des risques chroniques, je n'ai pas d'élément particulier à vous donner. Il s'agit d'un sujet assez technique que le Dreal ou l'Agence régionale de santé (ARS) vous expliqueraient mieux que moi.

Pour vous répondre, j'utilise, pour ma part, l'étude de dangers telle qu'elle existe, qui a d'ailleurs été mise à jour récemment ; c'est pourquoi je préférerais que vous puissiez évoquer ce point avec la Dréal. Je pense que la totalité des risques a bien été prise en compte.

S'agissant des odeurs, des odeurs extrêmement désagréables ont effectivement perduré à Rouen pendant près de quatre semaines. Il s'agissait essentiellement d'odeurs d'hydrocarbures. Ces odeurs avaient plusieurs sources. Elles venaient à la fois du site de Lubrizol, du site de Normandie Logistique et de la darse dans laquelle s'étaient déversés en grande quantité de l'huile, du lubrifiant et de l'émulseur utilisé par les sapeurs-pompiers - le tout provoquant une odeur très forte que je qualifierais d'odeur de station-service. C'est donc cette odeur très déplaisante que nous avions dans la ville de Rouen, dans les appartements comme dans les bureaux. Je peux en témoigner, subissant évidemment cette odeur comme tout le monde.

Les travaux de dépollution et de nettoyage ont été engagés, ce qui a permis de supprimer presque totalement cette odeur. Elle reste encore présente à proximité du site. Pour vous dire jusqu'où cela est allé, près de trente mètres cubes d'hydrocarbures sont allés se loger sous les quais, qui sont bâtis sur pilotis. Il a fallu faire intervenir des plongeurs et installer des pompes pour retirer ces substances.

Toutes les nappes et autres flaques d'hydrocarbures ont été retirées à l'heure où je vous parle. Il reste encore des matières plus ou moins solides à enlever. Le travail se poursuit. Il s'effectue en deux étapes, conformément aux prescriptions : l'une fin novembre, l'autre fin décembre. Les choses devraient être rétablies d'ici la fin de l'année.

Concernant les fûts, il faut en retirer 1 300. Une partie de ces fûts - entre 250 et 300 - a déjà été retirée. Sur ces 1 300 fûts, 160 sont altérés et font l'objet d'un traitement particulier justement pour éviter les odeurs.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Je ne la connais pas, mais la Dreal pourra vous la donner.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Les émanations de gaz de ces fûts ont-elles fait l'objet d'une analyse ?

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Je n'ai pas connaissance de telles analyses. Les mesures prises visent précisément à éviter toute émanation.

Ces fûts sont traités en tente dépressurisée pour éviter les odeurs. Si j'ai bien compris - ce sujet est très technique -, celles-ci sont liées à la décomposition des produits qui, chauffés, peuvent dégager du mercaptan provoquant une odeur désagréable, à distinguer toutefois de la toxicité.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Nous interrogerons donc la Dreal sur la composition des produits contenus dans ces fûts et sur la nature des gaz qui s'en dégagent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert-Luc Devinaz

Monsieur le préfet, j'ai plusieurs questions à vous poser.

De qui les bateaux-pompes dépendent-ils ? Sont-ils à votre disposition à votre demande ?

À quel moment le Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) est-il intervenu en soutien ? Comment le rapport s'est-il formalisé avec lui ? Quelle a été la nature de ce soutien ? Je présume que des débriefings ont été réalisés. En envisagez-vous dans le temps ?

Vous avez parlé d'un risque thermique, mais des fumées potentiellement toxiques se sont dégagées, que des personnes ont pu inhaler. Un suivi est-il prévu par rapport à cette situation ?

Par ailleurs, la communication est « sur la sellette », ce qui est normal dans ce genre de situation. Il est en effet beaucoup plus facile de dire ce qu'il faut faire lorsque l'on n'a pas à le faire. Cela dit, de votre point de vue, quelles démarches de communication ont bien fonctionné et quelles autres n'ont pas donné satisfaction ? Ne serait-il pas nécessaire d'intégrer un plan de communication dans les PPI, si ce n'est pas déjà prévu ?

Enfin, ne faudrait-il pas rendre obligatoires des exercices associant la population ? Quelle en serait la difficulté ? Je vous pose cette question, car le département dont je suis l'élu, le Rhône, comporte 32 sites Seveso.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Un bateau est arrivé du grand port maritime de Rouen à 5 h 48 pour pallier l'affaissement de la ressource en eau.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Oui. Aucun débat n'a eu lieu sur ce point. Ensuite, deux autres bateaux venus du Havre sont arrivés en renfort à 12 h 30 et à 15 heures. Mais l'essentiel du travail s'est fait à partir de 5 h 48. Nous avons eu plusieurs échanges téléphoniques et en visioconférence assez fluides avec le Cogic. Je vous retrouverai les heures exactes auxquelles ces communications ont eu lieu.

Ces échanges ont été utiles, car ils ont permis notamment le renfort de SDIS voisins. Un hélicoptère a également été mobilisé. Je considère, très honnêtement, avoir eu un bon appui opérationnel.

Par ailleurs, la communication n'étant pas optimale, j'ai pris l'initiative d'avoir des échanges avec des maires, en tête-à-tête ou avec les services, afin d'obtenir de leur part de petits retours d'expérience et de leur demander ce qui, selon eux, pouvait être amélioré.

Parmi les éléments perfectibles, nous pouvons citer l'usage de la gestion de l'alerte locale automatisée (Gala). Compte tenu de la taille de l'incendie et de la vitesse de sa propagation, un périmètre opérationnel a été défini et nous avons prévenu tout de suite les services de permanence des mairies. Mais cette information n'a pas été doublée d'un message envoyé aux maires par Gala. Or cette démarche aurait été bienvenue. Les maires ont été avisés par leurs services, mais certains auraient préféré recevoir une information directe, ce que je comprends.

En milieu de journée, vers 14 heures, je n'avais pas encore les retours de Météo-France et de l'Ineris. J'avais pris la peine en début de matinée d'essayer de visualiser le nuage par un envoi d'hélicoptère. C'est ainsi que nous avons su qu'il faisait 22 kilomètres.

À ce moment-là, le feu et les fumées diminuaient à Rouen, d'une part, mais d'autre part, commençaient à se diluer et à s'étirer, et nous ne savions pas où. J'ai donc diffusé un message Gala, qui a été reçu par tous les maires, expliquant ce qu'il se passait. À cette distance, il n'y avait pas d'autre préconisation. Nous étions en dessous du panache, donc en situation d'air habituelle - même si ce terme a pu parfois faire débat. Comme je n'avais pas de visibilité, je n'ai plus voulu attendre. J'ai donc diffusé ce message.

Il a été assez bien compris des maires de l'intérieur. Je crois que vous les avez auditionnés récemment. C'était mon objectif. Mais je manquais de visibilité sur le nuage. En effet, la carte dont nous disposons ayant été établie a posteriori, je ne l'avais pas lors de l'événement.

Or les maires des communes proches de Rouen, qui voyaient le panache de fumée depuis le matin, n'avaient pas eu d'informations de la part de la préfecture, car leurs communes ne figuraient pas dans le périmètre opérationnel. Ils ont donc reçu, en début d'après-midi, un message les informant de l'événement et les incitant à la prudence et à la vigilance, notamment à l'égard des personnes fragiles - enfants, personnes âgées, etc. Cela a suscité un peu d'incompréhension.

Sans vouloir paraître obsessionnel, si j'avais eu un outil de type cell broadcast, non seulement j'aurais pu agir la nuit et envoyer des messages personnalisés à domicile, mais je n'aurais pas été confronté au problème de l'effet frontière. Car j'aurais pu mobiliser un réseau de pylônes qui aurait été nécessairement plus large que le périmètre opérationnel.

S'agissant des exercices, en 2018 et 2019 la préfecture a réalisé des exercices sur tout type de risque. Depuis début 2019, 81 exercices POI ont été effectués par les industriels - environ huit, pas moins. Le 1er mars 2019, un important exercice PPI a été réalisé sur le site de Borealis.

Pour ce qui est des plans communaux de sauvegarde (PCS), un problème s'est posé sur lequel je me permets d'attirer votre attention. J'ai lancé récemment un exercice PCS adressé aux 708 communes du département. Sur les 708 communes, toutes ne sont pas soumises à un PCS obligatoire. C'est un exercice annuel, donc connu, qui n'intervient pas par surprise. Il se fait sur la base du volontariat, ce que j'ai bien indiqué aux communes.

Au 19 novembre, 85 communes ont répondu ; 53 d'entre elles ont indiqué qu'elles ne participeraient pas. Sur ces 53 communes, 19 d'entre elles sont dotées d'un PCS. Les 32 communes restantes ont dit qu'elles participeraient. Sur ces 32 communes, 12 n'ont pas de PCS. Soit un taux de participation de moins de 5 % à ce jour.

Mon propos n'est pas critique. Je ne voudrais pas qu'il soit mal perçu. Je constate en revanche que cela renvoie à la question de la culture du risque qui se pose dans notre société.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Monsieur le préfet, l'État ne devrait-il pas précisément impulser une dynamique sur ce point ? Nous constatons en effet qu'il existe des marges de progrès, notamment sur les PCS. Il reste une culture à développer en matière de risque.

Je reste interrogative par ailleurs sur la question du contenu des fûts. Dans les premiers jours ayant suivi l'incendie, l'un des dirigeants de Lubrizol m'a indiqué qu'il était extrêmement touché par ce qu'il s'était produit, notamment parce que le stockage en question était, d'après lui, un outil très performant permettant de savoir au fût près quels produits étaient présents sur les lieux.

Notre attention a été également appelée sur le fait que la circulaire Hulot-Collomb du 6 novembre 2017 limitait la connaissance des produits présents sur les sites sensibles en raison du risque d'attentat, mais n'interdisait pas de communiquer ces informations aux sapeurs-pompiers, aux maires voire même à certaines associations concourant à la sécurité civile. Le temps nécessaire pour dévoiler la liste des produits présents sur le site de Lubrizol me laisse donc perplexe.

Enfin, je distingue, pour ma part, l'alerte de l'information. S'agissant de l'alerte, j'ai entendu vos arguments relatifs au choix de l'heure de déclenchement des sirènes. Il n'empêche que cette heure était très tardive pour de nombreuses professions - transports en commun, facteurs, etc. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

Enfin, les services de la préfecture ne devraient-ils pas, selon vous, être entourés d'une cellule d'information ayant pour mission d'informer les populations et les élus locaux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

J'aimerais me projeter dans l'avenir, car tel est aussi le but de cette commission.

Monsieur le préfet, comment envisagez-vous et à quelle échéance l'éventuelle réouverture de l'usine ? Avec quels protocoles ? Quelles préconisations ? Et quel accompagnement pourrait-il être prévu sur le plan de l'information pour que la population perçoive bien les conditions dans lesquelles cette usine pourrait reprendre son activité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le préfet, j'ai interrogé M. le ministre de l'intérieur le 20 novembre dernier sur la capacité que pouvait avoir à répondre à ce genre de crise une équipe préfectorale, sachant la diminution des effectifs qui s'opère depuis plusieurs années dans les préfectures, en application de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Il vous est peut-être délicat de répondre à cela compte tenu du devoir de réserve qui s'impose à vous en tant que fonctionnaire de l'État. Mais j'aimerais savoir si la difficulté à communiquer dont vous avez vous-même fait état peut être attribuée à un manque d'effectifs au sein de la préfecture.

Debut de section - Permalien
Pierre-André Durand, préfet de la région Normandie, préfet de la Seine-Maritime

Concernant la culture du risque, nous avons dans les effectifs du SIRACEDPC un agent qui suit tous les programmes d'exercice de l'État et des industriels ainsi que les incitations faites auprès des élus pour participer à ces exercices. Nous nous efforçons déjà d'améliorer la planification de ces programmes.

Parmi les pistes de progrès à envisager, ne pourrions-nous pas rendre obligatoires les PCS ? Je me permets de réfléchir à haute voix devant vous. Je rappelle que les PCS ne concernent que des mairies soumises à des risques particuliers. Ne faudrait-il pas rendre l'outil PCS obligatoire dans toutes les communes, afin de généraliser la culture de la planification ?

Des travaux de sensibilisation se font déjà. Je pense notamment aux exercices menés régulièrement par l'Éducation nationale. Mais je crois que nous avons un problème très français, celui d'une culture du risque assez distanciée. Et nous voyons bien lorsque survient l'événement l'émotion que cela crée, les questions et les analyses que cela suscite, etc.

L'État peut effectivement impulser une dynamique. Nous le faisons. Mais je pense que cela doit concerner la société tout entière. L'État ne peut pas tout en la matière.

Le contenu des fûts n'est quant à lui pas soumis au secret. M. Berg vous en parlera sans doute de façon plus savante que je ne pourrais le faire. Il n'y a aucune volonté de ne pas communiquer les informations.

Nous avons été très desservis opérationnellement et sur le plan de la communication puisqu'il nous a fallu nous y reprendre à trois reprises pour obtenir la bonne liste de produits de la part de l'exploitant et puisque les listes des produits nous sont parvenues en deux temps - d'abord ceux de Lubrizol, puis ceux de Normandie Logistique. Ce n'était pas optimal sur le plan de la communication.

Dans un monde où le complotisme est assez présent - je fais allusion au monde des réseaux sociaux -, l'on y voit forcément je ne sais quelle mauvaise manière.

C'est factuel, les choses se sont présentées ainsi. Mais, je le dis devant vous et sous serment : sachez qu'il n'y a eu aucune volonté de masquer la liste ou la composition de l'ensemble de ces produits.

Nous avons d'ailleurs, depuis, abondamment nourri le site de la préfecture, où sont publiés les résultats des analyses dès qu'ils nous parviennent - quelles que soient ces analyses (eau, produits agricoles, etc.). Il existe donc à présent une banque de données de résultats extrêmement fournie, l'événement remontant à près de deux mois. Et ces résultats sont encourageants.

Sur le fait que tout cela ait tardé, c'est le problème de l'exploitant. C'est l'exploitant qui a failli. Je suis assez clair là-dessus.

Sur l'information des élus locaux, nous pourrions avoir deux idées. Nous pourrions imaginer, d'une part, de protocoliser Gala. Ce dispositif relève plutôt du domaine réglementaire, voire de la circulaire. Peut-être serait-il possible de prescrire au préfet, lorsqu'un événement survient, d'informer tous les maires pour qu'ils sachent qu'il se passe quelque chose, en précisant par exemple : « consignes suivront si concernés ». Puis, d'autre part, une fois les communes concernées définies, nous pourrions envoyer un second message Gala expliquant la conduite à tenir, voire un troisième message signalant la fin de l'événement.

Mais il ne faut pas non plus surdimensionner ou survaloriser Gala pour deux raisons. D'une part, il existe aussi des carences municipales. Nous avons parfois 10 % à 15 % d'absence de réponse des intéressés par vague Gala. D'autre part, il ne faut pas non plus que l'État demande aux maires des choses impossibles. Par exemple, s'il s'agit de dire par message Gala : « Prévenez vite votre population ». C'est bien gentil, mais cela est possible pour un maire d'une commune de 200 habitants, qui peut circuler en voiture dans son village avec un mégaphone, par exemple. Mais si la commune compte 3 000 ou 4 000 habitants, comment faites-vous pour prévenir le moindre pavillon, la moindre cage d'escalier ? On retombe sur le cell broadcast. Ce système serait triplement gagnant en cas d'information très générale. Il serait gagnant pour l'État, pour les maires, comme pour les populations touchées.

Sur la réouverture de l'usine, les choses sont très simples. La réouverture complète de l'usine me paraît inenvisageable avant plusieurs mois.

Ce qui me paraît positif, c'est que Lubrizol a eu une attitude plutôt responsable pour l'heure. Cette société a mis en place des systèmes d'indemnisation des entreprises, des collectivités locales et des agriculteurs. De plus, elle a fait un choix stratégique lourd : celui de renoncer à l'implantation de stocks sur place. Ce point est très important. Il n'y aura donc plus de stocks sur le site, à part un petit stock « tampon » nécessaire au fonctionnement. La société a complètement repensé son système pour délocaliser ses stocks ailleurs.

De plus, elle a indiqué qu'à court terme elle souhaiterait rouvrir non pas le site de Lubrizol, mais son siège administratif, situé à Rouen, ainsi que deux petites unités de mélange qui ne présenteraient pas de risque particulier.

Sur ce point, la position de l'État est simple et claire. La balle est dans le camp de Lubrizol. C'est à Lubrizol de constituer un dossier comportant toutes les garanties réglementaires nécessaires, y compris en matière d'incendie et y compris s'il ne s'agit que de petits produits.

Il lui faudra également suivre toute la procédure : instruction et avis de l'inspection des installations classées et débat en Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) avec les élus, les associations, etc. Enfin, le préfet pourrait alors prendre un arrêté de réouverture pour les deux petites unités susmentionnées.

Je comprends la volonté de Lubrizol d'agir vite, compte tenu du problème de l'emploi. Cette société emploie en effet près de 400 salariés - 2 000 en comptant les indirects et les induits. Le sujet est très lourd pour la place de Rouen.

En tout cas, pour ce qui concerne l'État, j'ai clairement indiqué que l'impératif de sécurité devait présider. Soit Lubrizol présente un plan rigoureusement conforme aux textes et convaincant et pourra faire sa réouverture partielle, soit ce n'est pas le cas et il lui faudra attendre le temps nécessaire à cette mise à niveau.

Sur la communication, nous avons publié le premier tweet à 4 h 50. Lors du débat qui s'est tenu hier à l'Assemblée nationale, personne n'y a fait référence ! Et pourtant, dès 4 h 50 un premier tweet était publié, suivi à 5 h 15 de notre premier communiqué de presse, puis de plusieurs dizaines d'interviews tout au long de la journée. Mais nous avions face à nous le poids des réseaux sociaux. Il est vrai que la préfecture n'est que sur Twitter, et pas sur Facebook. Faut-il l'envisager ? Pas forcément, car nous n'aurions pas les moyens d'alimenter un dialogue permanent sur Facebook, mais on aurait peut-être s'en servir comme d'un écran supplémentaire, comme nous le faisons sur le site internet de la préfecture.

Toujours sur la communication, nous envisageons une ligne dédiée aux élus. En effet, dès le matin, nous avons mis en place une cellule d'information du public, dotée de près de quinze fonctionnaires mobilisés sur cette unique mission. Mais, pour les maires qui souhaitaient joindre la préfecture, cela pouvait être délicat. L'idée est donc d'avoir une ligne qui leur soit dédiée. Protocoliser Gala, ligne dédiée pour les maires et surtout cell broadcast !

Je terminerai par une remarque, que je ne peux passer sous silence : il y a eu quelques horreurs sur les réseaux sociaux, jusqu'à de faux communiqués de presse sous le timbre de l'ARS ou de la préfecture, et des attaques ad hominem. Tout cela laisse quand même rêveur sur l'état de la société, ou à tout le moins de certains de nos concitoyens. Pourquoi insisté-je tant sur le cell broadcast ? Parce que je me dis que, avec de l'information personnalisée, on pourrait tuer à la source bien des fantasmes ou des actions malveillantes.

Les effectifs préfectoraux sont ce qu'ils sont, mais nous avons les moyens d'agir : nous avons le SIRACEDPC, qui compte 18 fonctionnaires permanents, et les ressources des services déconcentrés - direction départementale des territoires (DDT), Dreal, Sdis, ARS - qui sont mobilisés. Autant nous avons des progrès à faire sur la communication et l'information - notamment avec des outils modernes -, autant je considère que l'opérationnel fonctionne plutôt bien, avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), le Cogic, les centres de crise des différents ministères - ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) et ministère de la santé -, et le commandement unifié à l'échelon départemental avec le préfet et le centre opérationnel départemental (COD).

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je vous remercie. Nous vous avons adressé un questionnaire préalablement à cette audition, nous serions heureux d'en recevoir les réponses écrites. Et n'hésitez surtout pas à nous adresser également tout élément, toute information, toute réflexion prospective sur les améliorations à apporter. Tout cela nous sera évidemment très précieux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Monsieur le directeur, notre commission d'enquête répond à deux objectifs. Le premier est d'évaluer les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, ainsi que les conditions dans lesquelles la crise a été gérée. Le deuxième objectif est de se tourner vers l'avenir pour essayer de voir quelles améliorations pourraient être apportées aux dispositifs concernant les installations classées et industrielles présentant un risque technologique.

Nous nous posons beaucoup de questions compte tenu du nombre d'inspections auxquelles ont été soumis ces sites, ce qui n'a pas empêché l'incendie. Pourquoi autant de contrôles pour de tels résultats ? Nous nous interrogeons également sur les délais qui sont souvent accordés aux entreprises afin d'exécuter les notifications - j'utilise ce terme qui est plus générique que celui de mise en demeure - qui peuvent leur être délivrées.

Nous sommes bien conscients qu'il est difficile de trouver le bon équilibre en matière de contrôle. Ceux qui disent aujourd'hui que vous avez été trop « laxistes » sont parfois les mêmes que ceux qui vous estiment trop exigeants dans d'autres domaines. Nous sommes bien conscients de l'équilibre précaire qu'il vous faut en permanence trouver, mais nous aimerions que vous puissiez nous éclairer sur ce point et aussi sur tous les actes pris postérieurement à l'événement. En effet, il peut paraître surprenant qu'interviennent, après l'incendie, des contraventions et des mises en demeure. Cela nécessite des éclaircissements sur cet enchaînement, en ce qui concerne le site de Lubrizol et celui de Normandie Logistique.

Enfin, le site de Normandie Logistique se trouve au milieu d'une zone industrielle qui comprend plusieurs sites Seveso : on peut donc s'étonner qu'il n'ait pas fait l'objet de plus d'attention et qu'il ait pu rester aussi longtemps soumis à un régime juridique inadapté.

Je vous rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende et vais vous demander de prêter serment.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Berg prête serment.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Monsieur le président, c'est pour moi un honneur de pouvoir rendre compte, devant votre commission d'enquête, du service public que je dirige et des moyens qui sont mis à ma disposition. Il est toujours utile de pouvoir expliquer comment fonctionne un service public pour éclairer nos concitoyens.

La direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de Normandie rassemble 500 personnes et, dans cet ensemble, l'inspection des installations classées requiert l'intervention d'un peu plus d'une centaine de fonctionnaires. La Dreal de Normandie procède de la fusion, en 2016, de la Dreal Haute-Normandie et de la Dreal Basse-Normandie, qui résultaient elles-mêmes de la fusion des anciennes directions régionales de l'industrie de la recherche et de l'environnement (Drire), qui s'occupaient de ce sujet avec les anciennes directions régionales de l'environnement (DIREN) et les anciennes directions régionales de l'équipement (DRE), elles-mêmes enrichies de la partie maîtrise d'ouvrage routière des directions départementales de l'équipement (DDE).

Je dirige un service qui réunit des femmes et des hommes engagés dans le service public et dont je suis très fier. J'estime qu'ils font très bien leur travail, notamment les inspectrices et les inspecteurs d'installations classées. Les Dreal comptent 10 000 fonctionnaires. Nous sommes quant à nous 500. J'affirme que nous avons fait notre travail, et je souhaite vous le démontrer.

Même si ce point n'a pas toujours été mis en avant - je pense cependant que le préfet l'a évoqué devant vous -, cet accident très impressionnant n'a fait aucun mort ni aucun blessé. Certains ont fait le rapprochement avec l'accident d'AZF qui, en 2001, a fait 31 morts, 2 442 blessés et rendu 11 200 logements inhabitables. Je considère pour ma part qu'il ne s'agit pas d'une réplique d'AZF.

La législation préexistante à AZF et postérieure a été très utile pour éviter que l'incendie de Lubrizol génère des conséquences aussi graves et je signale ici deux exemples à l'appui de cette affirmation. On dénombrait 21 PPRT en Normandie - cinq en Basse-Normandie, 16 en Haute-Normandie. Le PPRT de Lubrizol a été prescrit le 6 mai 2010 et approuvé le 31 mars 2014. Je précise que pour les sites Seveso présents sur le territoire en 2003, au moment de la publication de la loi consécutive à AZF, ces PPRT consistaient à réduire les risques à la source.

Dans le cas de Lubrizol, il a alors été demandé à l'exploitant de supprimer deux cuves de gaz de pétrole liquéfié (GPL) présentes sur le site, l'une entre le hangar 4 et hangar 5, l'autre près de la rue de Madagascar. Ce type de cuve est à l'origine d'un accident dramatique à Feyzin, en 1966, qui a provoqué 18 morts. Le processus à éviter est le suivant : l'incendie se rapproche de la cuve puis celle-ci s'ouvre en deux et une boule de feu en sort, ce qui provoque ensuite des ravages. Le préfet de la Seine-Maritime, sur proposition de la Dreal, a donc prescrit l'enlèvement de ces cuves et leur remplacement par des dispositifs d'une ampleur beaucoup plus limitée. Je suis convaincu que cette prescription a joué un rôle très important pour éviter des morts et des blessés dans l'accident du 26 septembre : on a rarement l'occasion d'en faire état et je profite de l'occasion qui m'est donnée pour le rappeler. En second lieu, nous avons demandé la suppression d'un stockage d'acide chlorhydrique. Son maintien aurait obligé les pompiers à travailler sur deux fronts, avec l'incendie devant eux et le stockage d'acide chlorhydrique derrière. Je me félicite que ce stockage ait également été supprimé.

Je pense donc que le PPRT a été un facteur très important pour maîtriser les risques associés à cet accident et pour parvenir au résultat selon lequel on ne déplore aucun mort ni aucun blessé.

Les textes européens transcrits en droit français sur les études de danger constituent également un élément important. Une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) doit être exploitée en toute sécurité mais ce n'est pas l'État qui la fait fonctionner. Ce type d'installation implique des risques technologiques chroniques, comme les rejets dans l'air et dans l'eau, et des risques technologiques accidentels. Lorsqu'un accident survient, il existe un protocole applicable à toutes les Dreal : une équipe se réunit en préfecture dans le cadre d'une cellule de crise, une équipe se rend sur le site et une équipe est mobilisée à la Dreal pour examiner les études de danger.

On compte, chez Lubrizol, cinq études de danger correspondant à cinq secteurs différents. L'étude de danger du secteur « utilité et stockage » était disponible, bien à jour, et donnait une vision très précise des produits stockés dans l'entrepôt, ainsi que du panache de fumée susceptible d'être généré par un incendie. Cela nous a permis, dès quatre heures du matin, d'indiquer aux pompiers, à la préfecture et à l'ensemble des parties prenantes sur site, y compris mes propres collaborateurs, qu'il n'y avait pas de danger toxique au sol. L'effet toxique se situait dans le panache, avec un maximum de toxicité à 100 mètres de hauteur et dans un rayon de 1 340 mètres de distance.

J'en viens à votre interrogation : trente-neuf inspections en sept ans, est-ce utile ? Les circulaires recommandent de se rendre au moins une fois par an sur un site classé Seveso. Quant aux ICPE soumises à simple déclaration, les visites interviennent sur simple signalement. Nous sommes allés 39 fois sur le site à cause de l'accident de 2013, qui a nécessité un accompagnement extrêmement resserré de l'exploitant. Ces 39 visites d'inspection ont eu des thèmes successifs, à commencer par l'amélioration de la capacité de l'usine à maîtriser les odeurs. Nous avions également constaté en 2013 qu'il était nécessaire de travailler sur la réactivité et la proactivité. Plusieurs plans d'opération interne (POI) ont été réalisés à notre demande, certains inopinés et d'autres programmés. Enfin, nous avons, bien entendu, travaillé sur la sécurité incendie.

Ce nombre d'inspections peut paraître important, mais il faut savoir que nous nous rendons très souvent sur des sites Seveso de cette nature.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Ce n'est pas tant le nombre d'inspections qui nous interpelle que le fait que, malgré toutes ces inspections, on a laissé perdurer une situation qui a conduit à ce que l'on sait. On continue d'ailleurs, après l'incendie, à établir des notifications, des mises en demeure et des procès-verbaux.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Il s'agit là du fonctionnement normal de l'inspection. Une visite d'inspection donne lieu à un rapport d'inspection : celui-ci est réalisé dans les jours qui suivent et notifié à l'exploitant. Les manquements éventuels donnent lieu à une mise en demeure de l'exploitant, qui rappelle la législation et les exigences applicables. Lorsque nous constatons des infractions pénales, nous rédigeons par ailleurs un procès-verbal d'infraction, que nous transmettons au parquet. Je suis, dans ce cadre, placé non seulement sous l'autorité du préfet mais aussi du parquet. Telle est la pratique systématique en cas d'accident.

Des visites d'inspection et de contrôle ont lieu dans l'ensemble des 6 500 ICPE de Normandie et, en particulier, sur les 104 sites Seveso seuil haut ou bas. En cas d'accident, nous sommes sur place et nous y avons été presque jour et nuit pendant toute la séquence de crise du 26 septembre. Nous y sommes retournés ensuite pour relever les manquements susceptibles d'expliquer l'accident et constatés après l'accident. C'est un processus de travail normal et la mise en demeure porte sur les points sur lesquels les exploitants doivent se mettre en conformité. Cette méthodologie se conforme au code de l'environnement et à la notion de proportionnalité. Nous allons autant de fois que nécessaire chez un exploitant et il faut aussi souligner que les sites Seveso ont quelquefois un très grand nombre d'unités de production. Un site Seveso peut, par exemple, représenter plusieurs dizaines de réacteurs et il y a donc beaucoup de choses à inspecter.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Bonfanti-Dossat

Monsieur le directeur, lors de votre audition à l'Assemblée nationale, vous avez déclaré qu'il y avait eu une défaillance administrative de la part de l'entreprise Normandie Logistique. Vous avez même évoqué des infractions pénales. J'aimerais en savoir un peu plus à ce sujet.

Par ailleurs, s'il avait été nécessaire de faire évacuer la ville, puis l'agglomération, en auriez-vous eu les moyens ? On a le sentiment d'une impréparation de la population face aux risques industriels.

Le préfet a, tout à l'heure, parlé d'exercices en vase clos avec les mairies, etc. Les populations y seront-elles associées, et comment ?

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Normandie Logistique est une installation classée depuis longtemps. En remontant à la Seconde Guerre mondiale, on a retrouvé une déclaration faite aux autorités, en 1953, en tant que magasin général. C'est donc une entreprise familiale traditionnellement implantée à Rouen et qui a toujours été présente sur les emprises proches du port pour stocker des produits liés à l'activité portuaire. En 1976, la loi a créé la notion d'installations classées. L'entreprise a intégré cette catégorie en 1986, lorsque les exigences ont été renforcées et nous avons d'ailleurs retrouvé le document par lequel elle s'est manifestée auprès de l'administration. C'est en effet à l'exploitant de se déclarer, et non à l'administration de courir après les industriels pour savoir s'ils relèvent de tel ou tel régime.

Une nouvelle rubrique est apparue en 1992. On a retrouvé un courrier de la Drire datant de 1994 qui s'étonne de n'avoir rien reçu de la part de cette entreprise. La réponse ne figure pas dans nos archives papier mais il a peut-être disparu en raison de leurs déménagements successifs.

En 2010, le rubriquage a changé à nouveau, avec la création du régime de l'enregistrement, un peu plus simple que le régime de l'autorisation pure et simple. On n'a retrouvé aucun courrier de la part de Normandie Logistique à cette époque. Cette entreprise a donc conservé son statut d'installation classée soumise à déclaration, alors qu'elle relevait désormais d'un régime d'autorisation ; elle est ensuite revenue au régime de l'enregistrement. Nous n'avons donc pas organisé de visite d'inspection chez Normandie Logistique. Je ne pense pas que l'on puisse nous le reprocher car l'organisation des visites d'inspection obéit à la notion de proportionnalité par rapport aux risques. Nous allons très souvent sur les sites Seveso seuil haut, souvent sur les Seveso seuil bas et régulièrement sur les sites relevant du régime de la déclaration. Je rappelle que nous n'allons sur les sites concernés par la déclaration simple qu'en cas de signalement d'un élu ou d'un riverain et cela arrive régulièrement. On peut constater que les choses sont en règle, mais il nous arrive de nous apercevoir que l'activité réelle est bien plus consistante que celle qui a été déclarée et relève de l'autorisation.

Il n'y a jamais eu de signalement concernant Normandie Logistique et cela me semble cohérent avec le fait que cette entreprise est honorablement connue sur la place de Rouen. Pour autant, nous y sommes allés deux fois en réunion de travail, en 2011, dans le cadre de l'élaboration du PPRT pour étudier, avec Lubrizol, les effets du site Seveso seuil haut. Les services sont également allés chez tous les voisins de Normandie Logistique. Toutes ces données ont été partagées, en 2013, dans le cadre d'une réunion d'information entre les diverses parties prenantes : élus, associations et services de l'État.

L'accident survenu en janvier 2013 concernait un épisode très odorant...

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Bonfanti-Dossat

À quel moment vous êtes-vous déplacés par rapport à cet accident ?

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Nous sommes intervenus dans le cadre du PPRT, avec un processus qui a démarré en 2010 et qui s'est achevé en 2014. La diffusion des éléments du PPRT a eu lieu en 2013, avant sa phase d'approbation et de concertation publique. Nous y sommes retournés en 2017 : Lubrizol envisageait apparemment depuis des années l'acquisition de cette emprise et il nous fallait étudier avec les deux exploitants les travaux à envisager en conformité avec le régime Seveso.

Y a-t-il eu un effet péjorant et aggravant sur la sécurité de ces entrepôts et sur la situation sur laquelle vous m'interrogez aujourd'hui ? Sous réserve de l'enquête judiciaire et de la fin de l'enquête administrative, qui se termine fin décembre, cette entreprise de logistique n'avait peut-être pas une gestion très rigoureuse de ses stocks. Une des mises en demeure que nous lui avons adressées concernait une demande de fourniture d'un état rigoureux de ses stocks. Des huissiers de justice sont présents, à chaque enlèvement de palettes et de fûts, afin de recenser exactement ce qui sort et d'avoir rapidement un état exact des stocks. En tout état de cause, nous considérons, à ce stade, et sous réserve des conclusions des enquêtes judiciaire et administrative, que Normandie Logistique ne stockait pas de produits inflammables ou de produits Seveso, mais seulement des produits lambda qui pouvaient brûler dès lors qu'ils étaient exposés à un incendie. Cela ne dédouane pas Normandie Logistique de sa responsabilité. Le point que vous évoquez a fait l'objet d'une constatation, car il est anormal que l'entreprise ait omis de se manifester en 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Monsieur le directeur, quelle est la composition exacte des 160 fûts de Lubrizol encore présents sur le site, et qui sont endommagés ? Le préfet lui-même, le 1er octobre, a indiqué qu'ils contribuent à des émanations odorantes. Vous-même avez laissé entendre qu'il s'agissait du même produit qu'en 2013, c'est-à-dire du mercaptan. Pourquoi la composition de ces substances n'a-t-elle pas été communiquée ?

Des gaz s'échappent-ils de ces fûts ? Quelle est leur composition exacte ? Il aurait semblé normal de les analyser. On peut encore le faire, puisque les fûts sont là. Cela a-t-il été fait ou va-t-il être fait ?

De plus, les opérations autour de ces fûts laissent supposer qu'ils sont dangereux et il me parait nécessaire d'être plus transparent, ce qui ne semble pas avoir été suffisamment le cas jusqu'à présent. Aucun document à ce sujet n'est publié sur le site de la préfecture, et cela nourrit les inquiétudes.

Par ailleurs, le préfet nous a rappelé que le plan particulier d'intervention (PPI) et le PPRT étaient centrés sur des risques létaux à court terme et de toxicité aiguë. Or dans l'incendie de Lubrizol, il s'agit de toxicité chronique. Faut-il selon vous renforcer la prise en compte de ces risques dans les documents existants ?

Enfin, nous attendons des propositions de votre part, puisque notre rapport va en formuler un certain nombre en matière réglementaire ou législative. Que doit-on améliorer ? Nous avons besoin de votre expérience pour le savoir.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Sans être trop long, il me semble nécessaire de revenir à l'accident de 2013. Lubrizol est un fabricant d'additifs pour lubrifiants et, chimiquement, c'est le soufre qui fait la qualité de ses lubrifiants. Le soufre est présent à Rouen depuis 1769, date de l'installation de la première fabrique de tissu peint dits « indiennes » destinées à concurrencer les importations en provenance d'Inde. On utilisait alors l'acide sulfurique pour blanchir le coton afin d'y imprimer efficacement la couleur. Cela fait donc 250 ans que l'industrie du soufre est installée à Rouen, rive gauche, alors que certains semblent découvrir cette usine et la présence de soufre.

En 2013, un opérateur est parti un vendredi soir en laissant deux agitateurs tourner dans la cuve dans laquelle se trouvait un produit à base de soufre : le dialkyldithiophosphate de zinc qui contient non seulement du zinc mais aussi du phosphore et du soufre. Or quand on agite trop le soufre, il s'échauffe et commence à sentir très mauvais. Comme vous le savez, le nez humain capte les émanations soufrées de mercaptan même à des doses extrêmement faibles : ce n'est pas dangereux, mais très malodorant. D'ailleurs, en 2013, on l'a senti durant un jour et demi, et nous avons constaté que l'exploitant ne maîtrisait pas totalement son process puisque l'unité Socrematic servant au rabattement des odeurs n'a pas réussi à supprimer celles de soufre. En conséquence, une partie des visites effectuées après 2013 avaient pour but de prescrire un renforcement de l'efficacité et du rendement de cette unité et de vérifier que ces prescriptions avaient bien été réalisées.

On a constaté deux ans après, en 2015, que certains travaux n'étaient pas réalisés. Lubrizol a donc reçu à cette époque une mise en demeure lui demandant d'effectuer ces travaux rapidement et le récolement a eu lieu fin 2016.

L'incendie du 26 septembre dernier a entièrement détruit les hangars 4 et 5 et les fûts présents dans la cour, entre les deux hangars ; le feu a également échauffé un stockage sur le côté du hangar 5, à l'extérieur, contenant 1 389 fûts. Cette information a été fournie par l'exploitant, qui a d'abord dû tout nettoyer pour les compter. Parmi ces 1 389 fûts, 166 contiennent cet agent susceptible, lorsqu'il est échauffé, de produire des mauvaises odeurs. Le mercaptan n'est pas dangereux - il faudrait en absorber des quantités phénoménales pour qu'il le devienne -, mais il est très incommodant. Il peut aussi - chose plus délicate dans certaines cas de réchauffement - produire de l'hydrogène sulfuré (H2S) qui est un gaz plus dangereux et plus toxique. C'est pourquoi ces 1 389 fûts sont pour nous une priorité en termes de prévention du risque de suraccident. Les autres fûts contiennent des additifs fabriqués par l'usine.

Lubrizol collecte aujourd'hui tous les fûts, qui sont parfois complètement brûlés, vides ou endommagés. Si le fût s'est échauffé, il peut contenir un léger ciel gazeux de mercaptan et un peu d'H2S. C'est pourquoi nous avons prescrit une méthode extrêmement rigoureuse d'élimination de ces fûts, avec un raccordement à l'unité de rabattement des odeurs qui n'a pas été détruite par l'incendie.

Pour ce qui est du PPI, le préfet prend la main lorsque l'exploitant n'arrive pas à maîtriser un accident. Je rappelle que les installations classées Seveso seuil haut doivent disposer d'un POI. Le PPRT, quant à lui, est un document créé par la loi dite Bachelot de 2003 afin de réduire les risques à la source dans les sites Seveso présents sur le territoire en 2003, et par déplacement d'équipements ou réduction du niveau de stockage des produits dangereux. Ce travail a été conduit de manière très pragmatique et c'est la Dreal qui, avec l'exploitant, est à la manoeuvre. C'est ensuite la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) qui se charge du règlement d'urbanisme.

Votre interrogation porte également sur la toxicité chronique. Celle-ci ne relève pas du PPRT, qui est un outil de maîtrise des effets sur l'environnement du site Seveso seuil haut existant en 2003. Aujourd'hui, un site Seveso seuil haut qui s'installe - ce qui est assez rare - doit respecter les limites prescrites. Si d'aventure il les dépasse un peu, des servitudes y sont associées. En Normandie, je précise que tous les PPRT ont été approuvés. Le dernier l'a été début 2019 et celui de Lubrizol a été approuvé en 2014.

La maîtrise des risques toxiques, des rejets dans l'eau, dans l'air et dans les milieux relèvent de l'étude d'impact. Il s'agit d'une notion franco-française plus ancienne que l'étude d'impact de l'évaluation environnementale, au sens de la directive européenne. Elle est ciblée sur la maîtrise des émissions en « régime de croisière », par application des règles de limitation des émissions dans l'eau et dans l'air.

Parmi les différents risques accidentels, on trouve le risque d'incendie, le risque d'explosion et le risque toxique. Le risque incendie comprend les émissions toxiques liées au panache de fumée. Ceci figurait dans l'étude de danger que nous avons analysée : nous avons constaté qu'elle était à jour et répondait aux questions que nous nous posions.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Quelles améliorations proposez-vous en termes de réglementation et de contrôle ?

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Je souligne avant tout que nous avons énormément progressé collectivement à Rouen en connaissance du risque industriel. Cela ne se situe pas sur le terrain réglementaire, mais c'est, selon moi, le progrès majeur.

En Normandie, la Seine-Maritime abrite deux pôles industriels très importants. Je signale au passage que la culture du risque est différente dans le pays de Caux, dans l'agglomération havraise, ou autour des très grandes installations que sont la raffinerie Total et la raffinerie Exxon à Port-Jérôme. Il me semble qu'on a amassé un matériau considérable : il faut maintenant l'analyser en détail et proposer aux parties prenantes de l'agglomération rouennaise de travailler ensemble pour partager ce sujet. L'État doit jouer un rôle tout comme les industriels, les élus et les associations. Ce point a été débattu dans le cadre du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), le 8 octobre, ainsi qu'en commission de surveillance du site, qui s'est réunie le 16 octobre. Je pense que nous sommes prêts. Le support existe. Il s'agit du Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI), qui date de 1977 et fonctionne plutôt bien dans l'agglomération havraise et à Port-Jérôme, mais qui vivote dans l'agglomération rouennaise.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Cela ne passe donc pas forcément par une évolution de la réglementation...

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

L'outil existe et il faut le relancer. Pour être efficace et impliquer la population, on a besoin des élus. Je crois que nous avons là une piste de progrès très concrète.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Le manque d'eau que l'on a constaté lors de l'incendie tient-il à un sous-dimensionnement des capacités ou au fait qu'il y a une différence entre ce que vous avez inspecté et la réalité du dispositif ?

Par ailleurs, pensez-vous que des sanctions financières plus lourdes, voire pénales, inciteraient les industriels à se conformer plus rapidement à la réglementation en cas de manquements ou d'infractions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Vous étiez en poste en 2013, au moment du premier incident qu'a connu Lubrizol. L'entreprise et l'ensemble des acteurs concernés en ont-ils tiré toutes les conséquences ? Nous avons auditionné Mme Batho, qui défendait plutôt une position inverse.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Ce site relève d'un arrêté préfectoral extrêmement récent, en date du 24 juillet 2019, qui prévoit une obligation de disposer d'un débit de 360 mètres cubes pendant 2 heures, soit 720 mètres cubes. Or l'exploitant s'est doté d'une réserve d'eau de 2 000 mètres cubes, très supérieure à la prescription réglementaire qui lui est applicable : il est donc en conformité.

D'autre part, l'exploitant nous a informés spontanément qu'il y avait en réalité, ce matin-là, 1 860 mètres cubes. Est-ce un manquement ? La réponse est non. Ils ont fait le choix d'un dispositif de 2 000 mètres cubes, largement dimensionné par rapport à l'obligation réglementaire, pour pouvoir mobiliser toute une série d'outils, de pompes et de dispositifs permettant d'être extrêmement puissants et concentrés en cas de départ d'incendie.

Pourquoi n'a-t-on pas détecté les défaillances ? Avant tout parce que les contrôles et les visites d'inspection incendie ont porté sur la zone de production centrale. Un site Seveso est classé seuil haut parce qu'il reçoit, en quantité supérieure au seuil, des produits très dangereux, soit inflammables, soit très toxiques pour l'environnement aquatique. Quand on visite un site Seveso seuil haut, on se focalise sur les endroits les plus dangereux.

Après la séquence dédiée aux odeurs, sujet très désagréable pour les Rouennais, en 2013, ainsi qu'en 1989, nous y sommes retournés à propos de la sécurité incendie. Nous avons constaté des lacunes et des défaillances. L'arrêté de mise en demeure du 25 avril 2017 avait constaté que, sur quatre points, impliquant notamment des liquides inflammables, l'organisation et les équipements ne permettaient pas à l'exploitant de respecter l'arrêté du 3 octobre 2010 relatif à ce type d'exploitation, impose de limiter à 20 minutes un départ de feu. Il nous fallait faire passer le message et l'entreprise a donc été mise en demeure, puis ces points ont été mis à jour en novembre 2018.

La zone de stockage incendiée comportait des produits combustibles qui ne sont pas inflammables. Sur les 5 000 tonnes qui ont brûlé, seules 12,75 tonnes de produits étaient inflammables, tout le reste étant des produits combustibles. Comment se fait-il que, sur un site où on trouve des produits inflammables et des produits combustibles non inflammables, le feu prenne non seulement du côté des produits combustibles mais aussi à l'autre bout ? Quand on regarde le rapport d'accident de l'entreprise voisine, on note que les déclenchements d'alarme sont intervenus en limite de propriété. Que s'est-il passé à cet endroit, où il n'y a pas de process de fabrication ? Cela peut donner lieu à un certain nombre de spéculations. Je mets cela en rapport avec des observations faites sur d'autres sites Seveso de Seine-Maritime : elles signalent des intrusions avec des grillages découpés à la cisaille, etc. Je n'ai pas d'éléments permettant d'être catégorique, mais je me pose la question, et je pense que le parquet doit se la poser également. Il est en tout état de cause légitime qu'un service d'inspection étudie les endroits où se trouvent les produits inflammables et les produits les plus toxiques pour l'environnement.

Certains se sont étonnés que la circulaire n'ait pas été appliquée en 2013 et je ne comprends pas bien ces prises de position. Cette circulaire indique quatre pistes de progrès : nous avons contribué à la rédiger et je la trouve très pragmatique car elle donne des pistes de travail et d'actions. En premier lieu, elle souligne qu'il est très important, en cas d'accident grave, que la Dreal locale se fasse aider par ses collègues. Le ministère a mis à notre disposition des agents de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (DRIEE) d'Île-de-France et de la Dreal des Hauts-de-France. En second lieu, la circulaire précise qu'il convient, pour que l'expertise ait un impact opérationnel et qu'on agisse vite, de disposer d'un appui sans faille au niveau central. Notre administration centrale a été extrêmement présente, ainsi que l'INERIS, qu'on a mobilisé dès le 26 septembre. Ce sont eux qui ont produit le document final, à la suite de nombreux échanges.

Troisièmement, la circulaire conseille une mutualisation des moyens entre industriels. Quelqu'un a déclaré que ceci n'a pas été mis en application. Mais la circulaire se situe plutôt sur un registre de conseils et d'expertises. Nous avons concrétisé ce volet avec les pompiers, sous l'autorité du préfet, et avec l'exploitant. Nous avons contacté les sites Seveso de Seine-Maritime qui détiennent des émulseurs, et ceux-ci nous ont été amenés, permettant de disposer de 96 mètres cubes au lieu des 27 mètres cubes de Lubrizol. Enfin, le dernier point de la circulaire porte sur le rôle des associations agréées pour la surveillance de la qualité de l'air. Celles-ci ont apporté leur appui en matière de prélèvements. La circulaire a donc été appliquée.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Il a servi de point d'appui à la circulaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

À votre avis, on a donc tiré toutes les conséquences de ce qui s'est passé en 2013 sur le site...

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

On en a tiré les conséquences générales concernant les outils de mobilisation en cas d'accident grave.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

On peut donc dire que l'État en a tiré toutes les conséquences, mais pas l'exploitant...

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

L'exploitant a été accompagné par la Dreal à cet effet. C'est notre travail et je constate avec vous qu'il a fallu, en 2015, qu'une mise en demeure accélère les travaux prescrits.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Le rapport d'inspection a donc été appliqué par l'État et moins bien par Lubrizol. Peut-on le résumer ainsi ?

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Lubrizol a bénéficié, en 2019, de toutes les dispositions de la circulaire de 2014. Disons qu'il aurait pu aller plus vite dans le traitement sur site des causes de cet accident.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

Nous ne sommes pas parfaits et personne ne l'est ! La Dreal Normandie est certifiée ISO 9001 et ISO 14001. Nous sommes labellisés Marianne et suivons une démarche d'amélioration continue. Nous tenons compte à chaque moment des critiques et des observations, et nous en tirons le meilleur parti.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Le préfet s'est attaché à nous dire - et on ne peut que l'en féliciter - que tous ses efforts se sont concentrés sur la prévention du risque de suraccident. Les pompiers se sont également attelés à circonscrire l'incendie. On dit que deux sites voisins de Lubrizol qui auraient pu être contaminés contenaient des produits éminemment dangereux qui, s'ils s'étaient enflammés, auraient été porteurs de très grands risques pour la population. Pouvez-vous nous en dire plus ? On se pose à présent la question de la pertinence du stockage de certains produits, potentiellement inflammables.

Par ailleurs, vous êtes fin connaisseur de la Normandie. Il semblerait que, dans l'agglomération havraise, la culture du risque soit plus prégnante qu'ailleurs dans la région et qu'elle « infuse » plus la population et les élus : est-ce bien le cas ? Je vous pose ces questions pour bénéficier de conseils utiles afin de faire prendre conscience à la population rouennaise et aux responsables rouennais de ces enjeux extrêmement importants.

Debut de section - Permalien
Patrick Berg, directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie

La maîtrise de l' « effet domino » pendant les opérations d'extinction relève du préfet et nous y apportons notre concours. Nous sommes situés dans une zone industrielle et portuaire, comme au Havre, constituée d'un ensemble industriel comportant des sites Seveso seuil bas et des Seveso seuil haut - avec Triadis, qui est une entreprise d'élimination de déchets industriels Seveso seuil bas depuis peu, ou Total Lubrifiants, dont l'activité est assez proche de celle de Lubrizol.

Les sites Seveso les plus importants, comme Borealis, et Rubis Terminal, se situent plus bas, au sud et leur présence a justifié la réalisation d'un PPRT très consistant. L'incendie n'avait toutefois pas une ampleur lui permettant d'aller aussi loin sur le boulevard maritime.

En ce qui concerne la culture du risque, votre observation est conforme à la réalité. J'observe qu'il existe une forme d'appropriation de ces usines à Port-Jérôme et au Havre. Ce sont en tout cas le propos des élus, des représentants du personnel et des riverains. Il s'agit de leur usine et ils y travaillent de longue date : on sait ce qui s'y fabrique et à peu près comment elle est organisée. Les élus du territoire en parlent sans crainte et s'impliquent beaucoup pour expliquer les risques, rappeler ce qu'il faut faire en cas d'incident ou d'accident et entretenir un dispositif d'alerte opérationnel.

Il faut peut-être faire des choses différentes dans l'agglomération rouennaise, mais l'implication des élus est importante et nous devons y travailler collectivement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Monsieur le directeur, merci beaucoup. Je vous invite à nous adresser par écrit les réponses au questionnaire qui vous a été envoyé, ainsi que tout complément qui pourrait être utile à nos travaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Mes chers collègues, nous achevons notre programme d'auditions de la semaine en entendant le colonel Jean-Yves Lagalle, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime (Sdis 76).

Mon colonel, au nom de l'ensemble des membres de notre commission d'enquête je voudrais d'abord vous exprimer toute notre admiration pour le travail que vous avez accompli, le 26 septembre dernier, lors de l'incendie de l'usine Lubrizol. La rapidité avec laquelle il a été éteint témoigne de votre engagement et de celui de vos hommes et nous vous en sommes tous reconnaissants.

Ma première question est évidemment de vous demander comment vont vos hommes quasiment deux mois, jour pour jour, après l'accident ? Des analyses ont été menées le jour même puis un mois plus tard : la ministre de la santé, lors de son audition la semaine dernière, a expliqué que les anomalies relevées n'étaient pas forcément imputables à l'incendie mais pouvaient traduire une situation médicale préexistante. Sans trahir de secret médical, pouvez-vous nous en dire davantage ?

J'en viens aux éléments techniques de l'incendie.

Lors du déplacement de notre commission d'enquête à Rouen, avec le préfet de Normandie vous nous avez expliqué avoir manqué d'eau, au point de devoir pomper l'eau de la Seine. Comment expliquez-vous cette situation ? Dans quelle mesure a-t-elle retardé l'extinction de l'incendie ? Quelles mesures devraient être prises afin de remédier à cette situation ?

Vous avez également déclaré avoir manqué de mousse jusqu'à l'arrivée des renforts venus d'Ile-de-France : les stocks étaient-ils sous-dimensionnés ou existait-il, ce jour-là, un problème particulier ? Ceci me conduit à vous poser une question plus générale : disposiez-vous de tous les équipements utiles dans ce type de situation ?

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Yves Lagalle prête serment.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Je vous remercie tout d'abord très sincèrement pour les mots de sympathie que vous avez eus pour nos personnels, que je ne manquerai pas de relayer à nos équipes. C'est important pour l'état d'esprit de nos personnels.

Il faut savoir que ce feu a nécessité un engagement total de toutes les parties prenantes, les sapeurs-pompiers mais aussi les personnels de l'entreprise Lubrizol, dont il faut saluer l'action. Après l'événement, il y a une phase d'inquiétude. A ma gauche, il y a notre médecin-chef, le docteur Thierry Senez, et à ma droite, le chef du service « risques industriels », le commandant Sylvère Perrot.

Nous avons rapidement mis en place un dispositif de suivi du personnel, avec des examens sanguins dont le protocole a été défini conjointement par le médecin de Lubrizol, notre médecin-chef et un professeur du CHU de Rouen. Ce protocole d'analyses sanguines est établi en trois temps, avec tout d'abord, en « t 0 », une première analyse. Il y a eu 900 ordonnances établies pour tous les intervenants sapeurs-pompiers. D'autres analyses ont été faites un mois après. D'autres seront faites dans six mois.

Sur les premières analyses, nous avons relevé quelques anomalies pour six agents, qui sont vite rentrées dans l'ordre. Les agents concernés ont fait l'objet d'une nouvelle analyse intermédiaire, quinze jours après. Un seul agent continuait à présenter des variations anormales, qui ont fait l'objet d'un suivi particulier. Ce n'est plus le cas et tout est rentré dans l'ordre. Nous continuons à suivre les analyses. Pour le moment nous n'avons fort heureusement rien d'anormal. Cela nous permet d'être dans une phase d'apaisement pour nos personnels, qui sont suivis et rassurés.

Quatre jours après l'incendie, le lundi 30 septembre, nous avons organisé une réunion extraordinaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) pour évoquer les questions de suivi médical avec le personnel. Les affaires de protection et de suivi médical sont prises très au sérieux.

Concernant l'approvisionnement en eau, il y a eu effectivement une rupture mais sur le site de l'usine Lubrizol. L'arrêté d'autorisation prévoit que le réseau de l'exploitant doit permettre de délivrer un débit de 360 mètres cubes par heure. Ce réseau, qui alimente 39 poteaux, est tombé à 4 h 15 du matin. A titre personnel, j'en ignore la raison. Il n'y avait donc plus de pression sur le réseau interne. En revanche, sur le réseau public géré par la métropole, les poteaux d'incendie étaient opérants. Nous les avons utilisés. En matière de défense contre les incendies, y a deux approches qui se conjuguent : celle de la police spéciale des installations classées, avec des obligations imposées à l'exploitant via l'arrêté préfectoral d'autorisation de l'installation, et la police générale gérée par la métropole pour le risque incendie classique, qui fait l'objet d'un règlement départemental et qui était, en l'espèce, complètement conforme. Heureusement que nous avons eu le réseau métropolitain, à raison de 4 poteaux. Nous ne sommes donc jamais tombés à zéro.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Contrairement à ce que nous avons pu parfois entendre, vous confirmez donc qu'il n'y a pas eu de problème avec le réseau public ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Il n'y a eu aucun problème. Bien au contraire, nous avons eu un contact avec la métropole, pour renforcer le débit du réseau. Mais il faut maîtriser l'augmentation de débit sur le réseau public, même pour un incendie qui demande beaucoup de capacité comme celui de Lubrizol, car cela peut endommager les réseaux et porter atteinte à la qualité de l'eau potable.

Dans ce type de situation, on s'appuie sur le réseau public pour circonscrire le feu, mais on pompe également de l'eau depuis la Seine. Pour cela, nous avons fait appel à des bateaux remorqueurs, l'un de Rouen et deux venant du Havre. Actuellement, nous avons des conventions avec le port du Havre mais pas avec celui de Rouen, car la convention a été dénoncée en 2013 par le port autonome. Une nouvelle convention devrait être établie à compter de janvier 2020.

Pour éteindre un feu d'hydrocarbures, il faut de l'eau mais il faut aussi un émulseur, pour faire de la mousse. Sur un incendie d'hydrocarbures, de l'eau pure propage l'incendie. Le Sdis possède des capacités d'émulseurs, avec 5 citernes de 6 000 litres, mais ils n'étaient pas suffisants face à ce feu hors norme. Grâce à la réactivité des moyens zonaux et nationaux, nous avons bénéficié de citernes d'émulseurs venant d'autres Sdis. Lorsque l'ensemble des moyens ont convergé, le top mousse a été donné à 11 heures du matin. Avant ce moment, nous avons effectué trois replis successifs et nous avons protégé les installations alentour. Le feu a été éteint, au total, en 12 heures.

Il faut bien avoir à l'esprit que c'est à l'exploitant de fournir le débit incendie de base. Le réseau des communes ne peut venir qu'en complément, car il n'est pas capable de délivrer un débit très élevé. La Seine permet de le faire davantage, avec les moyens lourds des remorqueurs.

Les collègues du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) ont été réactifs pour faire converger très rapidement les moyens en émulseurs et je les en remercie. Nous avons fait un top mousse à 11 heures et l'incendie a été éteint à 15 heures.

Il ne faut pas non plus oublier les moyens privés, venant des exploitants d'autres établissements Seveso, comme Exxon, Total et Borealis. Ce sont des moyens rares et chers, que le service public ne peut pas avoir en caserne, car ils ne serviraient que très rarement. Ce sont notamment des engins très puissants, qui ont une portée de 60 voire de 80 mètres, et qui ont été fort utiles lors de l'attaque de l'incendie.

Au final, cette gestion a été une belle oeuvre collective, avec une convergence de moyens publics et privés. C'est un des retours d'expérience que je fais. La participation de tous ces moyens s'est bien déroulée, mais nous manquons d'un cadre juridique pour organiser cette coopération.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Je m'associe aux mots de remerciements du président. Nous sommes heureux de vous recevoir au Sénat, après vous avoir rencontrés une première fois à Rouen lorsque notre commission d'enquête s'y est déplacée. Nous sommes également heureux que vos hommes aillent bien et fassent l'objet d'un suivi sanitaire.

Vous avez évoqué la problématique de l'eau, en vous félicitant de la proximité de la Seine. Mais d'autres établissements Seveso, dans d'autres départements, ne sont pas dans la même situation. Comment la gestion d'incendies similaires peut alors se faire ? Les entreprises ont-elles des réserves adaptées ? Et de manière plus générale, en additionnant les moyens des Sdis et ceux des exploitants d'établissements, est-on à un niveau suffisant pour venir à bout de tels incendies ? En outre, faut-il faire évoluer selon vous certains aspects de la politique de gestion de crise ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Sur la question du dimensionnement des ressources en eau, tout dépend des scénarios théoriques retenus dans l'étude de dangers. Le feu qui s'est déclaré nécessitait en réalité quatre fois plus d'eau que ce qui était prescrit dans l'arrêté d'autorisation. Il faut peut-être revoir les scénarios retenus, en tenant compte des effets « dominos » et des risques extérieurs. L'enquête le clarifiera, mais ce que nous avons constaté c'est un départ d'incendie extérieur, qui s'est propagé ensuite vers le site Lubrizol.

Pour les établissements qui ne sont pas à proximité d'un fleuve comme la Seine, c'est à l'étude de dangers d'être adaptée. Avec des dispositifs préventifs renforcés, et des stockages de substances de moindre importance ou plus espacés, pour éviter un feu d'hydrocarbures de grande surface. Tous les sites n'ont pas la chance d'avoir la Seine à proximité en effet. Autrement, nous aurions utilisé le réseau d'eau potable. Mais cela aurait posé des problèmes en termes de fonctionnement. En l'espèce, nous n'avons pas porté atteinte au bon fonctionnement du réseau public d'eau potable. Grâce aux remorqueurs, nous avons évité de dépendre complètement d'un réseau en particulier.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Et concernant la nécessité éventuelle de moyens supplémentaires pour le Sdis ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Nos moyens sont dimensionnés d'après le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr). En l'espèce, nous avons été confrontés à un sinistre industriel dont personne n'avait prévu l'ampleur. On pourrait être confronté à la même situation en cas de risque naturel majeur, par exemple avec une tempête frappant tout le département. Mais notre système de sécurité civile est conçu de telle sorte qu'entre la zone de défense ouest et Paris, les renforts nécessaires peuvent arriver rapidement. On ne peut pas exiger de la part des collectivités territoriales que tout Sdis stocke des moyens rares et chers qui ne seront jamais utilisés. D'autant plus qu'on ne fait bien que ce qu'on fait souvent. Sur ce type d'incendie, la complémentarité public-privé est également importante, comme je l'ai évoqué précédemment.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Cette complémentarité devrait-elle être mieux organisée en amont ? Si je comprends bien, c'est un peu un « coup de chance » que cette coopération se soit bien déroulée car il n'y a pas beaucoup d'éléments de cadrage sur le sujet.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Il y a des conventions d'assistance mutuelle entre certains industriels. Vous avez raison de parler de chance, mais derrière la chance il y a avant tout beaucoup de professionnalisme. Il faudra sans doute réfléchir au cadre dans lequel cette mutualisation de moyens s'effectue. Les sapeurs-pompiers ont l'exclusivité sur la voie publique de la gestion des incendies, mais les collègues pompiers privés des entreprises ont un vrai savoir-faire, en complémentarité du nôtre.

Il faudrait préciser le cadre de cette coopération. Pour la gestion de l'incendie, nous nous sommes appuyés sur une réquisition informelle de ces moyens privés venus du Havre. Mais face à un problème, un accident voire au décès d'un pompier privé, le Sdis ayant assuré le commandement aurait pu être vite dépassé en termes de responsabilité, ce qui n'est pas protecteur, en particulier pour les familles des agents concernés.

Face à un tel incendie, de portée, non pas seulement départementale, mais aussi régionale voire nationale, le principe de solidarité doit jouer.

Je souhaite que sous l'égide du préfet, on puisse discuter de ces sujets, avec les élus locaux et les industriels en particulier. Le Havre a notamment une direction des risques industriels qui a une bonne expérience dans ce domaine. Il n'est sans doute pas nécessaire de démultiplier les moyens du service public, que l'on utilisera peu souvent. Il vaut mieux identifier tous les moyens disponibles, pour savoir comment les mobiliser en cas d'accident majeur. C'est une piste de réflexion à creuser.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bonnefoy

Le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) que nous avons entendu juste avant vous, a évoqué une structure existante, le secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI), qu'il jugeait être un outil pertinent pour ce type de dialogue. En faites-vous partie ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Oui nous y sommes représentés. Dans le département de Seine-Maritime, qui comprend beaucoup d'industries, il y a également des associations et des réseaux d'industriels se sont constitués pour échanger des bonnes pratiques, souvent avec un aspect théorique et il faut intensifier le passage à l'étape de la pratique. Nous manoeuvrons également assez souvent dans les établissements et autour. Il en va de même, par exemple, pour les pompiers d'aéroports qui interviennent aussi à proximité de l'aérodrome.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Je vous remercie à mon tour très chaleureusement, vous et vos hommes. Je suis d'autant plus sensible à votre action de bravoure que j'habite Rouen et, d'ailleurs, ma famille habite non loin du site où s'est déclaré l'incendie.

Il s'est dit tout et son contraire sur les réseaux sociaux. Je profite donc de cette occasion pour que ceux qui nous suivent puissent avoir des explications claires et factuelles sur le déroulement des événements.

Le préfet a privilégié, et on peut le comprendre, la mise à l'abri des populations, sans activer les sirènes, en considérant qu'il fallait faciliter l'acheminement des secours. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le nombre d'hommes et l'importance des moyens à mobiliser dans un tel évènement ?

Concernant l'équipement de vos hommes, je suppose qu'il est adapté pour ce type d'incendie. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

S'agissant tout d'abord de l'équipement, nous disposons de protections individuelles adaptées. Chaque fourgon d'incendie comprend six dossards dotés d'un appareil respiratoire isolant (ARI) avec une bouteille d'oxygène et quatre bouteilles de réserve.

Contrairement à l'idée reçue, dans le cas d'un incendie comme Lubrizol, le risque au sol est limité car il se produit, comme dans un feu de cheminée, un appel d'air : les fumées toxiques s'élèvent et le risque est limité pour les personnes qui se trouvent au niveau du départ du feu. La concentration de la toxicité devient maximale à 100 m de hauteur, après quoi, en fonction du vent, le nuage de fumée se dilue et, au-delà de 1340 m de distance, selon l'étude de danger, le risque létal ou d'effets irréversibles sur la santé de la population disparaît ; restent cependant les nuisances olfactives et des irritations qu'il a fallu prendre en compte.

Lorsque l'incendie s'éteint, il reste des fumées et des particules, filtrées par des masques, de type FFP2 ou FFP3. Mais un feu est dynamique et il se déplace dans tous les sens. Nous avons des équipements de protection, mais de là à dire que par rapport à l'utilisation optimale théorique ils ont été parfaitement utilisés en pratique, et cela sur toute la durée de l'incendie, on ne peut jamais en être certain. C'est la raison pour laquelle nous sommes systématiquement accompagnés par un soutien médical avec un médecin et un infirmier en cas d'incendie. Par la suite nos personnels sont très vite engagés dans un dispositif de suivi sanitaire.

Les sapeurs-pompiers professionnels ou volontaires de Seine-Maritime sont toutefois aguerris et formés aux risques industriels. Nous avons des caissons d'entraînement pour cela. Ceux qui sont juste devant l'incendie sont toujours en liaison avec le commandement et demandent dès que nécessaire des renforts ou des moyens adaptés. Il y a en permanence un échange entre le terrain et le commandement pour adapter les protections en cas de besoin. Tout ceci est parfois compliqué et, dans l'action, il arrive qu'on enlève un masque pour pouvoir reprendre son souffle. Nous avons donc bien des protections respiratoires mais il est difficile d'affirmer qu'elles sont utilisées pendant toute la durée de l'intervention.

Nous n'avons pas mis en oeuvre de« confinement ». J'ai proposé au préfet, par souci de réalisme, au-delà du périmètre de1340 mètres dans le cône des fumées, une simple « mise à l'abri » , qui consiste simplement à rester chez soi. En effet, un confinement implique de scotcher portes et fenêtres si bien que les habitations deviennent rapidement assez irrespirables, après un délai de deux heures. Nous nous sommes donc limités à une mise à l'abri avec la consigne : « restez chez vous et évitez de circuler inutilement ». Il s'agissait également de prendre en compte le fait qu'à huit heures du matin, la circulation se densifie dans l'agglomération rouennaise, avec des personnes qui vont travailler et des feux de circulation à gérer. Or je savais que nous avions fait appel à des moyens de secours extérieurs et je ne souhaitais pas que les engins en provenance de différents Sdis soient bloqués dans la circulation. C'est pourquoi nous avons rapidement mis en place un plan de circulation en tenant compte de l'axe du vent et des fumées.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Brulin

Je m'associe aux félicitations que nous vous exprimons tous, y compris nos concitoyens qui ont également bien noté que votre intervention avait été exemplaire.

Faut-il réfléchir à des dispositifs destinés à recueillir plus d'eau pour lutter contre les incendies et qui pourraient jouer le rôle de la darse du port de Rouen, dans les sites industriels qui ne disposent pas de tels bassins à proximité.

Vous avez évoqué les conventions d'assistance entre industriels mais, à ma connaissance, elles ne sont pas obligatoires. Faut-il les systématiser, y compris en associant les moyens publics et privés ?

Enfin, faut-il renforcer les effectifs de pompiers sur les sites industriels et, plus généralement, les dispositifs internes aux entreprises ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

S'agissant du renforcement des dispositifs de sécurité incendie au sein des entreprises classées Seveso, il faut distinguer plusieurs cas. Sur des sites de type dépôts ou raffineries, on trouve des services d'incendie dédiés avec des sapeurs-pompiers professionnels. Tel n'est pas le cas dans d'autres sites Seveso, comme celui de Lubrizol, où ce sont des salariés formés à la sécurité incendie qui, le moment venu, peuvent revêtir l'habit de sapeur-pompier pour lutter contre un sinistre. Enfin, sur certains sites qui abritent de très grands entrepôts, comme les ports, je souligne qu'il n'y a souvent personne : ni pompier, ni surveillance particulière, ni même parfois de gardien.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Cela signifie-t-il que les entreprises Seveso sont libres d'organiser leur dispositif de sécurité comme elles l'entendent ? Si tel est le cas, il me semble souhaitable que notre commission d'enquête fasse des propositions pour fixer quelques règles.

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Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

Aujourd'hui tel est bien le cas : on assigne aux entreprises Seveso des objectifs portant sur les débits d'eau, les moyens de secours et leur organisation, sans leur imposer des modalités précises.

J'insiste sur le fait que dans de très grands hangars portuaires, il n'y a souvent personne. Sous le vocable Seveso, on trouve une typologie assez variée d'usines, d'entrepôts et de lieux de stockage.

Les pompiers ont, avant tout, besoin immédiatement - dans la première demi-heure du déclenchement du sinistre - d'un interlocuteur fiable qui puisse engager la responsabilité de l'établissement pour constituer très vite des binômes entre pompiers et industriels : c'est fondamental sur le plan tactique.

Sur les sites dont le niveau de risque est le plus élevé, mais aussi sur les autres, la question du renforcement des services internes de pompiers mérite d'être posée. Aujourd'hui, il m'est difficile de répondre plus précisément à cette question mais on a pu bien constater l'efficacité des pompiers privés dans le cas de l'incendie de Lubrizol.

Nous avons également la chance de pouvoir compter, au sein des entreprises, sur des salariés qui sont également pompiers volontaires. Sans trop faire de publicité pour la profession que je représente, il faudrait développer leur recrutement car leur intervention immédiate peut suffire à résorber le sinistre. En effet, tout se joue dès les premières minutes.

Aujourd'hui le système de protection incendie repose très souvent sur des installations fixes, sans intervention humaine, mais lorsque celles-ci sont endommagées par un incendie et deviennent inopérantes, alors on peut faire appel à nous. Mais, en matière de risque Seveso, il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ou placer toute sa confiance dans des installations fixes.

De plus, à propos des conventions d'assistance, on constate à l'évidence que le feu ainsi que les fumées ne connaissent pas les frontières administratives et peuvent impacter l'ensemble d'un bassin de risque - c'est à cette échelle qu'il me parait pertinent d'assurer la mutualisation des moyens.

La question de la rétention soulève une véritable difficulté : réglementairement, les industriels doivent disposer de capacités de rétention suffisantes pour pouvoir récupérer leurs propres produits. Si, en plus, les pompiers interviennent avec leurs propres eaux d'extinction, on peut très vite saturer ces zones de rétention. Or, aujourd'hui, des moyens simples peuvent être mis en oeuvre pour créer des zones de rétention supplémentaires : les architectes savent organiser l'espace pour en aménager avec des pentes ou des trottoirs surélevés. Cela est d'autant plus souhaitable que nos eaux d'incendie deviennent des polluants. Comme cela s'est produit chez Lubrizol, j'ai d'abord donné la priorité à l'extinction de l'incendie tout en sachant que nous allions générer de la pollution. J'ai ensuite signalé au Préfet qu'il fallait gérer une alternative : en diminuant le débit d'eau on risquait d'augmenter le volume de feu et les projections de fumées. Heureusement, dès 11 heures nous avons pu nous appuyer sur les moyens du Port de Rouen et du plan Polmar. Par conséquent, j'estime souhaitable de prendre en compte dans les dispositifs de rétention non seulement les produits industriels mais également les eaux d'incendie des sapeurs-pompiers. Il est en effet difficile, dans l'urgence de l'action, de combattre plusieurs fronts - l'extinction et la pollution - à la fois.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Vous nous disiez que le système de protection contre l'incendie interne à Lubrizol avait connu une défaillance : quelle en est la nature et comment peut-on l'expliquer ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Lagalle, colonel, directeur du service départemental d'incendie et de secours de la Seine-Maritime

C'est un point qui devra être éclairci par l'enquête. Je constate qu'à 4 heures 15 les pompiers étaient sur place et que soudainement tout s'est interrompu. Une première tentative a alors été effectuée pour réalimenter le réseau interne : cela aurait pu fonctionner mais je ne souhaitais pas prendre le risque, pour sauver 300 à 400 mètres carrés d'entrepôts, de mettre en péril une dizaine ou une trentaine d'hommes parmi les 40 sapeurs-pompiers sur place. Très opportunément, l'officier de commandement sur le site a décidé de repositionner le dispositif depuis la voie publique en se connectant au réseau de la métropole et nous avons pu ainsi conserver un débit de 6000 litres (360 m3 par heure) pour assurer la protection des installations voisines. On n'avait pas alors éteint l'incendie mais on l'avait au moins circonscrit. Pour l'extinction définitive, il fallait attendre l'arrivée des moyens complémentaires : pompes, remorqueurs, tuyaux, émulseurs qui convergeaient de toutes parts. Quand tout ce matériel a été réuni à 11 heures, nous avons lancé le top mousse pour ouvrir les vannes.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Merci à vous pour ces réponses et pour votre présence aujourd'hui. Nous souhaitons obtenir des réponses par écrit aux questions qui vous ont été transmises en amont de l'audition. N'hésitez pas à nous communiquer tout document que vous estimeriez de nature à éclairer nos travaux ni à formuler des suggestions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.