Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, en enfermant ce projet de loi dans une approche résolument sécuritaire, le Gouvernement caricature la réponse qu’il entend apporter à une grave question, dont l’étude d’impact nous révèle toute l’ampleur.
En effet, ce document nous rappelle que, en 2005, plus du tiers des Français ont souffert d’au moins un trouble mental dans leur vie. C’est bien la preuve que cette question de santé publique appelait une réponse ambitieuse.
Elle n’est certes pas apportée avec ce texte partisan et confus, même après les modifications qui ont été votées par la majorité à l’Assemblée nationale et qui étaient elles-mêmes en retrait par rapport aux propositions de la commission des affaires sociales de cette chambre, voire de son rapporteur.
Pour notre part, nous souhaitions la grande loi globale de santé mentale dont notre pays a bien besoin. Ce texte aurait amélioré, après vingt ans d’application, la loi du 27 juin 1990, dont l’un des points forts, je le rappelle, a été de consacrer l’hospitalisation libre comme le régime habituel de l’hospitalisation, alors que, auparavant, depuis la loi de 1838, on ne connaissait que les modes de placement sous contrainte.
Aujourd’hui, on nous présente un projet de loi qui est perçu par les milieux professionnels concernés comme d’essence sécuritaire. Doit-on s’en étonner ? Bien sûr que non !
En effet, ce projet de loi est né à la suite d’un fait divers dramatique, qu’a rappelé d'ailleurs notre collègue Guy Fischer. En novembre 2008, dans une rue de Grenoble, un étudiant est tué par un malade mental en fugue d’un établissement de soins. Quelques jours plus tard, le Président de la République annonce un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, avec la multiplication des chambres d’isolement, la mise en place de bracelets électroniques, etc.
Le Président de la République exige également une nouvelle loi sur les hospitalisations sans consentement avec, en ligne de mire, non pas la dangerosité d’une infime minorité des malades – du reste, souvent sans soins au moment des faits dramatiques dans lesquels ils sont impliqués –, mais la dangerosité supposée de tous nos concitoyens ayant recours à des soins psychiatriques dans le champ large, divers et complexe de la maladie mentale.
D’une manière générale, ce qui ressort de ce projet de loi, dans sa version initiale, c’est l’idée de garantir la sûreté, non des malades qui, pourtant, en ont légitimement le plus besoin, mais des non-malades en insistant, par exemple, sur les prérogatives du préfet.
En 2006, déjà, le gouvernement dans lequel l’actuel Président de la République était ministre de l’intérieur avait dû renoncer, face à la mobilisation de nos concitoyens, à associer maladie mentale et dangerosité dans la loi sur la prévention de la délinquance. Les malades mentaux étaient, en quelque sorte, assimilés à des délinquants.
Aujourd’hui, avec ce projet de loi, le Gouvernement revient à la charge : la question du trouble à l’ordre public prédomine sur la préoccupation sanitaire et sur celle de la qualité des soins à donner aux malades.
L’ossature de ce projet de loi demeure donc sécuritaire.
Observons, par ailleurs, que le point central du projet de loi qui nous est soumis est celui des soins sans consentement avec, notamment, la création de la notion de soins sans consentement en ambulatoire. Si cette approche est difficile à admettre d’une manière générale dans le champ médical tant il est délicat de vouloir et de pouvoir soigner les personnes sans leur consentement, elle est encore plus délicate en psychiatrie.
En effet, en psychiatrie, outre le recours aux médicaments, fussent-ils très performants, la relation ou l’alliance thérapeutique entre le malade et son thérapeute est essentielle. Elle repose sur la confiance. Il s’agit d’un contrat implicite – et souvent explicite – qui appelle le consentement du patient si l’on recherche effectivement des résultats thérapeutiques. En la matière, l’imposition de soins sans consentement en ambulatoire, prévue par ce projet de loi, pose problème.
Notons également que ce texte était sur le point d’être soumis au Parlement lorsqu’est intervenue la décision rendue le 26 novembre 2010 par le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité visant à qualifier la nature juridique de l’hospitalisation d’un malade sans son consentement. La décision du Conseil constitutionnel dispose que ce type d’hospitalisation est, non une simple mesure de protection, mais une mesure de « détention » par privation, pour la personne concernée, de sa liberté d’aller et de venir, au sens de la Constitution.
Cette décision a donc conduit le Conseil constitutionnel à rappeler au Gouvernement que, s’agissant d’une privation de liberté, les mesures d’hospitalisation sans consentement doivent être soumises au contrôle effectif du juge judiciaire et que, en conséquence, les dispositions de la loi de 1990 ne prévoyant l’intervention de l’autorité judiciaire qu’en cas de demande de sortie du patient rejetée par l’autorité compétente étaient inconstitutionnelles.
Cette décision impose que le juge statue dès lors que la mesure est prolongée au-delà de quinze jours, puis à intervalles réguliers. Demande est donc faite au Gouvernement et au législateur de mettre en conformité notre législation en la matière avant le 1er août 2011.
Remarquons que la brièveté de ce délai n’est pas sans poser des problèmes très pratiques de faisabilité matérielle – manque de magistrats, de personnel, de lieux d’audience adaptés… –, faisabilité sur laquelle le Gouvernement se montre peu loquace.
Cette décision du Conseil constitutionnel est donc venue contrarier le projet de loi « tout-sécuritaire » que le Gouvernement et le Président de la République envisageaient de faire voter au Parlement. La réécriture du projet initial, aussitôt entreprise dans la hâte et la confusion, avec un ersatzde consultation des acteurs concernés – associatifs, professionnels, institutionnels – nous donne une production incrémentale d’un projet de loi où peu d’acteurs s’y retrouvent ; et ce n’est là qu’un euphémisme !
Les auditions conduites nous ont confirmé l’insatisfaction généralisée et, parfois, une opposition frontale audit projet, pour des motifs multiples, pertinents et solides.
Une bonne synthèse de cette insatisfaction se retrouve dans l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, adopté en assemblée plénière le 31 mars 2011.
Ainsi, je retiendrai que, concernant les interrogations sur le régime à venir, celui-ci est loin de faire l’unanimité chez les professionnels, les malades et leurs proches. Leurs inquiétudes, de tous ordres s’agissant de procédures complexes, se focalisent sur la crainte que la réforme ne renforce au-delà de l’indispensable la contrainte pesant sur les malades.
À la différence de nombreux pays, la France a progressivement renoncé à une politique de secteur qui avait suscité de grands espoirs, au profit d’un renforcement du recours à l’hospitalisation ; c’est d’autant plus paradoxal que nous savons l’importance des restructurations budgétaires et que des milliers d’emplois et de lits sont supprimés dans les hôpitaux.
Dans un contexte marqué par une insuffisance de moyens et des difficultés de recrutement des spécialistes médicaux et infirmiers, une concurrence non résolue entre les dépenses exigées pour les établissements et la médecine des secteurs, ce séjour obligatoire en établissement, prévu par le projet de loi, favorise la formule de l’internement.
En outre, le système d’expertise sur lequel reposent tout le jeu des certificats et l’examen par un collège des différentes étapes du nouveau dispositif est jugé par beaucoup très complexe, voire pratiquement inapplicable compte tenu de l’insuffisance des effectifs, et surtout inégalement réparti sur le territoire. D’où la crainte que ce système d’expertise « ne puisse dégager le sort des malades mentaux de l’amalgame qui conduit à privilégier un point de vue sécuritaire, et, pour éviter tout risque, enfermer plutôt que d’organiser les moyens d’un accompagnement. »
L’un des grands dangers de cette loi, c’est de faire passer le sécuritaire avant le thérapeutique. C’est une ineptie que tous les rapports mettent en avant en affirmant, chiffres à l’appui, que ce sont avant tout les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont victimes de violences.
De plus, pour beaucoup de professionnels, l’impression s’est fait jour que nous nous dirigeons vers une « judiciarisation » renforcée de la psychiatrie, qu’ils réfutent non sans fondement : les malades mentaux ne sont pas de dangereux délinquants.
À cela s’ajoute le fait que la loi reste bien floue sur la portée réelle, en termes de libertés publiques, de cette innovation que constituent les soins sans consentement en ambulatoire.
Qu’impliquent-ils, en pratique, pour le droit d’aller et venir, pour la protection du domicile, pour les rapports avec les proches et dans d’autres lieux de vie ? Qu’en est-il du libre choix de son médecin par le malade, des actes de la vie courante ? La conséquence d’un refus de se prêter au traitement est-elle le retour ou l’envoi en établissement ? Il est difficile, à la seule lecture du projet, de mesurer les véritables sujétions autres que médicales. Celles-ci doivent être précisées et assorties de garanties.
D’où « le sentiment que la concertation permettant un véritable consensus dans ce domaine très sensible n’est pas allée assez loin et que la concomitance des réformes et des moyens n’est pas réalisée. Le patient sera plus isolé que jamais dans une société hostile et face à une réforme dont il constituera le “ cobaye ”. Plus particulièrement, il ne paraît pas acceptable de retenir des critères comme le passage devant la justice ou dans des unités pour malades difficiles pour imposer à un malade, parce qu’il a eu un épisode critique, un régime juridique plus sévère. Il a droit à ce que l’appréciation de son cas se fasse sur la seule base des nécessités de son traitement et sous la responsabilité de son médecin, qui doit évidemment appréhender tous les problèmes liés à la vie en société de son malade ».
Concernant le contrôle du juge sur les décisions prises sans le consentement du malade, on « se demande si la réforme n’est pas restée au milieu du gué et s’il n’aurait pas été plus opportun de faire intervenir le contrôle du juge dès la décision initiale d’hospitalisation et non pas simplement a posteriori ».
« Même si le Conseil constitutionnel n’est pas allé aussi loin, la question peut légitimement être posée. C’est en effet une solution qui fonctionne apparemment bien dans certains pays qui ont mis en pratique ce recours au juge dans la réponse au problème. Il est d’autre part clair que le sort des intéressés n’est pas facilité par la succession de mesures impliquant des responsabilités successives. On ajoutera que toutes les appréciations reposent évidemment sur des avis médicaux, dont la contestation est malaisée et ce d’autant plus que le juge interviendra alors que le diagnostic et même le traitement seront déjà décidés. Pour écarter cette option pourtant souhaitée par les associations de malades et une partie des magistrats, l’étude d’impact avance l’argument assez théorique qu’il ne serait pas bon que le juge des libertés et de la détention appelé à exercer une fonction de contrôle ait pris position dès l’origine. »
Mais le Conseil constitutionnel a, lui, surtout avancé l’argument de la surcharge de travail des juges, ce qui est prévisible et doit être anticipé sérieusement. Nous pensons que le Gouvernement, pour des raisons d’économies budgétaires, a plutôt été sensible à ce dernier argument. Pour notre part, nous estimons que cet élément ne doit pas déterminer la réponse. À partir du moment où l’on s’engage dans une réforme d’importance, il faut se donner les moyens matériels et humains suffisants pour la mettre en œuvre.
« Dans le même ordre d’idée, il est étonnant que le contrôle du juge ne porte pas sur les soins sans consentement lorsqu’ils sont prescrits en ambulatoire. Le placement des soins ambulatoires hors du contrôle du juge paraît dénué de fondement : il y aurait au contraire grand intérêt à ouvrir au juge ce contentieux particulièrement sensible au regard du respect de la vie privée. »
S’agissant d’un autre point de ce projet de loi, on pourrait aussi imaginer que soit créé un bloc de compétences au profit du juge judiciaire – c’est, du reste, ce qui est proposé par le rapporteur de la commission des lois –, « afin que celui-ci connaisse de l’intégralité du contentieux du soin psychiatrique contraint : la concurrence entre la compétence du juge administratif pour connaître des décisions du directeur de l’établissement et celle du juge judiciaire pour décider du maintien de l’hospitalisation sous contrainte ou de la mainlevée de celle-ci, n’est guère satisfaisante. »
Concernant la mise en œuvre du contrôle juridictionnel, des difficultés pratiques apparaissent à l’évidence. La possibilité d’un recours à la visioconférence pour organiser ces audiences, prévue par le projet, est, par exemple, un point de vive contestation. « Des raisons budgétaires ne sauraient justifier cette pratique hautement critiquable dans un contentieux qui s’adresse à des personnes en situation, souvent, d’extrême fragilité. Le dialogue entre le juge et le patient est rendu difficile, sinon impossible, la place de l’avocat – qui ne pourra se trouver à la fois au tribunal et auprès de son client – lui interdit en toute hypothèse d’exercer sa fonction dans des conditions satisfaisantes. C’est donc l’effectivité même du recours organisé sous forme d’auditions à distance qui est compromise. »
Enfin, beaucoup de professionnels du champ psychiatrique et de nombreux magistrats, ainsi que leurs représentants, se déclarent « des plus préoccupés par la procédure de recours suspensif, à l’initiative du préfet et du directeur de l’établissement d’accueil, qu’instaure le projet de loi, en cas de désaccord avec la décision de mainlevée du juge ». La crainte est « que le principe de précaution n’affecte une fois encore les droits des patients tout en discréditant les pouvoirs et l’autorité du juge ».
À la lumière de ces questionnements, pour ne pas dire de ces inquiétudes, on en vient à la conclusion que ce projet de loi manque de la maturité nécessaire à une réforme convaincante du régime actuel de la prise en charge de la maladie mentale. Il semble que la réflexion ne soit pas aboutie, tant sur la question du contrôle par l’autorité judiciaire de la mesure de contrainte que sur celle de la gestion de la contrainte à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique.
Dans cet exercice ultrasensible, qui demande une approche requérant le trébuchet du pharmacien, un esprit de mesure s’impose pour trouver un juste équilibre entre trois dispositifs également prioritaires.
D’abord, un dispositif sanitaire au service des malades. Le patient ne doit pas disparaître derrière sa pathologie. Son parcours ne peut se résumer à un condensé d’existence borné par la médicalisation, nonobstant les avancées dans le domaine des médicaments, et/ou l’enfermement.
Ensuite, un dispositif judiciaire qui garantit les libertés fondamentales de tous les citoyens, a fortiori lorsqu’ils sont en état de faiblesse ou malades.
Enfin, un dispositif de sécurité des personnes garantissant l’ordre public, visant à la protection de la société, et dont doit également bénéficier le malade. Ce dispositif ne doit pas être un « tout-sécuritaire », rejetant la présence des malades mentaux hors de la cité, car abusivement déclarés dangereux par hypothèse. Cela, vous en conviendrez, mes chers collègues, est scandaleux !
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui ne réalise pas ce juste équilibre.
À défaut de pouvoir intégrer ce texte dans une authentique et grande loi de santé publique toujours en attente, et privé de l’espoir de pouvoir bénéficier des quelques réelles avancées proposées par Mme le rapporteur initial de ce projet devant notre commission des affaires sociales – propositions qui, et je l’en remercie, gommaient plusieurs dispositions particulièrement critiquables et critiquées par l’ensemble des professionnels et associations concernées – puisque son rapport a été rejeté la semaine dernière, notre groupe a déposé de nombreux amendements. Certains de ceux-ci reprennent d’ailleurs quelques amendements pertinents déposés par celle qui était le rapporteur initial, amendements que nous avions approuvés lors de l’examen en commission.
D’autres amendements s’inscrivent dans la même veine que ceux, souvent très justifiés, que défendra le rapporteur pour avis de la commission des lois.
Notre objectif est d’améliorer un texte initial alambiqué, assemblage de procédures complexes, au point d’être souvent contradictoires, et qui, en faisant mine d’afficher le renforcement des garanties des droits des personnes, rendent prépondérantes des décisions administratives dictées par la présomption de dangerosité des malades psychiatriques et non fondées sur l’évaluation médicale des nécessités de soins, ce qui est pour le moins déplorable, voire scandaleux, pour nous comme pour nombre de nos concitoyens et pour la grande majorité des professionnels concernés !
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer rapidement, mon groupe votera contre ce projet de loi.