Monsieur le président, avant de commencer mon intervention, je précise à l’attention de mon collègue que, à l’instar de certains des membres du groupe du RDSE, je m'inscris exactement dans cette démarche qui se veut généreuse et prend en compte les vrais besoins en soins de nos malades fragilisés.
Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, certains l'ont souligné avant moi et d’autres le répéteront, la Haute Assemblée est confrontée à une situation inédite : après le travail en commission, qu'il s'agisse de la commission des affaires sociales saisie au fond ou de la commission des lois saisie pour avis, le texte qui nous revient et qui nous est aujourd'hui proposé est celui de l'Assemblée nationale, non amendé.
Comment ne pas regretter ce retour ex ante, qui ignore les longs et fructueux débats conduits par M. le rapporteur pour avis avec la rigueur et le talent qu'on lui connaît ? Je tiens ici à saluer la qualité extrême de son travail et je regrette, bien sûr, le sort réservé aux amendements proposés par la commission des lois et par la commission des affaires sociales que nous aurions dû voir intégrés aujourd'hui à ce texte. Je veux dire ma déception de ne pouvoir discuter d’un texte qui aurait pu être ainsi enrichi.
Madame la secrétaire d'État, je n'interviendrai que sur le volet judiciaire du présent texte, qui relève de la compétence de la commission à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.
Ce projet de loi tend à définir un nouvel équilibre entre trois principes à valeur constitutionnelle : le droit à la protection de la santé, la protection de l'ordre public et la protection de la liberté individuelle. Il semble bien qu’il soit la conséquence directe d'un avis rendu par le Conseil constitutionnel le 26 novembre 2010, déclarant contraire à la Constitution l'article L. 337 du code de la santé publique, devenu son article L. 3212-7, qui ne soumet pas le maintien de l'hospitalisation d'une personne sans son consentement à une juridiction judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
S'il est bien légitime que soient corrigées ces dispositions, nous pouvons néanmoins nous interroger sur l'ampleur du nouveau dispositif, qui répond une nouvelle fois à un fait d’actualité, ce que je regrette, sans qu’ait été pris le temps d'examiner toutes les incidences des choix opérés. En particulier, le hiatus semble grand entre les décisions prises notamment en termes de santé et leurs conséquences en matière judiciaire.
Je n'en veux pour preuve que les termes mêmes de l'avis du Conseil constitutionnel qui, statuant sur les droits des personnes hospitalisées sans leur consentement, indique : « 38. Considérant, en troisième lieu, que l’article L. 351 du code de la santé publique reconnaît à toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit le droit de se pourvoir par simple requête à tout moment devant le président du tribunal de grande instance pour qu’il soit mis fin à l’hospitalisation sans consentement ; que le droit de saisir ce juge est également reconnu à toute personne susceptible d’intervenir dans l’intérêt de la personne hospitalisée ; […] »
Ma question s’adresse à M. le garde des sceaux : pourquoi avoir généralisé cette mesure et systématisé le recours au juge judiciaire pour toutes les hospitalisations sous contrainte ?
Le système proposé met aujourd'hui en grande difficulté autant le milieu judiciaire que le monde des hôpitaux psychiatriques et les psychiatres eux-mêmes. Il suffit de voir et d'entendre les réactions nombreuses des professionnels pour mesurer leur désarroi.
Ce projet de loi trop complexe aurait dû en réalité faire l'objet de deux textes distincts, car il aborde des sujets spécifiques.
Je souhaite en particulier insister sur l'inquiétude des magistrats qui voient augmenter leur charge de travail de manière insupportable : l'étude d'impact elle-même a souligné l'absolue nécessité de créer des emplois dont on est en droit de savoir comment ils seront financés.
Ainsi, nous assisterons à la multiplication du nombre des cas soumis au contrôle judiciaire dans les quinze jours à compter de l'admission ou de la décision d’admission, à la multiplication du nombre des contrôles, eux-mêmes répétés tous les six mois, à la multiplication des expertises psychiatriques, qui nécessiteront le concours de collèges de soignants, dans un contexte médical dont on connaît la fragilité.
Des délais brefs seront imposés au juge, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui seront très vite inacceptables. Des débats contradictoires devront être organisés entre le juge et les médecins, sans qu'il soit précisé de quels médecins il s'agit.
Le recours à la visioconférence sera difficile, sinon impossible à mettre en œuvre : cette mesure ignore manifestement l'organisation des hôpitaux psychiatriques et leur manque de moyens budgétaires pour mettre en place des équipements.