Intervention de Alain Milon

Réunion du 10 mai 2011 à 14h30
Soins psychiatriques — Discussion générale

Photo de Alain MilonAlain Milon :

D’ailleurs, au cours de ces dernières années, le nombre de personnes suivies a très considérablement augmenté, que ce soit dans des structures publiques ou privées. Comme dans les autres domaines, des réformes sont nécessaires, car le chantier est, j’en suis convaincu, immense.

Madame la secrétaire d'État, parler de santé mentale, c’est parler de bien plus que de médecine, c’est aussi se préoccuper d’insertion et être attentif à l’accompagnement social des personnes concernées mais aussi à celui de leur entourage proche. C’est aussi déployer les moyens suffisants dont la psychiatrie a besoin ; je pense en particulier à la formation et, plus encore, à celle des infirmiers psychiatriques.

Le champ de la santé mentale est donc particulièrement étendu, plus que ne l’est tout autre domaine de la santé : il recouvre à la fois une dimension individuelle et une dimension sociétale.

La santé mentale occupe une place considérable au sein de notre système de santé, du fait de la fréquence des troubles, mais aussi en raison d’une offre importante, mais insuffisante, en équipements et en personnels.

L’angoisse est partout aujourd’hui : il y a une explosion de la demande « psy » et l’on attend des spécialistes qu’ils répondent dans l’urgence. La consommation de psychotropes est très importante, puisque la sécurité sociale rembourse plus de 315 millions d’antalgiques et 122 millions d’hypnotiques et de tranquillisants. Certes, prescription ne signifie pas consommation, mais est-ce à dire que les Français ont mal, sont mal ou vont mal ?

Par ailleurs, il est certain que les changements de repères structurants pour l’être humain, au sein tant de l’entreprise que de la société, se reflètent au niveau des troubles de la personnalité, avec une augmentation des affections de type borderline, diagnostic fréquemment retenu aujourd’hui.

Enfin, il convient de mentionner un autre changement : l’attitude du malade par rapport à la maladie. Autrefois très passif et sommé de suivre ce qui lui était imposé, il est devenu un partenaire et, si possible, un acteur de son traitement. La nécessité de l’information du patient est aujourd’hui un truisme et il faut aller plus loin dans son implication.

Il est vrai que le traitement est une démarche de longue haleine. Pour pouvoir traiter quelqu’un, il faut établir un lien avec lui, afin de pouvoir travailler ensemble, ce qui prend du temps. C’est pourquoi l’examen de ce projet de loi semble être le signe d’une avancée, de la volonté de créer un climat de confiance, d’échange et, par conséquent, de protection. Néanmoins, je précise que, si l’on peut comprendre la volonté de renforcer la sécurité de nos concitoyens, il faut être conscient qu’elle nécessite la mise en place de moyens considérables, dont l’évocation est absente du présent texte.

On aurait pu espérer un texte de santé mentale beaucoup plus abouti que celui qui nous est proposé aujourd’hui. En ce qui concerne les moyens, il est en effet, je le répète, indispensable d’examiner aussi le volet santé. Quels moyens seront mis en place en termes de personnels soignants, qui forment une chaîne complète : médecins, psychiatres, et surtout infirmiers ? Sur ce dernier point, quel effort sera fourni pour améliorer la formation de ces personnels, notamment les infirmiers psychiatriques dont j’ai demandé le rétablissement voilà déjà deux ans dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé ?

Je note toutefois que le projet de loi ajoute des étapes intéressantes dans la procédure de suivi des patients durant les tout premiers jours, étapes qui n’existent pas aujourd’hui et qui vont dans le sens d’une meilleure prise en compte des droits des malades. Mais j’espère que le psychiatre ne sera pas mis sous la tutelle du juge, qui est certes le protecteur des libertés, mais qui est un tiers dans la relation entre le médecin et le malade.

Il faut savoir donner du temps au temps. En effet, il est illusoire de penser que quelqu’un puisse sortir d’une dépression en quelques semaines seulement. Dans ce laps de temps, il est toujours envisageable de guérir les symptômes, mais si aucun travail n’est effectué sur le vécu du patient, une rapide rechute est à craindre.

La protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques est peut-être, avant tout, un état d’esprit, par lequel on montre que la vie a, en elle, quelque chose de formidable et de très intéressant. Parfois, il faut également savoir se confronter à la peur et constater que l’on dispose de toutes les ressources nécessaires pour la dépasser.

Ensuite, il convient de rappeler un principe essentiel : on ne laisse jamais un individu s’enfermer dans des comportements où il ne se nourrit pas ; on ne le laisse pas, si possible, se marginaliser. Cependant, la question d’un référent demeure non résolue : les patients sont souvent relativement isolés, même s’ils sont bien entourés, et personne ne se sent autorisé à prendre la responsabilité de veiller à ce qu’ils ne s’enferment pas dans des conduites de refus. Nous touchons là l’un des problèmes essentiels de notre société, qui est certes dotée de moyens et d’informations très riches, mais qui souffre également d’une irresponsabilité généralisée.

De plus, au-delà de leur propre maladie, les patients souffrent bien souvent de troubles qui touchent à leur estime de soi et à leurs liens sociaux. En raison de la peur de la récidive ou de la décompensation, ils tombent parfois dans les pathologies secondaires de la maladie que sont les stratégies d’adaptation, les échecs familiaux, les troubles cognitifs, les conduites antisociales et les échecs scolaires ou professionnels. Il faut apprendre aux patients à vivre avec et veiller à ne pas leur renvoyer en permanence des images non valorisantes.

Madame la secrétaire d’État, je suis favorable à une déontologie de l’information psychiatrique, afin de relever le double défi de faire face à la souffrance des patients et d’apporter des réponses collectives, cliniques, médico-sociales et sociales, au profit de personnes le plus souvent vulnérables.

De même, comme je l’avais souligné dans le rapport que j’avais établi au nom de l’OPEPS dont j’ai parlé tout à l’heure, il est nécessaire d’adapter l’organisation territoriale de la psychiatrie aux besoins de la population, de créer une spécialisation de niveau master pour les infirmiers et de renforcer les coopérations entre professionnels de santé mentale en développant la notion de réseau. L’un de mes amendements va dans ce sens.

La question des soins ambulatoires devrait également être abordée dans le cadre plus large d’une loi d’ensemble sur la santé mentale, car elle nécessite, par exemple, de réfléchir à l’organisation de réseaux de psychiatrie.

« N’ayez pas peur des fous ! » Tel est le message que nous ont adressé, à chacun d’entre nous, des aumôniers d’établissements publics de santé mentale. Méfions-nous que, sous couvert de défendre la protection des droits des personnes malades, les soins sans consentement deviennent le modèle de soin psychique, faisant de l’exception, parfois nécessaire, la règle.

Comme le soulignaient également ces hommes d’église, sans nier la complexité des situations auxquelles nous sommes confrontés face à la maladie mentale, soyons prévoyants face au risque de disparition d’un modèle de psychiatrie, qui semble le plus pertinent. La psychiatrie institutionnelle a transformé des institutions aliénantes, quasi carcérales, pour en faire un des outils au service de la singularité du sujet ouvert sur la cité.

En matière de santé mentale, le politique est plus que jamais dans son rôle d’arbitrage. Il doit répondre à la question de savoir jusqu’où il peut aller pour faire avancer une question sensible sur un sujet aussi douloureux, tout en ne basculant pas dans une vulgarisation excessive, qui se traduirait par de mauvais choix politiques.

Il est temps de faire en sorte que la question de la santé mentale ne soit plus seulement l’affaire des spécialistes, mais constitue également une partie de notre conscience collective, plus éveillée. Au-delà de notre contribution, il nous faut refonder un investissement collectif sur ces sujets, c’est-à-dire trouver des points d’entrée convaincants et durables.

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