Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, la santé mentale, nous l’avons encore constaté cet après-midi, est un sujet humainement et médicalement sensible.
Concept large, elle recouvre, selon l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne, trois dimensions : les troubles mentaux tels que les troubles psychotiques, la détresse psychologique ou souffrance psychique, qui traduit un état de mal-être, enfin, la santé mentale positive qui conditionne une existence réussie.
Ces trois dimensions sont évolutives, comme cela est souligné dans le rapport du groupe de travail présidé par Viviane Kovess-Masféty, du Centre d’analyse stratégique : c’est l’ensemble « des grands intégrateurs ou domaines de la vie collective que sont l’école, la famille, le quartier de résidence, etc. qui est désormais perçu de manière ambivalente dans leur contribution positive et négative au bien-être ».
En d’autres termes, dans une société qui place les capacités concurrentielles, d’innovation et d’adaptation au centre de son économie, et qui, dans le même temps, fait l’apprentissage d’une hétérogénéité sociale et culturelle renouvelée, la santé mentale est devenue un point essentiel et médiatisé.
Le texte que nous examinons ne concerne, cela a déjà été dit, que les personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement. Il s’agit d’une portion infime des 20 % de nos concitoyens qui sont, à des degrés divers, concernés par les troubles mentaux. Ainsi, 1, 3 million d’entre eux sont pris en charge, dont 70 % en ambulatoire – vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État –, et 1 % de notre population, soit 600 000 personnes, souffre de schizophrénie.
Les pathologies psychiatriques sont la première raison de l’attribution d’une pension d’invalidité. Elles sont le second facteur médical d’arrêt de travail, et leur prise en charge globale représente de 3 % à 4 % du PIB européen. C’est dire l’importance sociale, économique mais surtout humaine que revêt la question de la santé mentale.
Ce texte ne concerne donc qu’une partie minime de cette population en souffrance, soit environ 70 000 personnes qui, chaque année, sont hospitalisées sans consentement, à la demande d’un tiers ou en hospitalisation d’office.
Ce chiffre est en France, selon les périodes considérées, deux à quatre fois plus élevé qu’au Royaume-Uni et deux fois plus important qu’en Italie pour des populations à peu près similaires. Notre pays est l’État européen qui fournit à la Cour européenne des droits de l’homme le plus grand nombre de contentieux relatifs à la psychiatrie.
Ajoutons à ce court bilan – et ce n’est pas la moindre des dimensions –, que les familles et l’entourage sont souvent en prise directe avec ces souffrances et éprouvent aussi bien des difficultés.
L’ensemble de ces données doit nous inciter à nous interroger sur notre faible capacité à dialoguer, à trouver des solutions alternatives à cette extrême violence – même si elle est parfois incontournable – qu’est l’hospitalisation sans consentement.
Cette forme de prise en charge spécifique s’inscrit depuis la loi fondatrice de 1838, réformée par la loi de 1990, dans un régime dérogatoire. À la demande d’un tiers ou en raison d’un trouble grave à l’ordre public, ou bien encore du fait d’une mise en cause de la sécurité des personnes et dans leur intérêt propre, ces patients sont les seuls malades pour lesquels la loi autorise un maintien à l’hôpital sans leur consentement.
Je rappelle que le texte de la loi de 1990 disposait qu’elle devait être révisée cinq ans après son adoption. Vingt ans après, toujours rien…
Le projet de loi qui devait nous être présenté l’automne dernier avait pour ambition affichée de réformer la loi du 27 juin 1990, que les familles comme les professionnels jugeaient nécessaire de modifier, car elle était en décalage avec la lettre et l’esprit de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Nous avions espéré travailler sur une grande loi de santé mentale comme l’avait promis la ministre de la santé de l’époque, Mme Bachelot, à l’occasion de l’examen du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST.
Affirmer que la psychiatrie française est en grande souffrance est un euphémisme. Notre collègue Alain Milon, dans son rapport de 2009 sur la prise en charge psychiatrique en France, jugeait son état « des plus inquiétants ». Mais comment en serait-il autrement lorsque la politique constante de ces dernières années a été de fermer plus de 55 000 lits sans que des structures alternatives de prise en charge telles que des appartements et/ou des centres d’accueil thérapeutiques aient été ouvertes ?
Comment ce secteur de la santé publique pourrait-il bien se porter quand le mot d’ordre est d’effectuer des hospitalisations de plus en plus courtes avec, pour corollaire, l’éviction de patients non encore stabilisés et qui ne savent pas où aller ?
Et que dire de l’impact de ces décisions sur la qualité de notre système de prise en charge et de soins, alors que près de 10 % des effectifs de soignants ont disparu en cinq ans, que les parents qui recherchent une place en hôpital de jour n’en trouvent pas, et que les demandes de rendez-vous sont satisfaites parfois des mois après leur formulation ?
Nous sommes face à un système au bord de l’éclatement qui, malgré la qualité de l’ensemble des personnels, notamment des soignants, génère bien souvent désespoir et sentiment d’abandon.
L’urgence d’une grande loi sur la santé mentale est une évidence qui n’est toujours pas satisfaite. À la place, le Gouvernement, contraint par la décision prise le 26 novembre dernier par le Conseil constitutionnel, présente au Sénat un texte à l’architecture et à la cohérence précaires nonobstant son accent sécuritaire.
Plus que jamais, et quoi que vous en disiez, madame la secrétaire d’État, le fonds de commerce de la crainte, de la stigmatisation et de l’exclusion a pris le pas sur les considérations sanitaires. Je dis plus que jamais, parce qu’en 2004 le ministre de l’intérieur avait eu l’intention, cela a été dit par M. Desessard, de réformer l’hospitalisation sous contrainte via une loi de prévention de la délinquance. Cet amalgame avait été jugé légitimement scandaleux, à tel point qu’il a été contraint de retirer son texte ! Mais devenu Président de la République, il a, au détour d’un drame, réitéré. Comment ne pas se souvenir du discours d’Antony, de l’annonce de la multiplication des chambres d’isolement, des contrôles préfectoraux sur les sorties et des bracelets électroniques pour les malades ? L’amalgame entre malade, délinquant, prévenu, détenu est donc de mise au plus haut niveau de l’État.
Dès lors, comment être surpris que ce projet de loi ait réussi le tour de force de faire presque l’unanimité des professionnels et d’un grand nombre de familles contre lui ?
Ce texte a donc bien pour objet de constituer une réponse à cette dimension complexe et centrale qu’est le soin sans consentement.
Il s’inscrit dans une triple problématique.
La première a trait à l’évaluation des risques que présente le malade, la seconde aux soins et à l’amélioration qu’ils apportent à son état de santé. Enfin, par voie de conséquence, est posée la question du maintien ou non en hospitalisation sans consentement.
Ces dimensions nous permettent de saisir combien ce texte est appréhendé sous le sceau de la sécurité publique et non sous celui de la santé publique.
Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, aucun texte n’a été adopté par la commission des affaires sociales du Sénat. Nous examinons donc le texte de l’Assemblée nationale, qui demeure trop peu protecteur quand sa vocation sécuritaire persiste. Son architecture est déséquilibrée, et son contenu très insuffisant.
Une des sources principales de ce déséquilibre réside dans le fait que le texte ne s’inscrit pas toujours dans la même logique. Il en est ainsi de la judiciarisation du parcours de soins. Elle est de mise notamment via le contrôle systématique, par le juge des libertés et de la détention, des hospitalisations sous contrainte au bout de quinze jours, puis de six mois. Il en va de même s’agissant du respect des principes généraux de notre droit et, plus singulièrement, du principe du contradictoire, qui s’impose à toute décision civile, administrative, pénale ou disciplinaire.
À ce propos, comment imaginer que la visioconférence puisse être un outil adapté pour des personnes atteintes de troubles psychiatriques ? Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours du débat.
Ce texte présente donc de nombreuses insuffisances. Le malade et la garantie du respect de ses droits doivent évidemment se trouver au premier rang. La prise en compte de la souffrance, la nécessité d’établir des relations de confiance avec le psychiatre et l’équipe soignante nous semblent aussi mal appréhendées. Ce défaut prévaut également pour des éléments comme la prise en compte des possibles évolutions médicales de la personne, le droit à l’oubli et l’information due à la famille ou à l’entourage. Enfin, je pense au doute concernant la gestion que le Gouvernement compte faire de la sectorisation. C’est aujourd'hui l’élément essentiel de l’organisation des soins psychiatriques en France. Or rien n’est précisé à ce sujet dans le texte.
La mise en œuvre de ce projet de loi nous semble, quant à elle, problématique. L’étude d’impact démontre que le nombre de juges et de greffiers nécessaires à la mise en application du texte n’est pas, ou du moins ne sera pas, au rendez-vous le 1er août. Quels sont les moyens financiers et en personnels dévolus au suivi des malades, pourtant si indispensable ?
Contrairement à ce que vous avez affirmé, madame la secrétaire d’État, le présent projet de loi n’est donc pas « nuancé et équilibré ». Comment le serait-il d’ailleurs puisque, loin de la nécessaire prise en compte des réalités et des urgences de terrain, le Gouvernement a choisi de privilégier une fois de plus la logique sécuritaire et l’opportunisme politique qui caractérisent si bien son action ?
Il eût été nécessaire d’élaborer un plan de santé mentale incluant la recherche, l’accompagnement, la formation, la prévention ainsi que des moyens financiers et en personnels adéquats. Tel n’est malheureusement pas le cas.
Mes chers collègues, compte tenu des éléments que je viens d’évoquer et du fait que le projet de loi ne répond pas à l’objectif affiché dans son exposé des motifs, en l’occurrence « l’amélioration de la qualité et de la continuité des soins », nous vous proposons d’adopter la présente motion tendant à opposer la question préalable. §