Intervention de Guy Fischer

Réunion du 10 mai 2011 à 14h30
Soins psychiatriques — Article 1er

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

« Garde à vue psychiatrique » : ces mots, avant d’être les miens, sont utilisés par les professionnels de la psychiatrie et de la justice eux-mêmes pour qualifier la période d’observation de soixante-douze heures qu’entraîne toute hospitalisation sous contrainte. Nous avons en effet le sentiment, alors que ce projet de loi vise des personnes atteintes de pathologies parfois très lourdes, que ceux qui sont ici pris en compte sont non pas des malades, mais de véritables criminels que la société doit mettre à l’écart pour assurer sa propre sécurité. Comme Michel Foucault l’avait présagé il y a bien des années, nous sommes passés du modèle du sujet responsable à celui de l’individu dangereux porteur de risques.

Or, comment juger de la dangerosité d’un individu s’il est placé sous camisole chimique dès le début de la période d’observation ? Où se situe, dès lors, la prise en charge thérapeutique dont ont besoin ces personnes atteintes de troubles mentaux ?

Alors que le Conseil constitutionnel impose l’intervention du juge des libertés et de la détention dans le cas de toute hospitalisation sous contrainte, celui-ci n’intervient que quinze jours après son commencement, puis tous les six mois. Dès lors nous étonnons-nous du fait que le Gouvernement n’aille pas au bout de la logique qu’il semble suivre, car, si la période d’observation peut s’apparenter à une garde à vue, le patient n’en reste pas moins privé de tous ses droits fondamentaux et par là même soustrait au contrôle de l’autorité judiciaire.

Si nous saluons l’intervention du juge des libertés et de la détention dans ce domaine, nous sommes convaincus que c’est dès le début de la période d’observation qu’il doit pouvoir statuer sur le bien-fondé de l’hospitalisation sous contrainte. Combien d’individus en effet se retrouveront enfermés de force, sans justification réelle, du fait de la seule pression subie par certains fonctionnaires, victimes de la paranoïa ambiante ?

La probabilité est forte que, en raison de la situation actuelle de notre système judiciaire, de ses manques – déjà considérables – de moyens et de son engorgement, la décision de maintenir un patient au sein d’une unité de soins psychiatriques soit dépourvue de tout examen approfondi et que le juge, faute de moyens supplémentaires et de compétences sur les maladies mentales, se fonde sur l’avis d’experts médicaux débordés. Pis, le magistrat pourra être tenté de suivre aveuglément l’injonction administrative.

Cette logique de soins forcés fait apparaître l’hospitalisation complète comme une sanction, et non plus comme un rouage de la chaîne de soins.

Il est clair à nos yeux que la « politique de soins » – s’il en est vraiment une dans ce texte – que veut nous faire adopter le Gouvernement est bien plus sécuritaire que sanitaire. Elle entre également en totale contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci stipule en effet que, « si la privation de liberté n’est pas justifiée par l’aliénation, elle est alors arbitraire » et que « l’internement ne peut se prolonger sans la persistance d’un trouble mental médicalement constaté ».

Depuis quand nos préfets disposent-ils d’une formation médicale les rendant aptes à juger de l’état pathologique de personnes atteintes de troubles psychiatriques ?

L’autre point majeur de cet article est la possibilité de contraindre une personne à se soigner à son domicile et sans son consentement. Non seulement ce texte remet en cause le principe même du secret médical en plaçant le malade, contre sa volonté, sous l’autorité de ses proches, mais il ne précise en aucune manière quelle responsabilité incombe, dans la surveillance du malade, aux personnes vivant à son domicile.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’hospitalisation forcée est une mesure d’une grande violence. Cette violence vient s’ajouter à la souffrance des personnes atteintes de troubles mentaux qui sont, comme l’explique M. Lecerf dans son rapport, bien plus souvent victimes qu’auteurs d’actes de violence, qu’il s’agisse de violences qu’elles exercent sur elles-mêmes ou de violences subies. Les personnes atteintes de troubles mentaux sont douze fois plus victimes d’agressions physiques et cent trente fois plus victimes de vols que la population générale et leur espérance de vie est plus courte. L’Inspection générale des affaires sociales rappelle, dans un rapport de 2005, que seuls 2, 7 % des actes violents sont commis par des personnes souffrant de troubles psychiatriques.

Cette loi sur la psychiatrie est l’indice d’un État qui préfère punir que guérir, comme l’explique si bien le docteur Daniel Zagury, psychiatre, médecin-chef au centre psychiatrique du Bois-de-Bondy et expert auprès des tribunaux. Parce que nous refusons cette logique répressive et sécuritaire, nous ne voterons pas cet article.

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