Intervention de Muriel Jourda

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 20 novembre 2019 à 13h50
Audition de représentants de la fédération française des cecos centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humain et de la fédération des blefco biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de l'oeuf

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda, rapporteur :

Ma première question, à laquelle vous m'avez invitée, concerne l'AMP post mortem. Ma deuxième question porte sur la réintroduction de la notion d'infertilité dans la loi. Pouvez-vous y revenir ? Par ailleurs, quelle est votre opinion sur les conditions de levée de l'anonymat et sur la possibilité de levée de l'anonymat des donneurs de l'ancien régime ?

Professeur Rachel Levy. - La Fédération des BLEFCO a renvoyé le questionnaire complété, qui comprend les réponses aux questions que vous soulevez.

Concernant l'AMP post mortem, je rappelle qu'en cas de décès d'un membre du couple, le projet de loi prévoit de consulter le membre survivant au sujet du devenir des embryons obtenus en AMP et conservés.

En cas de décès de son conjoint, la partenaire d'un couple disposant d'embryons conservés se verrait contrainte de choisir entre leur destruction, leur utilisation en recherche ou l'accueil de ces embryons par un couple ou par une femme célibataire. Devenue veuve, elle pourrait solliciter pour elle-même l'accueil d'un embryon d'un autre couple, mais n'aurait pas la possibilité de disposer des embryons conçus dans le cadre de son projet parental. De même, en cas de décès du conjoint ayant autoconservé ses spermatozoïdes dans le cadre d'un projet parental, la veuve serait autorisée à requérir un don de spermatozoïdes, mais ne pourrait pas avoir accès aux gamètes autoconservés de son conjoint, que la loi contraint aujourd'hui à détruire. Dans les deux cas, la partenaire survivante du couple subirait la perte de son conjoint et l'impossibilité d'avoir accès aux gamètes conservés et aux embryons conçus dans le cadre d'un projet parental. Enfin, si son âge est avancé, elle aurait très peu de chances de pouvoir mener un nouveau projet parental avec un nouveau partenaire. Dans ce cadre, l'ouverture de l'AMP aux femmes célibataires rend inique le maintien de l'interdiction d'une AMP post mortem. Nous demandons que le couple puisse donner son accord ou non pour l'utilisation des embryons en cas de décès du conjoint. De même, l'utilisation post mortem de gamètes conservés lorsque le conjoint y a consenti de son vivant et dans le contexte d'un désir d'enfant paraît légitime.

Dans les deux cas, il est indispensable de faire preuve de vigilance quant aux conditions de délais de réalisation et au contexte de ces demandes et de s'assurer du bien-être de l'enfant. Nous proposons donc la mise en place d'une commission multidisciplinaire.

Professeur Catherine Guillemain, vice-présidente de la Fédération des CECOS. - Vous avez également posé une question sur la disparition de la notion d'infertilité dans le texte. Nous pensons qu'il est important de maintenir cette notion de prise en charge potentielle des couples infertiles pour des raisons médicales, mais également pour éviter de transmettre une maladie grave. Il s'agit également d'un moyen de justifier la surveillance de nos pratiques destinées à améliorer les résultats des tentatives d'assistance médicale à la procréation. Il est important de maintenir le fait que la prise en charge concerne les couples confrontés à une infertilité constatée médicalement et de pouvoir prendre en charge des couples en cas de risque de transmission d'une maladie grave. Cela permet de justifier les actions de communication visant à rappeler à la population générale que la fertilité est potentiellement limitée dans le temps et peut être altérée par un certain nombre de facteurs environnementaux. Il est important de disposer de protocoles et de moyens d'études sur les facteurs, la gamétogenèse et la capacité à nous reproduire.

Cela signifie-t-il que vous limiteriez le recours à l'AMP aux couples hétérosexuels infertiles ?

Professeur Catherine Guillemain. - Non. La prise en charge des nouvelles demandes de couples de femmes et de femmes non mariées ne pose pas de problème. En revanche, le fait de ne pas mentionner les couples médicalement infertiles nous dérange. En outre, cela représente un danger à moyen terme et à long terme, car ces situations sont prises en charge par l'Assurance Maladie.

Je me suis sans doute mal exprimée. Je n'évoquais pas le cas des femmes seules et des couples homosexuels, pour lesquels j'ai compris que vous êtes favorables à leur possibilité de recours à l'AMP. Ma question porte sur les couples hétérosexuels et sur la limitation de l'accès à l'AMP à ceux qui ont des problèmes d'infertilité plutôt que l'ouverture à des personnes qui n'ont a priori pas besoin de recourir à ces techniques.

Professeur Catherine Guillemain. - Ces situations sont marginales. La prise en charge dans le cas de couples hétérosexuels pour lesquels aucune anomalie n'a pas été diagnostiquée représente moins de 10 % des cas. Il s'agit d'une infertilité du fait du temps sans conception.

Professeur Nathalie Rives. - La médecine identifie des symptômes qui seront considérés comme idiopathiques dans la mesure où nous ne disposons pas de moyens diagnostiques pour mettre en évidence l'origine de la pathologie. Concernant les couples infertiles, les moyens actuels ne permettent pas dans un certain nombre de cas d'identifier l'origine de l'infertilité. Par ailleurs, le fait de ne pas être reconnus comme infertiles est très mal vécu par ces couples. À titre d'exemple, il n'est pas possible de dire à un garçon né avec une absence de testicules qu'il n'a pas de pathologie. Une femme ayant reçu des traitements anti-cancer extrêmement toxiques et rendue infertile peut difficilement entendre qu'elle n'est pas infertile et qu'il ne s'agit pas d'une pathologie. La reconnaissance de l'infertilité de couples doit être maintenue dans la loi tout en acceptant les autres demandes.

S'agissant des couples de femmes, notre avis est favorable. Concernant les femmes seules, notre avis est plus réservé. Nous ne remettons pas en question la capacité d'une femme seule à élever un enfant, mais nous avons des craintes d'ordre médical. Qu'advient-il si une femme enceinte dont la grossesse aura été induite au travers de notre action rencontre des complications liées à sa grossesse et décède à l'accouchement ?

La prise en charge des couples infertiles n'est pas systématique. Certaines prises en charge sont refusées pour diverses raisons, notamment médicales ou sociales. Comment pourrons-nous faire accepter nos refus ? Nous devons également nous assurer du bien-être de l'enfant à venir, conformément aux textes. S'agissant des couples de femmes et des femmes seules, le taux de refus de prise en charge à l'étranger est supérieur à 50 %, notamment en Belgique. En cas de refus, nous risquons d'entendre dire que nous pratiquons une discrimination comme le laisse entendre l'ajout à l'article 1er. Il faut maintenir la reconnaissance que l'infertilité existe et qu'elle n'est pas relative.

Par ailleurs, le texte de loi ne stipule pas que nous devons recontacter les donneurs. Il indique que les donneurs de gamètes ou d'embryons exprimant ce souhait pourront faire part d'un consentement différent auprès de la commission et accepter la transmission de l'identité au jeune adulte conçu par don. S'il s'agit d'une démarche spontanée du donneur, cela ne nous gêne pas. En revanche, le fait de recontacter les donneurs ayant fait un don sous les conditions actuelles de la loi met en jeu des scénarios extrêmement différents selon le contexte du donneur.

Si le donneur a eu des enfants conçus par don au travers de différents couples infertiles alors qu'il reste encore des paillettes en cours de distribution, le fait de le recontacter pour lui demander d'exprimer un nouveau consentement et lever son identité lors de futures conceptions rompt le consentement établi et le contrat avec les couples infertiles. Lorsqu'un donneur leur a été attribué, ce donneur avait consenti de donner de manière anonyme. Cette garantie a été apportée au couple. Si nous modifions cette situation en recontactant le donneur, le consentement établi avec le couple se trouve rompu.

S'il s'agit d'un donneur dont les paillettes sont en cours de distribution et s'il n'y a pas eu d'enfants conçus à partir de ce don, rien n'empêche de le recontacter. En revanche, celui-ci peut nous demander d'obtenir des informations sur l'aboutissement de son don. La loi ne permet pas la transmission d'informations de ce type. Si le don n'a pas donné lieu à une naissance, le donneur peut s'interroger sur l'utilisation qui en a été faite. Il est souhaitable de recontacter les donneurs dans le seul but de leur demander un consentement pour une utilisation du don auprès des couples de femmes ou des femmes seules. Si nous modifions la finalité de l'utilisation des spermatozoïdes de donneurs déjà stockés et qui sont utilisés auprès de couples infertiles, ou pour éviter la transmission d'une maladie d'une particulière gravité, il faut en informer le donneur, qui doit émettre son consentement.

Si ce type de procédure est mis en oeuvre, chaque scénario devra être pris en compte afin d'éviter les ruptures de consentement émis et de contrats établis avec des couples infertiles qui pensent avoir conçu un enfant à partir d'un donneur anonyme. Je pense qu'un consentement doit être respecté.

Concernant les conditions de levée de l'anonymat, la question porte sur la possibilité pour les jeunes adultes majeurs conçus par don qui en exprimeraient la demande d'accéder aux données non identifiantes ou au prénom et au nom du donneur. Parmi les jeunes adultes que nous avons pu rencontrer, certains d'entre eux se manifestent, mais beaucoup ne s'expriment pas du tout. Le fait de transmettre uniquement un nom et un prénom ne suffira probablement pas. Il faudra certainement répondre à toutes les interrogations. Nous souhaitons amplifier l'accompagnement des demandes déjà en cours et des nouvelles demandes dans le cadre de la conception au travers de l'AMP avec tiers donneur. Actuellement, nous raisonnons au sujet de plaintes issues de jeunes adultes conçus il y a au moins une vingtaine d'années, mais ce contexte sociétal était différent de la société dans laquelle évolueront les nouveaux enfants conçus, une fois atteint l'âge adulte.

Concernant notre proposition relative aux données non identifiantes, elle se fonde sur l'enquête que nous avons menée auprès des donneurs et des donneuses, des couples infertiles et d'associations de jeunes adultes conçus. Ces dernières ont rarement répondu. Les donneurs et les donneuses sont favorables à la transmission de données non identifiantes. Les couples infertiles, pour leur part, sont extrêmement réticents, mais ne sont pas très demandeurs de transmission d'autres données, contrairement aux donneurs. La seule position commune entre les donneurs, les couples infertiles et les professionnels concerne la transmission des données médicales.

Nous accueillons des donneurs âgés de 18 à 45 ans. Le fait de pouvoir accueillir des donneurs et des donneuses qui n'ont pas d'enfant réduit l'âge des candidats au don. La manière d'aborder les difficultés de la société à cet âge n'est pas comparable à celle des personnes ayant plus de quarante ans, surtout celles qui ont l'expérience de la parentalité. Pour autant, nous n'avons pas de réelles solutions. Faut-il permettre au donneur ou à la donneuse de changer d'avis ? Le texte de loi l'autorise pour les anciens donneurs. En revanche, les nouveaux candidats se voient imposer une seule possibilité.

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