Intervention de Marc Peschanski

Commission spéciale sur la bioéthique — Réunion du 21 novembre 2019 à 10h15
Audition de Mme Cécile Martinat présidente de la société française de recherche sur les cellules souches et de M. Marc Peschanski directeur de l'institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques i-stem

Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem) :

Je salue le travail que vous avez fait à l'époque, qui a largement bénéficié aux scientifiques, bien que les résultats n'aient pas été aussi bénéfiques qu'espérés. Il était très important de montrer que l'avis n'était pas unanime dans la représentation nationale.

Je souhaite compléter les propos de Mme Martinat au sujet de la place de la France dans les cellules souches. Lorsque nous avons créé l'I-Stem, lorsque les chercheurs ont pu commencer à travailler sur le sujet, personne en France ne savait manipuler ces cellules puisque c'était jusqu'alors interdit. Cette manipulation demande une pratique et une compétence sophistiquées. J'ai donc cherché à l'étranger des scientifiques acceptant de venir construire cet institut avec moi. Nous avons, grâce à l'appui du directeur général de l'INSERM, pu accueillir des post-doctorants au sein de son établissement ou de l'université d'Evry. Ce retard de 7 ans a été quelque peu compensé par l'utilisation des compétences acquises à l'étranger. Nous avons toutefois été limités par le manque de moyens. Le développement de la recherche a été freiné par l'exclusion des cellules souches embryonnaires de certains appels d'offres. L'Agence de la biomédecine les exclut par exemple de ses financements.

L'I-Stem a eu la chance d'être soutenu par le Téléthon. Cependant, un déploiement d'équipes sur le territoire n'a pas été permis, contrairement à la Grande-Bretagne qui a compté une quarantaine d'équipes dès 2006. La place de la France a été la conséquence de ce retard et de l'absence de financement spécifique.

Nous progressons dans les classements grâce à notre choix de cette orientation thérapeutique, appuyée sur des travaux fondamentaux réalisés à l'étranger. Nous les avons adaptés dans une recherche translationnelle aboutissant à des essais cliniques et des connexions industrielles. En regardant la carte des essais cliniques fondés sur les cellules souches embryonnaires, l'Europe n'est pas en pointe sur ces sujets. Elle compte une demi-douzaine d'essais en Grande-Bretagne, en Israël et en France. La structuration des centres d'investigation clinique opérée à la fin des années 1990 par l'INSERM en commun avec les hôpitaux joue un rôle majeur dans le cadre de la recherche translationnelle. Cette structuration n'existe pas de la même façon dans les autres pays européens. Elle nous apporte un énorme bénéfice pour faire passer les résultats d'une recherche de laboratoire dans la recherche clinique.

Concernant les changements de la loi, demander à des chercheurs en biologie d'avoir une finalité médicale revient à leur demander d'abandonner des pans entiers de la recherche fondamentale, ou de mentir.

Les chercheurs ayant découvert la technique CRISPR, des ciseaux qui coupent l'ADN, travaillaient sur la fermentation des bactéries. Son utilisation a commencé dans des laboratoires de recherche sur des cellules humaines avant de passer à la thérapeutique. Il s'agit du parcours permanent de notre recherche biologique, qui n'est pas unidirectionnel.

Depuis des années, cette finalité médicale oblige les chercheurs à écrire des choses sur lesquelles ils n'ont aucune certitude. Nos opposants nous attaquent sur des présentations ne pouvant être solides puisque les résultats de nos recherches sont toujours des paris faits par les scientifiques.

Ensuite, dans le cadre du changement de la loi, le fait de passer d'un système d'autorisation préalable à un système de déclaration correspond à la façon dont nous travaillons dans nos laboratoires. Lorsque nous travaillons sur des agents radioactifs, nous le faisons dans un cadre réglementaire et pas géré par une loi bioéthique de la radioactivité. Cette réglementation passe par une déclaration et une formation des scientifiques, ainsi que la restriction de l'utilisation de ces agents au domaine de la recherche.

Nous connaissons le cadre réglementaire et le système déclaratif et savons qu'il ne va pas nous ralentir. La demande d'autorisation préalable, au contraire, nous freine en nécessitant quatre mois de gestion par l'Agence de la biomédecine, qui n'ouvre cette possibilité que deux ou trois fois par an. Elle peut aboutir à des échecs par compétition d'autres équipes.

En ce qui concerne les cellules IPS par rapport aux cellules souches embryonnaires humaines, je voudrais juste dire quelque chose qui paraît banal. Lorsque vous avez le choix entre un maïs transgénique et un maïs bio, si le prix est le même, vous aurez tendance à privilégier le second. Nous considérons tous spontanément que ce qu'a produit la nature est meilleur. Quand on modifie le vivant, on ne sait jamais exactement ce que cela va donner. C'est la même chose avec les IPS. En 2007, nous les avons qualifiées de cellules repoussées à la case départ. Dès les mois qui ont suivi, les équipes ont modéré cette affirmation. Nous connaissons de mieux en mieux les éléments qui les différencient. De même que Monsanto observe la disparition d'abeilles après utilisation de son maïs transgénique, nous observons des dégâts collatéraux imprévus par les manipulations génétiques.

Aujourd'hui, les perspectives de la recherche tissulaire et en organes sont l'avenir. La construction d'organe est une des grandes pistes sur laquelle les équipes sont toutes engagées. J'ai abordé précédemment la modification de l'épithélium pigmentaire rétinien. L'équipe de Christelle Monville est en train de travailler sur un moyen de créer deux couches entre l'épithélium et les photorécepteurs. Cette technique permettra la création d'un tissu plus accessible pour les patients ne possédant pas les mutations spécifiques. Nous avons mis au point le traitement du syndrome de Phelan-McDermid à partir de cellules corticales cultivées en deux dimensions. Nous laissons aujourd'hui se développer les différentes couches du cortex pour regarder les interactions cellulaires entre celles-ci. Nous pouvons alors remarquer les altérations apparaissant au cours du développement du cerveau de certains autistes. Cette technique permet de voir comment ces désorganisations d'interactions cellulaires peuvent éventuellement être compensées par certaines approches thérapeutiques.

A I-Stem, nous ne travaillons pas sur le rein, mais collaborons avec une équipe hollandaise spécialisée sur cette question. Il est spectaculaire de voir se développer des glomérules et des tubules. Elles donnent accès à des désordres que nous ne pouvions pas observer jusqu'alors. Personne n'a à ce jour trouvé la façon de construire l'architecture rénale manquante, mais nous en approchons. L'étape suivante consistera à combiner nos cellules avec des moules en biomatériaux pour recréer un organe.

Les pistes d'ingénierie et de chirurgie du génome sont les prochaines pistes à suivre, grâce à CRISPR. Cette technique est très facile à introduire dans les laboratoires et permet de plus en plus d'avancées. Il était auparavant possible d'effectuer des coupures très précises dans le génome. Nous avons ensuite pu y insérer des morceaux d'ADN très précis. Par la suite, nous avons pu le faire au niveau d'une seule base sur les 6 milliards de bases. Les derniers travaux, publiés il y a quelques semaines à peine, ont montré que des chercheurs ont réussi à modifier le système CRISPR. Il peut ne plus couper l'ADN, mais simplement permettre la modification d'une base. C'est un élément extrêmement important pour la sécurité, empêchant des coupures imprévues.

Je répète que la loi de bioéthique concerne aujourd'hui la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires. Nous espérons qu'elle aboutira à une réglementation à ce sujet. Nous devons commencer à réfléchir à l'application, à l'industrialisation et au développement des traitements. La présence d'industriels dans une salle comme celle-ci est indispensable pour qu'ils puissent exprimer leurs besoins, leurs perspectives, et leur optimisme sur ces différentes pistes. Les chercheurs peuvent apporter un certain nombre d'éléments, mais ils ne sont pas les seuls.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion