Commission spéciale sur la bioéthique

Réunion du 21 novembre 2019 à 10h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec une audition consacrée à la recherche sur l'embryon, les cellules souches embryonnaires et les cellules souches pluripotentes induites.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable à la demande.

Nous recevons ce matin Mme Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches et M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques.

Je souhaite par ailleurs la bienvenue aux étudiants de M. Pierre Calvel d'AgroParisTech que j'ai convié, il y a déjà de nombreuses semaines, à assister à nos travaux.

Je laisse la parole à nos invités pour un bref propos liminaire avant que nos rapporteurs n'interviennent, puis les commissaires qui le souhaiteront.

Debut de section - Permalien
Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR)

Madame et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs, je vous remercie beaucoup pour cette invitation.

Je vais revenir en guise d'introduction sur les cellules souches embryonnaires humaines. Elles sont issues d'embryons obtenus après cinq à sept jours de fécondation in vitro. Elles sont caractérisées par leurs capacités d'autorenouvellement et de pluripotence. Elles ont été dérivées pour la première fois il y a plus d'une vingtaine d'années. Depuis, un cap a été franchi quant à leur utilisation, en particulier dans les domaines biomédicaux. Il existe à ce jour une vingtaine d'essais cliniques internationaux portant sur les dérivés de cellules souches embryonnaires, principalement pour des programmes de médecine régénératrice.

Depuis 2007, le professeur Yamanaka a identifié un procédé permettant de convertir des cellules adultes dans d'autres cellules présentant des caractéristiques identiques aux cellules souches embryonnaires humaines.

Il est nécessaire de distinguer le fait que ces cellules souches induites à la pluripotence sont différentes des cellules souches embryonnaires humaines, du fait d'un phénomène de reprogrammation. La régulation d'expression des gènes est modifiée.

En revenant sur les processus de révision de la loi de bioéthique, nous pouvons, en tant que citoyens, nous féliciter que la loi prenne en compte les évolutions scientifiques et technologiques. Nous pouvons tout de même regretter que le texte de loi de 2013, qui aurait dû nous laisser une certaine flexibilité quant à l'utilisation des cellules, n'ait été que source de problèmes. Nos programmes de recherche se sont vu attaquer en justice auprès de l'Agence de la biomédecine.

A ce stade, environ 50 % de programmes de recherche font encore l'objet d'un processus juridique. C'est ce constat qui a donné lieu à la création de la Société française de recherche sur les cellules souches en 2017. Elle compte plus de 450 membres actifs, scientifiques et cliniciens, couvrant la recherche fondamentale et appliquée. Les domaines traités sont vastes : cellules souches embryonnaires humaines, mésenchymateuses, mais aussi cancéreuses. Notre objectif était de nous faire entendre dans le cadre de la révision sur la loi de bioéthique. Nos revendications à ce sujet étaient triples : une distinction doit être opérée entre un embryon et des cellules souches embryonnaires ; les textes de loi doivent être adaptés, car ils sont trop limitants ; le troisième point porte sur la recherche sur l'embryon. Je ne l'aborderai pas aujourd'hui.

En tant que scientifiques, le fait de passer d'un système d'autorisation à un système déclaratif nous réjouit. Nous espérons vraiment qu'il nous protégera contre ces attaques juridiques.

Nous soulignons l'existence de prérequis, et en particulier le terme de « finalité médicale ». Il est limitant, restrictif et ne prend pas en compte le continuum de la recherche. Un « agrandissement des connaissances de la biologie chez l'homme et de l'amélioration de sa santé » serait plus adapté.

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

Bonjour à tous. Je vais aujourd'hui vous parler d'avenir. A ce titre, je dois d'abord mentionner la façon dont les scientifiques français ont abordé l'exploitation des cellules souches embryonnaires. L'angle abordé était à l'époque thérapeutique.

L'I-Stem s'est orienté de façon déterminée vers l'utilisation thérapeutique. Nous avons promis que nous allions travailler sur les possibilités d'exploitation des cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques. De nombreux opposants ont discuté ces axes. Ils se sont trompés. Nous avons non seulement des programmes de recherche sur de nouvelles thérapies, mais surtout des résultats.

Nous avons exploré deux axes de recherche en particulier. Nous avons tout d'abord travaillé à partir de cellules souches dérivées d'embryons rejetés lors d'un diagnostic préimplantatoire. Les médecins donnent la possibilité à des parents ayant eu un enfant atteint d'une maladie génétique extrêmement grave d'avoir un bébé ne portant pas le gène muté responsable de cette maladie. Les embryons porteurs de la mutation sont donc éliminés. Nous nous sommes associés à des centres permettant d'obtenir des cellules souches embryonnaires porteuses des mutations. Nous les avons étudiées et y avons identifié les anomalies liées à ces mutations afin de les utiliser comme marqueur. Nous avons ensuite testé des composés pour étudier leurs éventuels effets sur les cellules. Après 15 ans de recherche, nous avons publié l'année dernière les résultats de l'essai clinique sur la maladie de Steinert. Il a démontré que la metformine, médicament antidiabétique, permettait aux malades de gagner 10 à 15 % de périmètre de marche. D'autres molécules ont montré des effets positifs sur deux patientes atteintes d'un autisme sévère. Nous ouvrons aujourd'hui la voie pour des maladies génétiques sur lesquelles nous n'avions précédemment aucun impact.

Ce travail donne lieu à des contacts de plus en plus étroits avec des industriels, intéressés par notre approche. Il ne s'agit pas pour eux d'un repositionnement, mais d'un travail vers de nouvelles entités chimiques. L'usage dépasse la recherche et devient du développement.

La thérapie cellulaire est un sujet de recherche plus connu, puisqu'elle bénéficie des faveurs de la médiatisation. Il s'agit d'une greffe de cellules dans un organe qui en a perdu. C'est d'ailleurs l'objectif le plus courant des scientifiques travaillant sur les cellules souches embryonnaires. Les premiers travaux cliniques ont débuté dès 2010 aux Etats-Unis et en Angleterre. A partir de 2014, des travaux ont été menés en France par Philippe Menasché. Ils portaient sur le traitement de pathologies liées à l'infarctus du myocarde. Les résultats lui ont permis de développer et améliorer son approche.

Je vous annonce aujourd'hui que nous avons lancé un essai clinique auprès de patients atteints de rétinites pigmentaires. Il s'agit d'une dégénérescence de cellules au fond de la rétine, que nous remplaçons par des cellules entièrement construites en laboratoire. Nous avons d'ores et déjà implanté deux patients, dix autres sont en attente pour l'année à venir. L'essai vise à retrouver de la vision chez des patients en train d'évoluer vers la cécité.

Quarante-deux essais cliniques sont dénombrés. Nous ne sommes plus dans les frémissements et dans les balbutiements, mais sommes entrés dans la phase d'application. Nous sommes à présent en lien avec des industriels qui y consacrent des moyens de plus en plus importants.

J'avais interrogé il y a quelques mois votre commission sur la façon dont les parlementaires pouvaient anticiper ce qu'il se passera dans les cinq à sept années à venir. En effet, nous changeons de registre puisque nos résultats le permettent et que des industriels s'en saisissent. Nous allons donc passer de la recherche à la médecine durant cette période. Les industriels préparent cette médecine pour des centaines de milliers de malades, et plus pour quelques dizaines de patients atteints de maladies rares. Nous allons vers une industrialisation, ce qui demande des investissements considérables.

Ces investissements ne doivent pas être handicapés par des lois les remettant en cause. La loi, concernant aujourd'hui la recherche, doit anticiper l'avenir du domaine médical. La France est en retard en termes d'infrastructures pour la bioproduction. Nous ne devons pas rater le virage industriel. Nous devons à ce titre trouver des modalités juridiques leur permettant de travailler.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Merci pour votre exposé intéressant.

J'ai cru comprendre que dans le texte présenté aujourd'hui au Sénat, le régime de déclaration préalable pour les recherches sur les cellules souches embryonnaires vous satisfaisait. Vous considérez qu'il freinera les attaques potentielles sur les prochains projets. Pouvez-vous nous rappeler sur quels arguments se basent ces attaques dont font l'objet les programmes de recherche ? Nous les connaissons déjà, mais il serait intéressant de les repréciser à nos auditeurs.

Vous avez évoqué le fait que le pays a quelques années de retard sur certains sujets. Quelle place la France occupe-t-elle aujourd'hui en matière de recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Comment exprimer cette nécessaire anticipation au travers du texte de loi ? Pouvez-vous nous apporter, au travers de votre expertise, des éléments permettant d'améliorer la loi dans ce sens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Je vous remercie de nous avoir rappelé que vos recherches produisaient du mieux-être, de la lutte contre des pathologies rares et incurables pour la plupart. L'encadrement en la matière est consubstantiel à vos recherches.

Vous estimez que les cellules souches reprogrammées en cellules pluripotentes ne sont pas réellement une alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Pouvez-vous développer ce point ?

Ma deuxième question porte sur l'encadrement auquel nous devons procéder. Doit-il selon vous porter sur l'origine des cellules ou sur leur capacité ? Je pense notamment aux cellules pluripotentes qu'il est possible de faire évoluer et différencier vers des cellules de type germinal.

Pourriez-vous nous éclairer sur les perspectives de la recherche sur la transformation en tissus et en organes, donc sur la thérapie cellulaire ? La problématique la plus dense à ce sujet porte actuellement sur les reins.

Enfin, le texte transmis de l'Assemblée nationale constitue-t-il à vos yeux un cadrage suffisant pour la poursuite de vos recherches ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Vers qui doit-on orienter un patient qui souffre d'une rétinite pigmentaire avancée ?

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

Ces patients sont à orienter vers le docteur Mohand-Saïd, ophtalmologue au CIC des Quinze-Vingts. Les rétinites pigmentaires auxquelles nous nous attaquons aujourd'hui touchent principalement l'épithélium pigmentaire rétinien. Certaines mutations sont spécifiques, d'autres s'étendent à d'autres populations cellulaires. Elles peuvent toucher les photorécepteurs. Notre capacité de thérapie cellulaire n'est à ce jour pas adaptée à leur remplacement. Nous travaillons assidûment sur le sujet afin de renforcer nos approches.

Aujourd'hui, trois grandes mutations nous concernent : RPE65, MRTK et LRAT qui sont toutes trois spécifiques à l'épithélium pigmentaire rétinien.

Debut de section - Permalien
Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR)

Je vais rappeler les motifs des attaques dont nous faisons l'objet pour notre auditoire plus jeune, que je remercie d'ailleurs d'être présent.

Avant les lois de 2011 et 2013, d'interdiction puis d'autorisation, trois prérequis étaient indispensables à l'obtention d'une autorisation : la finalité médicale, la pertinence scientifique et le fait qu'on ne puisse pas effectuer les travaux de recherche avec une autre source de matériel. La situation s'est complexifiée lorsque les cellules souches induites à la pluripotence sont apparues.

Les motifs des attaques ont été multiples. En mars, deux autorisations de recherche portant sur la pertinence scientifique et sur la traçabilité ont été annulées par le tribunal de Versailles. Plus de la moitié des autorisations étant à l'heure actuelle en cours de processus juridique portent sur ces sujets. J'aimerais comprendre comment un juge peut déterminer la pertinence scientifique d'un projet. Avec le temps, les attaques nous visant ont sans cesse trouvé de nouveaux motifs. Elles concernaient au départ les sources alternatives, puis la traçabilité, et enfin les consentements. Les cellules utilisées sont « immortelles ». La majorité des laboratoires utilisent aujourd'hui des cellules embryonnaires humaines dérivées à la fin des années 1990, souvent dans les pays de l'Est. Le consentement à l'époque ne correspondait pas forcément aux prérequis actuels en la matière.

Pour répondre sur la place de la France dans le domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines, il est évident que nous avons pris du retard. Il s'agit d'ailleurs d'un des motifs de création de notre société savante. Nous l'avons lancée suite à une certaine lassitude de voir nos programmes attaqués. De plus, un congrès international regroupe tous les experts internationaux sur les cellules souches, en particulier pluripotentes. Nous avons remarqué que la France n'apparaissait même pas dans le top 20 des pays les plus représentés lors de celui-ci en 2017. Nous avons donc décidé de fédérer notre communauté scientifique, ce qui a fonctionné puisqu'en 2018, nous apparaissions enfin dans le top 15.

Nous n'avons pas abordé le problème de la lourdeur administrative et des délais des autorisations qui conduisent beaucoup d'équipes à se limiter dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires humaines. Nous ne pouvons qu'espérer pouvoir aller beaucoup plus vite et franchir d'autres barrières à l'avenir. Malgré notre retard, notamment par rapport aux Etats-Unis et à l'Angleterre, nous avons tout de même montré une certaine excellence scientifique, et nous nous en réjouissons.

Je considère que les IPS ne sont pas une source alternative de matériel aux cellules souches embryonnaires humaines. Les cellules souches induites à la pluripotence sont obtenues par modification génétique de cellules adultes. Nous devons pouvoir les comparer aux cellules souches physiologiques. Des exemples montrent que l'utilisation de ces cellules dans le cadre de l'étude de certaines maladies pourrait présenter des défauts liés à la reprogrammation. Elles ne sont donc pas forcément l'outil le plus pertinent. Des disparités existent toujours et il est nécessaire de continuer à creuser cette question d'un point de vue scientifique.

En ce qui concerne le texte de l'Assemblée nationale, je crois pouvoir dire que celui-ci est plus intelligent et plus raisonnable que le premier. Nous pouvons nous réjouir en France du système permettant de revoir régulièrement cette loi. De nouvelles évolutions apparaîtront dans les années à venir, telles que la technologie CRISPR ou les embryons chimériques et synthétiques. Nous devons permettre aux scientifiques de travailler sur ces notions de sorte à ne pas prendre de retard.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je voudrais adresser aux jeunes présents dans l'auditoire un message publicitaire sur l'utilité du Sénat. Je vous rappelle que l'autorisation de recherche sur les cellules souches embryonnaires vient du Sénat. C'est en outre le Sénat qui a imposé la révision de la loi bioéthique tous les 7 ans. Il semblerait que l'Assemblée nationale soit cette année plus encline à accepter une révision tous les cinq ans, ce que nous demandions au départ.

- Présidence de Mme Elisabeth Doineau, vice-présidente -

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

Je salue le travail que vous avez fait à l'époque, qui a largement bénéficié aux scientifiques, bien que les résultats n'aient pas été aussi bénéfiques qu'espérés. Il était très important de montrer que l'avis n'était pas unanime dans la représentation nationale.

Je souhaite compléter les propos de Mme Martinat au sujet de la place de la France dans les cellules souches. Lorsque nous avons créé l'I-Stem, lorsque les chercheurs ont pu commencer à travailler sur le sujet, personne en France ne savait manipuler ces cellules puisque c'était jusqu'alors interdit. Cette manipulation demande une pratique et une compétence sophistiquées. J'ai donc cherché à l'étranger des scientifiques acceptant de venir construire cet institut avec moi. Nous avons, grâce à l'appui du directeur général de l'INSERM, pu accueillir des post-doctorants au sein de son établissement ou de l'université d'Evry. Ce retard de 7 ans a été quelque peu compensé par l'utilisation des compétences acquises à l'étranger. Nous avons toutefois été limités par le manque de moyens. Le développement de la recherche a été freiné par l'exclusion des cellules souches embryonnaires de certains appels d'offres. L'Agence de la biomédecine les exclut par exemple de ses financements.

L'I-Stem a eu la chance d'être soutenu par le Téléthon. Cependant, un déploiement d'équipes sur le territoire n'a pas été permis, contrairement à la Grande-Bretagne qui a compté une quarantaine d'équipes dès 2006. La place de la France a été la conséquence de ce retard et de l'absence de financement spécifique.

Nous progressons dans les classements grâce à notre choix de cette orientation thérapeutique, appuyée sur des travaux fondamentaux réalisés à l'étranger. Nous les avons adaptés dans une recherche translationnelle aboutissant à des essais cliniques et des connexions industrielles. En regardant la carte des essais cliniques fondés sur les cellules souches embryonnaires, l'Europe n'est pas en pointe sur ces sujets. Elle compte une demi-douzaine d'essais en Grande-Bretagne, en Israël et en France. La structuration des centres d'investigation clinique opérée à la fin des années 1990 par l'INSERM en commun avec les hôpitaux joue un rôle majeur dans le cadre de la recherche translationnelle. Cette structuration n'existe pas de la même façon dans les autres pays européens. Elle nous apporte un énorme bénéfice pour faire passer les résultats d'une recherche de laboratoire dans la recherche clinique.

Concernant les changements de la loi, demander à des chercheurs en biologie d'avoir une finalité médicale revient à leur demander d'abandonner des pans entiers de la recherche fondamentale, ou de mentir.

Les chercheurs ayant découvert la technique CRISPR, des ciseaux qui coupent l'ADN, travaillaient sur la fermentation des bactéries. Son utilisation a commencé dans des laboratoires de recherche sur des cellules humaines avant de passer à la thérapeutique. Il s'agit du parcours permanent de notre recherche biologique, qui n'est pas unidirectionnel.

Depuis des années, cette finalité médicale oblige les chercheurs à écrire des choses sur lesquelles ils n'ont aucune certitude. Nos opposants nous attaquent sur des présentations ne pouvant être solides puisque les résultats de nos recherches sont toujours des paris faits par les scientifiques.

Ensuite, dans le cadre du changement de la loi, le fait de passer d'un système d'autorisation préalable à un système de déclaration correspond à la façon dont nous travaillons dans nos laboratoires. Lorsque nous travaillons sur des agents radioactifs, nous le faisons dans un cadre réglementaire et pas géré par une loi bioéthique de la radioactivité. Cette réglementation passe par une déclaration et une formation des scientifiques, ainsi que la restriction de l'utilisation de ces agents au domaine de la recherche.

Nous connaissons le cadre réglementaire et le système déclaratif et savons qu'il ne va pas nous ralentir. La demande d'autorisation préalable, au contraire, nous freine en nécessitant quatre mois de gestion par l'Agence de la biomédecine, qui n'ouvre cette possibilité que deux ou trois fois par an. Elle peut aboutir à des échecs par compétition d'autres équipes.

En ce qui concerne les cellules IPS par rapport aux cellules souches embryonnaires humaines, je voudrais juste dire quelque chose qui paraît banal. Lorsque vous avez le choix entre un maïs transgénique et un maïs bio, si le prix est le même, vous aurez tendance à privilégier le second. Nous considérons tous spontanément que ce qu'a produit la nature est meilleur. Quand on modifie le vivant, on ne sait jamais exactement ce que cela va donner. C'est la même chose avec les IPS. En 2007, nous les avons qualifiées de cellules repoussées à la case départ. Dès les mois qui ont suivi, les équipes ont modéré cette affirmation. Nous connaissons de mieux en mieux les éléments qui les différencient. De même que Monsanto observe la disparition d'abeilles après utilisation de son maïs transgénique, nous observons des dégâts collatéraux imprévus par les manipulations génétiques.

Aujourd'hui, les perspectives de la recherche tissulaire et en organes sont l'avenir. La construction d'organe est une des grandes pistes sur laquelle les équipes sont toutes engagées. J'ai abordé précédemment la modification de l'épithélium pigmentaire rétinien. L'équipe de Christelle Monville est en train de travailler sur un moyen de créer deux couches entre l'épithélium et les photorécepteurs. Cette technique permettra la création d'un tissu plus accessible pour les patients ne possédant pas les mutations spécifiques. Nous avons mis au point le traitement du syndrome de Phelan-McDermid à partir de cellules corticales cultivées en deux dimensions. Nous laissons aujourd'hui se développer les différentes couches du cortex pour regarder les interactions cellulaires entre celles-ci. Nous pouvons alors remarquer les altérations apparaissant au cours du développement du cerveau de certains autistes. Cette technique permet de voir comment ces désorganisations d'interactions cellulaires peuvent éventuellement être compensées par certaines approches thérapeutiques.

A I-Stem, nous ne travaillons pas sur le rein, mais collaborons avec une équipe hollandaise spécialisée sur cette question. Il est spectaculaire de voir se développer des glomérules et des tubules. Elles donnent accès à des désordres que nous ne pouvions pas observer jusqu'alors. Personne n'a à ce jour trouvé la façon de construire l'architecture rénale manquante, mais nous en approchons. L'étape suivante consistera à combiner nos cellules avec des moules en biomatériaux pour recréer un organe.

Les pistes d'ingénierie et de chirurgie du génome sont les prochaines pistes à suivre, grâce à CRISPR. Cette technique est très facile à introduire dans les laboratoires et permet de plus en plus d'avancées. Il était auparavant possible d'effectuer des coupures très précises dans le génome. Nous avons ensuite pu y insérer des morceaux d'ADN très précis. Par la suite, nous avons pu le faire au niveau d'une seule base sur les 6 milliards de bases. Les derniers travaux, publiés il y a quelques semaines à peine, ont montré que des chercheurs ont réussi à modifier le système CRISPR. Il peut ne plus couper l'ADN, mais simplement permettre la modification d'une base. C'est un élément extrêmement important pour la sécurité, empêchant des coupures imprévues.

Je répète que la loi de bioéthique concerne aujourd'hui la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires. Nous espérons qu'elle aboutira à une réglementation à ce sujet. Nous devons commencer à réfléchir à l'application, à l'industrialisation et au développement des traitements. La présence d'industriels dans une salle comme celle-ci est indispensable pour qu'ils puissent exprimer leurs besoins, leurs perspectives, et leur optimisme sur ces différentes pistes. Les chercheurs peuvent apporter un certain nombre d'éléments, mais ils ne sont pas les seuls.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Merci pour ce riche exposé.

Il me semble important de distinguer la recherche sur l'embryon de celle sur les cellules souches embryonnaires. J'ai l'impression que les questions éthiques ne se posent pas de la même manière sur ces deux cas.

La limite de la culture des embryons à des fins de recherche était auparavant de sept jours. Elle est passée à quatorze jours dans la proposition de loi, en prenant exemple sur les pays voisins. Pensez-vous que ce chiffre est positif et suffisant ?

De plus, vous parlez du virage industriel à ne pas rater et des moyens à investir. J'ai fait un parallèle avec les moyens insuffisants accordés à la recherche. Je plaide personnellement pour la création d'un pôle public du médicament et de la recherche. Je me suis interrogée sur les garde-fous à mettre en place. Ne serait-il pas nécessaire de mettre en place une charte éthique pour éviter les dérives ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

J'aimerais demander à Mme Martinat : qui sont vos détracteurs ? Vous avez abordé les motifs des attaques, mais pas leur source. Sont-ils des professionnels, des collègues, des confrères ?

Je souhaite également obtenir votre éclairage sur le « bébé-médicament », enlevé du texte de l'Assemblée nationale.

Debut de section - Permalien
Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR)

Nous nous félicitons que la proposition du texte de loi prenne en compte la distinction entre l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Il s'agissait, au niveau de la FSSCR, du point d'ancrage pour commencer à travailler un texte de loi sur les cellules souches embryonnaires humaines.

Je ne travaille pas sur l'embryon, et considère donc que je n'ai pas les connaissances scientifiques nécessaires pour en parler. Pierre Sabatier a dû aborder cette problématique. Si je suis les propos de mes collègues de la société savante, nous regrettons cette limitation à quatorze jours. Deux arguments ont été utilisés pour placer cette limite. La première raison est purement philosophique. La seconde est scientifique : à partir de quatorze jours, nous commençons à voir apparaître des structures neuroectodermiques qui sont les prémices de l'élaboration du cerveau. Il a donc été considéré que l'apparition de la conscience commençait à ce stade, ce qui n'a jamais été démontré. Étendre au-delà de ce délai nous permettrait de mieux comprendre les mécanismes expliquant et contrôler la mise en place de ces structures. Cette compréhension serait extrêmement importante, en particulier dans le cadre de la procréation médicalement assistée et l'infertilité. Beaucoup de femmes consomment ou ont consommé du Gynéfam puisqu'il contient de l'acide rétinoïque, contribuant à la mise en place de ces premières structures.

Continuer la recherche sur ces structures devrait nous permettre de mieux appréhender les mécanismes.

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

La loi de bioéthique de 1994, interdisant tout travail de recherche sur l'embryon, a été suivie d'un arrêt de tout travail pour améliorer la fécondation in vitro. La France, qui était un pays en pointe en termes de résultats de FIV, est alors tombée très bas dans les classements. Nos collègues demandent donc qu'il soit possible d'étendre le travail sur les embryons jusqu'à quatorze jours, voire au-delà. Dans le cadre de FIV et de grossesses en général surviennent malheureusement régulièrement des défauts de développement, de nidation ou d'interactions avec les structures utérines. Ils doivent pouvoir observer les cellules responsables de la nidation, qui leur échappent aujourd'hui.

Une loi de bioéthique doit éviter que les résultats obtenus par les chercheurs se traduisent par des dysfonctionnements dans leur application à la société, à l'espèce humaine et à toutes les espèces en général d'ailleurs. Les chercheurs ne peuvent travailler qu'à condition d'aller dans des terrains inconnus, qui ne peuvent donc pas être réglementés. Les connaissances apportées seront donc, ou non, appliquées à la société. C'est là que se situe la barrière à mettre en place.

Il ne faudrait pas que les révisions de lois de bioéthique périodiques continuent de nous freiner. La recherche doit être libre, réglementée et surtout qu'elle permette aux scientifiques de s'intéresser à des terrains inconnus, sans quoi ils ne pourront apporter de connaissances nouvelles.

Je partage l'avis de madame la Sénatrice sur le déficit financier de nos recherches, mais rappelle toutefois l'accord de Lisbonne de l'an 2000. Le gouvernement français s'était engagé à aboutir à 3 % de PIB dans la recherche en 10 ans. Nous sommes à 2,2 % en 2019, ce qui se traduit donc par un déclin qui continuera jusqu'à ce que les moyens nécessaires soient mis en oeuvre. L'Allemagne a démarré en 2000 avec 2,15 % du PIB consacré à la recherche, comme nous. Elle a dépassé les 3 % depuis 2010. J'en profite pour vous adresser ce message au nom de la communauté scientifique.

Au sujet du virage industriel, il est aujourd'hui indispensable que vous écoutiez les industriels. Vous travaillez aujourd'hui sur le passé de nos recherches. La loi de bioéthique est régulièrement révisée sur la base des connaissances que nous vous apportons. Il est maintenant utile de regarder vers l'avant et d'anticiper. Le Sénat était très en pointe en 2011 sur sa réflexion bioéthique dans ses choix et ses anticipations. Nous avons la possibilité d'être en avance sur la bioproduction cellulaire, et devons donc l'être. Nous nous dirigeons vers une nouvelle médecine régénératrice, recherchant des traitements sur la base de cellules développées en laboratoire.

Je pense qu'aujourd'hui la question pour les grands acteurs pharmaceutiques est de savoir s'ils vont se développer ici ou de l'autre côté de la frontière. En 2009, nous avons été contactés par Roche, un industriel souhaitant développer ses approches de médicaments, ce qu'il a fait avec succès. Ils avaient compris qu'ils pourraient trouver chez nous des développements introuvables ailleurs. Nous avons donc travaillé deux ans et demi ensemble, en formant leurs équipes et construisant des laboratoires. Nous leur avons proposé d'en construire un à Evry, ce qu'ils ont refusé du fait de leur incertitude par rapport à la loi de 2009. Ils ont eu peur de perdre leurs investissements dans les années suivantes. Nous l'avons donc construit à Bâle.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

N'y a-t-il pas besoin d'une charte éthique ?

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

Il est nécessaire de leur parler. Je ne peux pas m'exprimer à leur place. Je serais partisan d'une charte, ou en tout cas d'un engagement commun autour de ces développements. J'estime qu'ils seraient heureux de pouvoir le faire maintenant, et surtout d'avoir des certitudes sur l'environnement réglementaire et légal dans lequel ils veulent construire. Certains veulent construire en France.

Le bébé-médicament n'est pas mon domaine de recherche. La position que Cécile Martinat et moi pouvons vous donner est une position de citoyen. La possibilité d'accès à des cellules provenant du frère ou de la soeur d'un bébé atteint d'une leucémie, passant par un tri d'embryons, n'est pas un domaine de recherche. Nous ne sommes donc plus dans une loi de bioéthique s'appliquant à la recherche.

Debut de section - Permalien
Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR)

Pour compléter ces propos, en tant que citoyenne et mère, je défends le point de vue de Marc Peschanski. J'ajoute que nous avons assisté dernièrement à une modification de génome avec les « bébés-CRISPR ». Nous sommes contre toute manipulation par modification génétique.

Ce n'est pas un secret, toutes les attaques émanent de la Fondation Jérôme Lejeune. L'Agence de la biomédecine a dû totalement reconvertir son activité sur la réponse à ces attaques juridiques. J'aimerais connaître le montant dépensé à ce titre par celle-ci, et donc par l'Etat. Nous avions cosigné en 2017 une tribune dans Le Monde dénonçant le fait que cette fondation était d'intérêt public.

Dans la mesure où cette possibilité est utile, je ne vois pas de raison de l'empêcher. La position pragmatique est de voir qu'aujourd'hui, le bébé-médicament n'a pas servi. Nous ne savons pas si ça sera le cas à l'avenir. Ce n'est pas du domaine dans lequel nous pouvons intervenir en tant que scientifiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

En tant que médecin et mère, je comprends totalement vos propos sur ces avancées thérapeutiques ouvrant des horizons vertigineux et très positifs. Cependant, nous sommes des législateurs. C'est toute la rigueur du droit que nous devons trouver. La loi est pensée pour rendre la société meilleure. Il y a quinze ans, nous nous posions déjà la question suivante : la dignité humaine est-elle dans les gènes ? Mais les gènes de qui ? La réponse est bien entendu négative. Cette position d'équilibre que nous recherchons tous est quelque peu chimérique. Si nous ouvrons toutes les portes, nous ignorons comment certains pourraient les exploiter. Je partage l'avis de ma collègue Laurence Cohen sur la nécessité d'une charte éthique. Il est navrant de constater que ce laboratoire va s'installer de l'autre côté de la frontière. Ne pourrions-nous pas trouver une position « à la française » ? Nous avons en effet des lois qui sont peut-être trop contraignantes et qui freinent ces avancées et le développement de la recherche ? Ne pourrions-nous pas travailler avec les industriels de façon à promouvoir une recherche éthique, via la signature d'une charte, sur les cellules souches embryonnaires tout en nous garantissant d'usages que nous ne pourrions absolument pas partager ?

Debut de section - Permalien
Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut cellules souches pour le traitement et l'étude des malades monogénétiques (I-Stem)

Il est nécessaire de différencier les pratiques dans les laboratoires de recherche et l'utilisation de leurs résultats. Je tiens beaucoup à la liberté de la recherche, car elle a pour finalité de rendre le monde meilleur en apportant des connaissances, des perspectives et des moyens nouveaux. Il appartient ensuite à la société de décider s'il convient d'exploiter ces connaissances, ces perspectives et ces moyens dans la perspective d'un monde meilleur. Je pense vraiment qu'il faut anticiper ce passage. La recherche est un monde inconnu dans lequel nous entrons progressivement. Nous avons aujourd'hui apporté des résultats, y compris en essais cliniques, permettant de voir que la médecine régénératrice ne relève plus de la science-fiction. De nouveaux acteurs entrent en jeu, entraînant de nouvelles discussions. Nous y assumerons notre rôle de scientifiques en vous apportant les éléments qui vous permettront de comprendre ce que les industriels veulent faire de nos résultats. Il faudra cependant tenir compte de la parole de ces industriels. En effet, lorsque nous réalisons un essai clinique chez douze patients atteints de rétinite pigmentaire, cela épuise à la fois nos ressources humaines et financières. Un tel essai peut amputer nos budgets d'un million d'euros. Nous pouvons fort heureusement compter sur le Téléthon, car l'INSERM ne pourrait pas assumer de tels coûts. Il est donc inenvisageable de se projeter sur 12 000, 120 000 ou 1,2 million de patients. Pour atteindre de telles masses, il faut changer de cadre et évoluer vers un modèle industriel qui implique des développements robotiques, la construction d'usines, la formation de centaines de nouveaux techniciens et ingénieurs. Nous jouerons notre rôle d'experts dans ce cadre, mais pas plus. Les industriels doivent être assurés qu'ils pourront travailler dans un cadre législatif et réglementaire qui leur garantira que leurs investissements et leurs efforts ne seront pas freinés après quelques années.

Debut de section - Permalien
Cécile Martinat, présidente de la Société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR)

J'ajoute que je me méfie toujours un peu des chartes éthiques. Au regard des résultats de la convention d'Oviedo, leur pertinence mérite d'être remise en question. Ce texte, s'il a été pertinent à une époque, ne l'est plus et devrait être renouvelé. Un certain nombre de pays, comme les Pays-Bas, ont d'ailleurs décidé de retirer leur signature, ce texte ne reflétant plus du tout les travaux qu'ils mènent. Il faut être vigilant à la mise en place de chartes, qui peuvent se transformer indirectement en des formes de verrous.

Il ne faut pas oublier que la recherche française est dépendante de tutelles. Ainsi l'INSERM est supervisé par un Comité d'éthique qui surveille les avancées de travaux, évalue leur pertinence et qui est en mesure de rappeler que certaines recherches ne sont pas autorisées. Ces comités institutionnels contribuent donc à la définition d'un cadre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.