Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 30 novembre 2019 à 10h30
Financement de la sécurité sociale pour 2020 — Exception d'irrecevabilité

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

C’est très au-dessous des revendications syndicales des collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, qui demandent un Ondam au niveau de l’évolution naturelle des dépenses à 4, 5 %, soit 5 milliards d’euros de plus.

Malgré le niveau de colère et de mobilisation justifié des personnels, vous refusez de débloquer les moyens indispensables pour répondre aux besoins de santé. Il s’agit bien d’un marché de dupes, car le relèvement de l’Ondam pour 2020, obtenu de haute lutte, est au-dessous du niveau de l’Ondam de l’an dernier, qui était de 2, 5 %. Vous annoncez des moyens supplémentaires, mais vous maintenez la compression des dépenses de santé de l’hôpital public.

Dans une tribune publiée mercredi 13 novembre dans la presse, près de 2 000 professionnels de santé en pédiatrie se sont élevés contre le manque de moyens dans les hôpitaux, notamment dans les services où sont soignés les enfants. Que répondez-vous au professeur Rémi Salomon, chef de service pédiatrie de l’hôpital Necker, quand il dénonce : « alors que l’épidémie de bronchiolite débute, on est obligés de transférer des enfants en dehors des hôpitaux parisiens » ? Tout le monde a bien conscience qu’il s’agit d’une prise de risque pour ces petits patients.

À l’écoute de ce témoignage et à la lecture de cette tribune, votre plan d’urgence devrait comporter des ouvertures immédiates de lits, surtout quand on sait que 100 000 d’entre eux ont été fermés en vingt ans. Eh bien, pas du tout : vous persistez et vous signez dans vos choix mortifères pour l’hôpital. La réalité, c’est que vous ne répondez à aucune des revendications fondamentales des personnels qui sont attachés à l’hôpital et qui veulent des moyens réels pour améliorer la qualité des soins de leurs patients.

À l’exigence d’une augmentation de 300 euros par mois des salaires, vous répondez par une prime catégorielle pour l’Île-de-France de 800 euros pour 40 000 infirmières et aides-soignantes. Prime qui ne prend pas en compte le vécu de ces professionnels sur l’ensemble du territoire et pas seulement en Île-de-France – 800 euros, c’est 66 euros par mois, soit moins que le coût d’un pass Navigo ! De plus, une prime n’entre pas dans le calcul de la retraite, contrairement au salaire.

Voilà une manœuvre grossière pour essayer d’affaiblir la mobilisation en cherchant à opposer les personnels entre eux, mais aucun, parmi eux, n’est tombé dans le piège.

Alors qu’il manque partout des médicaux, des paramédicaux, des personnels dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), des agents administratifs, des agents techniques, il n’y a rien, dans le texte, sur l’embauche de personnels, pas plus que sur les conditions de travail des internes, qui seront d’ailleurs en grève illimitée à partir du 10 décembre !

Vous poursuivez sans ciller les fermetures de services, et d’hôpitaux, sous le vocable de « regroupement », malgré l’aggravation des déserts médicaux.

La France dépenserait trop pour la santé, contrairement à ses voisins, dites-vous ! Des économistes de la santé contredisent cette affirmation. Ils nous rappellent que les budgets contraints imposés ces dernières années à l’hôpital font que la part des dépenses de santé dans le PIB est aujourd’hui de 3, 6 %, donc inférieure à la moyenne européenne, qui est de 4, 1 %.

Votre leitmotiv est qu’il n’y a pas d’argent magique et que, par conséquent, vous devez respecter les contraintes budgétaires.

Mais, madame la ministre, faites cesser les exonérations de cotisations sociales et vous aurez de nouvelles recettes, la « modique » somme ainsi récoltée s’élevant à 66, 4 milliards d’euros pour 2020.

Si vous cherchez des cotisants, sachez que nous avons la chance d’avoir, en France, la première fortune du monde, évaluée à 109, 5 milliards d’euros, en la personne de M. Bernard Arnault, patron de LVMH !

Madame la ministre, comment ne pas dénoncer le fait que ces allégements et exonérations dépassent le montant des recettes de la branche famille ?

Comment ne pas dénoncer, une nouvelle fois, le fait que les cotisations sociales ne représentent plus que 50, 7 % des recettes du budget de la sécurité sociale ?

J’ai dit au début de mon propos que votre plan « Investir pour l’hôpital public » était un marché de dupes, mais c’est, de surcroît, le bal des hypocrites ! Si vous renonciez ne serait-ce qu’à un tiers de ces exonérations, vous dégageriez 20 milliards d’euros pour l’hôpital, de quoi répondre à la crise aiguë qu’il connaît aujourd’hui.

Quant à la reprise de 10 milliards d’euros de la dette des hôpitaux, soit un tiers du total sur trois ans – un nouveau projet de loi sera présenté en 2020 pour en déterminer les conditions –, elle ne devra être qu’une première étape, et nous resterons vigilants quant à sa réalité, d’autant que les conditions de la reprise sont bien floues. Qui gagnera, en effet, cette loterie dans laquelle la reprise sera conditionnée à l’adoption de plans de suppressions de postes ?

Quel hôpital aura vos faveurs, alors que six hôpitaux sur dix sont en déficit et qu’un tiers des établissements publics, soit 319 hôpitaux, 19 centres hospitaliers régionaux (CHR) et 300 centres hospitaliers, sont aujourd’hui en situation de surendettement ?

On ne peut tergiverser : il est urgent d’assurer le financement d’investissements en faveur des établissements médico-sociaux et de santé, donc de revenir aux prêts à taux zéro.

Mes chers collègues, le contenu du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 dont nous discutons en nouvelle lecture et les conditions d’examen dans lesquelles nous nous retrouvons ce matin, avec une injonction implicite de légiférer très vite, contreviennent aux principes constitutionnels.

Nous vous invitons donc à adopter notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Après le coup de semonce que nous avons adressé ensemble au Gouvernement, transformons l’essai !

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