Intervention de Yves Daudigny

Réunion du 30 novembre 2019 à 10h30
Financement de la sécurité sociale pour 2020 — Discussion générale

Photo de Yves DaudignyYves Daudigny :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, où en sommes-nous aujourd’hui de la déstructuration de la sécurité sociale ? L’automne 2018 annonçait un hiver 2019-2020 plein d’espoir fondé sur un équilibre retrouvé. Même si l’ombre de Bercy planait sur les excédents à venir, les plus optimistes rêvaient de crédits nouveaux renforçant le plan Ma santé 2022, apportant des remèdes solides à la crise de l’hôpital public, amorçant une grande loi de l’autonomie.

À l’automne 2019, une révolte sociale non maîtrisée, une conjoncture moins favorable qu’envisagé et surtout des choix politiques assumant une vision régressive de la sécurité sociale conduisent à un projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 qui creuse ce que j’appellerai un nouveau « trou politique » de la sécurité sociale, qui abaisse le pouvoir d’achat des familles et d’une partie des retraités, qui ignore, sinon méprise, les forces intermédiaires de la démocratie, syndicales et parlementaires, provoquant dans notre chambre haute un véritable gâchis – l’arrêt de l’examen des articles –, qui amène la présentation lyrique, après l’annonce du Président de la République, d’un plan pour l’hôpital public éloigné des attentes des acteurs des établissements de santé.

J’insisterai sur deux points.

Premièrement, la non-compensation des exonérations de cotisations par le budget de l’État n’est pas un simple acte technique. Comment ne pas voir dans le déficit ainsi créé la justification d’une « maîtrise » brutale, aujourd’hui ou demain, des dépenses de protection sociale ? Comment ne pas voir dans la baisse des recettes, qu’amplifie le transfert du financement de deux agences nationales, le moyen de forcer celle des dépenses ? Plus grave encore est la rupture du contrat social de 1944, qui marque un changement complet de philosophie de la « sécu ». Celle-ci ne doit pas, je l’ai souvent souligné, évoluer vers une institution à l’anglo-saxonne d’assistance aux plus défavorisés. Cela détruirait un pilier de solidarisation de la société et tarirait une source de démocratie sociale.

Deuxièmement, la détermination des collectifs Inter-Blocs, Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, des associations, des organisations syndicales médicales et paramédicales à poursuivre ensemble leur mobilisation ce samedi manifeste la forte déception ressentie le 17 novembre.

En effet, les revalorisations salariales annoncées sont très en deçà des attentes, avec une distribution de primes – surtout franciliennes – sans augmentation du point d’indice, alors que c’était l’une des principales revendications des infirmiers et aides-soignantes, dont les salaires sont parmi les plus bas de l’Union européenne. En outre, il n’y a pas de volonté affirmée de mettre fin aux fermetures de lits. En une vingtaine d’années, 100 000 lits ont été supprimés, au grand dam des urgentistes, qui dénoncent le manque de places pour hospitaliser leurs patients. Il n’y a pas non plus de volonté d’augmenter les effectifs pour faire face à la surcharge de travail, devenue la norme et reconnue au plus haut niveau de l’État. De surcroît, les moyens financiers nouveaux n’ont nullement la dimension historique pourtant affirmée. L’Ondam connaît une hausse cumulée en trompe-l’œil de 1, 5 milliard d’euros sur trois ans. Il passera de 2, 5 % en 2019 à 2, 45 % en 2020 et le sous-objectif « établissements de santé » progressera de 84, 2 milliards d’euros en première lecture à 84, 4 milliards d’euros, ce qui ne permettra d’engager aucun rattrapage des tours de vis donnés depuis tant d’années. Disant cela, j’assume la période 2012-2017, durant laquelle au moins les comptes ont été rétablis. Enfin, l’ampleur du décrochage de la psychiatrie publique est ignorée dans les mesures annoncées. La reprise d’une partie de la dette va dans le bon sens, madame la ministre, mais vous vous arrêtez en chemin et elle ne devra pas s’accompagner de mécanismes d’austérité. Il est urgent de poser la question de la place de l’hôpital, de ses missions, des valeurs et du sens que nous souhaitons voir inspirer notre système public hospitalier quand la médecine connaît des bouleversements majeurs.

Simone Veil s’exprimait en ces termes dans notre hémicycle, le 8 juin 1994 : « Gardons-nous d’oublier notre bien commun qu’est la sécurité sociale ! Gardons-nous de l’appréhender seulement sous l’angle des charges et des déficits ! […] La sécurité sociale, […] c’est d’abord un immense progrès social et le plus puissant facteur de cohésion sociale qui existe en France et que nous avons le devoir de préserver pour les générations futures. »

Pour conclure, je laisse la parole à une infirmière de la région parisienne s’exprimant sur ses conditions de travail : « Ce qu’on nous fait faire est inhumain, et finit par nous rendre inhumains ! »

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