Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 2 décembre 2019 à 10h00
Loi de finances pour 2020 — Investissements d'avenir

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est complexe d’évoquer en cinq minutes les impôts locaux, la taxe d’habitation, la retenue à la source, les crédits d’impôt, l’État actionnaire et les investissements d’avenir ! Je concentrerai donc mon propos sur l’État actionnaire.

Comme cela a été souligné dans de nombreux rapports parlementaires récemment, le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État » témoigne d’un retrait de l’État actionnaire et de la réduction de son portefeuille à un nombre limité d’actifs. Un tel programme de cessions, stratégiques à plusieurs titres, soulève de nombreuses questions et démontre que le Gouvernement considère que l’État est un actionnaire comme un autre et qu’il fait ainsi fi d’un héritage ancien.

Or, comme le soulignait la Cour des comptes en 2017, « l’État n’est pas un actionnaire comme un autre », car ses motifs de politique économique ou sociale ou de souveraineté « dépassent les seules dimensions patrimoniales ». Elle indiquait également que « la multiplicité des objectifs poursuivis, souvent contradictoires, caractérise l’État actionnaire ».

Ces contradictions sont le propre de l’État. Vouloir faire de l’État un opérateur commun, c’est dénaturer sa participation dans l’économie et la financiariser. Pour notre part, nous ne pensons pas que les entreprises publiques doivent être des entreprises comme les autres, car elles sont un levier majeur pour transformer l’économie et répondre aux exigences en matière d’environnement et de justice sociale.

Nous ne sommes pas les seuls à le penser. Dans son rapport pour avis, Alain Chatillon rappelle que le portefeuille de l’État est avant tout un « instrument au service de la politique stratégique de l’État » : « Les mouvements de capitaux, en particulier les cessions, ne sauraient servir simplement de variable d’ajustement à la politique budgétaire conduite par le Gouvernement : la prise en compte d’enjeux industriels, de compétitivité et de souveraineté économique doit toujours primer sur la logique budgétaire. » Nous ne pourrons peser face aux multinationales « qu’à partir d’une politique industrielle française stratégique, dont les participations financières de l’État sont une des déclinaisons ».

Dès lors, la privatisation de la deuxième loterie européenne et quatrième loterie mondiale, d’un groupe qui se porte bien, dont le chiffre d’affaires s’élève à 1, 9 milliard d’euros et la marge opérationnelle à 19 % – ils sont peu nombreux dans ce cas –, est tout à fait incompréhensible.

Parler d’un engouement populaire, c’est aller un peu vite en besogne ! L’argument est fallacieux… Ce sont les plus aisés et les plus diplômés – cadres, professionnels libéraux, indépendants, retraités – qui placeront leur épargne en actions. À cet égard, la privatisation de la Française des jeux (FDJ) ne fait pas exception à la règle. Ce sont les gens modestes et les moins diplômés qui consacrent aux jeux de hasard la part la plus importante de leurs revenus, comme le souligne avec justesse le journaliste Jean-Michel Bezat. Les addictions risquent de croître. Vous le savez pertinemment : augmenter le chiffre d’affaires, c’est aussi augmenter les dépenses des joueurs, donc leur addiction !

Il en va de même de la privatisation d’Aéroport de Paris (ADP), qui reste un actif stratégique, quoi qu’en pense le Gouvernement. Je rappelle que la valorisation boursière de ce groupe a été multipliée par quatre en dix ans, dans un contexte où le transport aérien devrait encore fortement croître au cours des prochaines années. Groupe ADP a versé à l’État un dividende de 132 millions d’euros en 2017.

Quant à l’argument du désendettement avancé ce matin, il ne nous convainc guère, pas plus que celui de la nécessité de mettre en place un Fond pour l’innovation et l’industrie. La Cour des comptes a d’ailleurs largement critiqué cet outil qualifié de tuyauterie budgétaire « inutilement complexe », alors qu’il aurait suffi de financer ce fonds sur une ligne budgétaire dédiée, à hauteur de 250 millions d’euros.

Enfin, nous partageons les conclusions du rapporteur spécial : du fait de la cession massive de ses participations et du recentrage de son portefeuille, l’État actionnaire et stratège devient un État gestionnaire.

Le pire est que le Parlement est dessaisi : il n’intervient pas sur l’évolution de ce portefeuille. Certes, il doit se prononcer sur les privatisations en tant que telles, mais il ne peut pas participer à la définition de la stratégie actionnariale de l’État. De même, il ne peut se prononcer sur les mouvements financiers, en d’autres termes les achats et les ventes de titres.

Comme le soulignait la rapporteure à l’Assemblée nationale, le Parlement n’a aucun pouvoir non plus sur l’affectation des dividendes issus des participations de l’État, parce que ceux-ci sont versés non à l’Agence des participations de l’État, mais directement au budget général.

Bref, vous l’aurez compris, nous voterons contre les crédits du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », qui affiche des recettes de cessions de 11 milliards d’euros, alors même que la privatisation de la FDJ est en cours, que celle d’Engie n’est pas à l’ordre du jour et que celle d’ADP est aujourd’hui suspendue. Nous sommes en effet résolument opposés à ces privatisations et au retrait de l’État de la sphère économique.

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