Intervention de Jean-Marc Todeschini

Réunion du 2 décembre 2019 à 21h45
Loi de finances pour 2020 — Défense

Photo de Jean-Marc TodeschiniJean-Marc Todeschini :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je souhaite à mon tour rendre hommage à tous nos soldats tombés en opération. Engagés pour notre sécurité et notre liberté, volontaires pour toutes les missions au service de la paix, ils font preuve d’un courage remarquable. Nous ne le dirons jamais assez, ils font la fierté des Français et l’honneur de la France.

J’ai, en cet instant, une pensée particulière pour notre collègue et ami, ancien ministre, Jean-Marie Bockel, lui-même membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Nous lui présentons, ainsi qu’à sa femme et à ses proches, nos plus sincères condoléances. Nous pensons à son fils et aux douze camarades de celui-ci, tous disparus au Mali. Nous pensons à eux, et à tous les autres !

Nos soldats sont de grands professionnels, formés au plus haut niveau et parfaitement encadrés. J’ai pu le mesurer dans mes précédentes fonctions, chaque fois que j’ai eu l’honneur de leur rendre visite. J’ai pu observer le travail quotidien d’entraînement, la constance de la pédagogie, la répétition inlassable des techniques, le savoir-faire incroyable dans les déploiements opérationnels, l’évaluation permanente des risques, l’apport décisif de nos renseignements… Toutes ces dispositions conduisent à des décisions d’engagement en conscience.

Je peux en témoigner : tout est mis en œuvre, afin que les femmes et les hommes composant nos armées prennent le moins de risque possible. Tout est mis en œuvre pour qu’ils puissent réaliser leur mission au service de la patrie.

Malheureusement, nous le mesurons comme eux-mêmes, toutes les missions qui leur sont confiées comportent leur part de risques. C’est en conscience que nos militaires s’engagent au péril de leur vie. Telle est la grandeur de leur service. Personne ne peut douter de leurs principes et de leurs valeurs. Nos soldats « serv[ent], sans se servir ni s’asservir », portant le devoir avant tout. Notre tristesse de les voir frappés dans leur chair n’en est que plus grande encore. Je veux adresser mes sincères pensées aux familles et aux proches des récents disparus.

Je pense aussi à nos blessés, dont le courage est quotidien et dont la force mentale est exceptionnelle, quand leurs forces physiques s’amenuisent. Ils se relèvent, appuyés par les personnels du service de santé des armées et de l’Institution nationale des Invalides. Ils se relèvent grâce à la présence, à leurs côtés, de leurs familles et de leurs camarades, qui ne laissent jamais personne derrière eux.

En pensant à nos soldats, nous admirons la solidarité et les liens de fraternité qui les unissent, des liens solides et durables, exemplaires pour l’ensemble de notre société.

La professionnalisation des armées a, de ce point de vue, largement renforcé cette unité en rapprochant encore plus les chefs de leurs troupes. J’ai pu m’en rendre compte à de nombreuses occasions, notamment lorsque j’ai eu à passer les fêtes de fin d’années à leurs côtés, ou au cours de mes échanges avec les différents chefs d’état-major.

Madame la ministre, nous examinons aujourd’hui les crédits de la mission « Défense », dans le cadre du projet de loi de finances pour l’année 2020. Je le dis sans ménager de suspens, mon groupe votera ces crédits, et nous vous aiderons pour qu’ils ne soient pas insincères, à l’inverse de ceux – si j’ai bien compris les propos de M. de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances – qu’a présentés Jean-Yves Le Drian, sous le précédent gouvernement. Votre collègue ministre des affaires étrangères sera heureux de l’apprendre.

Nous saluons l’augmentation des crédits de 1, 6 milliard d’euros, portant le budget à plus de 37 milliards d’euros pour 2020. Cette hausse place l’effort à hauteur de 1, 86 % du PIB, et la trajectoire vers l’objectif de 2 % en 2025 semble respectée, telle qu’elle est précisée par la LPM. En matière de budget pour la défense, nous remarquons que le gouvernement actuel poursuit le travail engagé dès 2012, sous la présidence de François Hollande.

Ce budget comporte de véritables avancées en termes d’équipements, avec les livraisons attendues de 12 000 fusils HK416F, qui complètent le remplacement des Famas, de 128 Griffon, ou encore des hélicoptères NH90, des deux A400M Atlas ou des deux premiers Mirage 2000D rénovés. Entre autres avancées, figurent aussi le plan Famille, avec 80millions d’euros, et les 120 millions d’euros affectés à l’hébergement des militaires et de leurs familles. Nous pouvons aussi saluer le recrutement de 300 ETPT dans le renseignement et la cyberdéfense.

Néanmoins, si nous saluons de manière générale ce budget et si nous voterons en conséquence, nous souhaitons aussi vous faire part de nos nombreuses interrogations.

Pour ce qui concerne le recrutement et la fidélisation des personnels, nous sommes toujours en attente de la présentation d’un véritable plan de recrutement de hauts potentiels pour nos services de renseignement et de cyberdéfense.

De ce point de vue, le volume de recrutement est, à ce stade, la seule approche communiquée. Or nous savons que la qualité du recrutement constitue l’enjeu essentiel. Comment recruter les meilleurs et les fidéliser ? Ce questionnement, qui vaut pour l’ensemble de nos armées, concerne encore plus fortement ces métiers spécifiques, puisque la concurrence avec les géants du secteur privé est directe. Quels sont nos atouts face aux Gafam, face à leurs offres salariales et à leurs opportunités de développement de carrière ? Si nous élargissons le prisme, la question se pose aussi pour nos militaires du rang. Ces dernières années, à côté de l’exercice de leur métier traditionnel, un ensemble de tensions supplémentaires liées aux nombreuses opérations dans lesquelles ils sont engagés, notamment l’opération Sentinelle, est apparu.

Les formes de l’engagement ont changé pour nos jeunes soldats. Comment prendre ce fait en compte ? Quelles sont les perspectives au-delà de l’actuel plan Famille, qui, à bien des égards, est un plan de rattrapage, dans la continuité des rattrapages déjà effectués lors du précédent quinquennat ?

Enfin, madame la ministre, je vous disais nos doutes face à l’avenir incertain qui se présente à nous. Une grande partie de ces doutes semble partagée par de nombreux cadres de nos armées.

À l’heure où nous parlons, plus de 30 000 militaires sont engagés pour la défense de la France : parmi eux, 8 000 sont en OPEX, pour l’essentiel dans la bande sahélo-saharienne et au Levant ; 20 000 sont engagés sur le territoire national, dans le cadre des postures permanentes de sauvegarde maritime ou de sûreté aérienne, dans l’opération Sentinelle, au sein de nos forces de souveraineté dans nos collectivités d’outre-mer ; 3 700 sont prépositionnés comme forces de présence à l’étranger. Comme le dit le général Lecointre : « rapporté à nos effectifs aujourd’hui, ce niveau d’engagement soutenu depuis de nombreuses années est inédit et il ne devrait pas fléchir dans les années à venir ». Nous ne pouvons que partager le constat et les observations du chef d’état-major des armées.

Malheureusement, si ce budget est en augmentation et apparaît comme une réponse à court et peut-être moyen termes, il ne semble pas, ou pas encore, répondre aux enjeux à long terme. Vous paraissez en avoir conscience, madame la ministre, puisque vous avez posé peu ou prou le même constat, lors d’une conférence que vous avez donnée en septembre dernier. Les guerres de demain appellent des décisions aujourd’hui.

Alors, si nous nous inscrivons dans cette logique, les 300 nouveaux emplois dans le domaine de la cyberdéfense apparaissent ainsi bien maigres au regard des défis qui nous attendent ; voyez les déploiements d’autres pays comme la Chine ou la Russie, pour ne citer qu’eux. La compétition est déjà lancée. La France n’est pas complètement sortie du jeu, mais elle connaît des retards significatifs, dans un environnement sécuritaire où ses forces sont fortement mobilisées.

L’équation est certes complexe, mais, nous le savons, ce ne sont pas les effets d’annonce et de communication qui feront que notre pays pourra se défendre face à des attaques hybrides, multiples et parfois insaisissables.

Dans le domaine de la défense spatiale, une réorganisation a été annoncée et fortement commentée. Elle est en cours, mais quid des investissements réels et pérennes dans ce secteur encore largement inexploré ? Voilà un défi redoutable : gérer le quotidien de nos armées tout en les projetant vers l’avenir. L’Europe de la défense semble la seule hypothèse solide et durable, mais, là encore, nous notons des annonces régulières et largement partagées, mais peu d’avancées concrètes.

Nous avons conscience des difficultés de cette équation à plusieurs inconnues, dans un environnement mondial en permanente mutation. Nos concitoyens, et parmi eux nos soldats, attendent aussi des réponses concrètes sur le long terme.

Enfin, en leur nom, je tiens à dire que les sénatrices et sénateurs socialistes soutiendront toujours toute démarche visant à améliorer nos capacités de défense : elles constituent un investissement de la Nation pour assurer la sécurité et la liberté de tous.

Pour autant, cela ne nous empêche pas de constater et de relever tous les effets négatifs d’un mauvais projet de loi de finances pour l’année 2020, qui enrichira encore plus les très riches sans redistribuer réellement à celles et ceux de nos compatriotes qui en ont le plus besoin, dans un climat social terriblement effrayant pour la plupart des Français, qui s’inquiètent, quel que soit leur niveau au sein de notre société, des étudiants aux familles, des salariés aux entrepreneurs, de nos jeunes à nos anciens.

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