Intervention de René-Paul Savary

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 28 novembre 2019 à 8h35
Examen du rapport d'information sur robotisation et emplois de service

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, rapporteur :

Le débat public sur les robots est animé par une grande crainte : ces robots vont-ils rendre l'homme obsolète au travail ? Vont-ils nous dépasser, nous surpasser et au final nous remplacer ?

Les études donnent des indications contradictoires. La fameuse étude Frey-Osborne de 2013, laissait penser que près de la moitié des tâches seraient automatisées et que les emplois correspondants disparaîtraient. Les études plus récentes, notamment les études de l'OCDE de 2019 ou celle, pour la France, du Conseil d'orientation pour l'emploi, retiennent un autre ordre de grandeur : en 15 à 20 ans, seulement 10 % des emplois seraient supprimés du fait de l'automatisation, mais plus de 50 % seraient fortement transformés. Ces projections font naître plusieurs questions : doit-on redouter du chômage technologique ? Ce n'est pas le cas aujourd'hui car le taux d'emploi des 15-64 ans est à un niveau élevé en Europe, aux alentours de 65 %. Dans les pays fortement robotisés, comme la Corée du Sud et le Japon, le taux d'emploi est élevé et le taux de chômage est faible. L'automatisation peut détruire des emplois au plan microéconomique mais avec des compensations au plan macroéconomique résultant de plusieurs mécanismes mis en évidence par les économistes : élargissement des marchés permis par ces technologies, baisse des coûts de production qui libèrent des ressources pour d'autres activités ou encore effet de compétitivité induit sur les acheteurs des produits et services fortement robotisés.

Une autre question, plus délicate à traiter, porte sur la transformation des emplois. Des glissements de tâches massifs sont à prévoir et ils rebattent les cartes : l'automatisation risque de déformer la structure des emplois au détriment des emplois intermédiaires. Certains emplois peu qualifiés ou des emplois très qualifiés peuvent également être menacés, comme par exemple celui de radiologue. Mais nous constatons surtout que ce sont les emplois de « milieu de gamme », qui demandent des compétences longues à apprendre, qui pourraient être les plus impactés : les comptables, les assistants de direction, les secrétaires médicales, pour ne prendre que quelques exemples. La grande crainte est celle d'une aggravation de la dualité du marché du travail, avec d'un côté des emplois à haute qualification et des personnes en situation de plein emploi avec de hautes rémunérations, et de l'autre des emplois généralistes mal payés pour lesquels l'automatisation n'est pas possible techniquement ou trop coûteuse et avec des risques de chômage plus élevés. L'automatisation peut aussi déformer la localisation des emplois en aggravant sa concentration autour des grandes métropoles, seuls espaces à réunir un maximum de compétences de haut niveau.

Le travail de prospective auquel nous nous sommes livrés nous laisse peu de doutes sur quelques tendances lourdes. Les besoins en compétences numériques de haut niveau vont être gigantesques : les emplois dans ce secteur ne représentent que 3 à 5 % de l'emploi total dans les pays développés, mais les ingénieurs, techniciens, les nouveaux métiers comme « data scientist » sont très demandés. On estime qu'il pourrait y avoir une pénurie de 80 000 emplois en France et 900 000 en Europe à l'horizon 2025-2030. L'exigence d'adaptabilité, de mobilité professionnelle va s'accroître pour tous, dans un contexte de complexification du travail. Les compétences cognitives générales vont devoir s'élever. Or, en littératie, numératie et en littératie numérique, les résultats de la France sont plutôt faibles. Ensuite, les compétences sociales et situationnelles vont être davantage valorisées : elles seront indispensables pour accomplir des tâches qui ne peuvent pas être robotisées.

Notre appareil de formation va donc devoir faire face à un gigantesque défi. D'abord celui de faire évoluer la formation initiale, à la fois dans l'enseignement scolaire, en renforçant les compétences de base en littératie, numératie, en littératie numérique, et en développant les compétences sociales et l'intelligence situationnelle, mais aussi dans l'enseignement supérieur en développant l'adaptabilité, en cherchant à « apprendre à apprendre ». Il est probable que les formations techniques très spécialisées ne soient pas une voie d'avenir pour nos jeunes : l'hyperspécialisation peut être un piège redoutable. Or, notre système d'éducation est très rigide et lourd à faire bouger. Un deuxième défi consiste à renforcer l'appareil de formation continue et le centrer davantage sur les personnes dont les métiers sont supprimés ou transformés du fait de l'automatisation, y compris lorsqu'ils sont en milieu de carrière. J'avais moi-même fait un rapport sur l'emploi des seniors, qui montrait qu'on était considéré comme senior dans certaines entreprises dès 45 ans !

Enfin, la transformation apportée par la robotisation doit nous amener à nous interroger sur les nouvelles conditions de travail et les formes que vont prendre la relation de travail. En France, le graal est le contrat à durée indéterminée (CDI). Or, on assiste à une montée en puissance du travail indépendant et du micro-travail autour du numérique, qui peut conduire à une atomisation du travail et la diversification des statuts. Le salariat reste aujourd'hui dominant mais ce ne sera peut-être plus le cas demain.

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