Nos collègues Marie Mercier et René-Paul Savary se sont attelés au sujet passionnant de l'impact sur l'emploi de la robotisation qui se développe dans les services. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, deux auditions ont été organisées en réunion plénière de la délégation : l'une d'Olivier Darrason, plutôt optimiste, qui estimait que l'intelligence artificielle allait certes supprimer des emplois mais aussi en créer d'autres en nombre, l'autre de Laurent Alexandre, plus pessimiste, nous indiquant qu'on allait vers un monde dont on ignore tout mais qui risque fort de confronter la société à des difficultés massives d'adaptation. Laquelle de ces deux visions doit être retenue ?
Nous sommes arrivés au terme de nos travaux consacrés au vaste mouvement de déploiement de machines intelligentes et d'outils d'intelligence artificielle dans le secteur des services et à l'impact sur l'emploi de ce que l'on appelle parfois la « 4ème révolution industrielle ». Le socle de cette révolution est technologique : elle se fonde sur la diffusion rapide du numérique sous toutes ses formes et le développement de l'intelligence artificielle. Les possibilités offertes sont vertigineuses, mais le corolaire est que les problèmes pourraient l'être aussi.
Nous avons tenté dans notre rapport de cerner en quoi consistait cette révolution dans les activités de service. Quelle forme prend aujourd'hui la robotisation et l'automatisation ? En quoi les emplois existants sont-ils menacés ou appelés à évoluer ? Il faut d'abord identifier l'objet dont nous parlons. Les robots existent depuis longtemps dans l'industrie. Ils accomplissent des tâches répétitives avec force et précision, sans état d'âme, sans fatigue. Ils ont largement remplacé les ouvriers dans le travail à la chaîne, ce dont on peut se satisfaire car ce travail à la chaîne est peu épanouissant. Un seul exemple : pour fabriquer des composants électroniques, on ne peut pas se passer de machines.
Simplement, les robots d'aujourd'hui ne sont plus les machines d'hier qui étaient finalement assez simples : mono-tâches et difficilement adaptables. De plus en plus, les robots sont dits « intelligents ». Ils sont capables d'interagir avec leur environnement, de collaborer avec les humains : on parle alors de « cobots ». La révolution à laquelle nous assistons combine plusieurs « briques technologiques » : mécanique, électronique, informatique, intelligence artificielle, réseaux ....
Un point est fondamental : les progrès spectaculaires de l'intelligence artificielle, fondés notamment sur l'analyse de très nombreuses données et les techniques d'apprentissage automatique et d'apprentissage profond (deep learning) par les machines, ont démultiplié les capacités de ces équipements, permettant de développer des fonctionnalités très innovantes comme les robots conversationnels ou « chatbots », que l'on retrouve dans tous les systèmes à commande vocale aujourd'hui.
L'intelligence artificielle permet aussi de considérer comme envisageable de faire circuler des véhicules autonomes : dans les entrepôts d'Amazon, les transpalettes ont été remplacés par des chariots automatisés qui se déplacent tout seuls dans les rayonnages. On voit cela aussi en pharmacie.
Avec l'intelligence artificielle, l'automatisation de tâches complexes est à portée de main, et laisse miroiter l'espoir de gains de productivité incroyables, par exemple pour effectuer une analyse de jurisprudence dans une base de données juridiques.
Ces nouvelles technologies se diffusent dans l'industrie, même si la France accuse un certain retard dans le processus d'installation de robots industriels. Mais le secteur des services est aussi un terrain privilégié de leur déploiement : dans la logistique et les transports, dans la sécurité et la défense, dans les services financiers, dans le soin et la santé, dans l'énergie et l'environnement, mais aussi dans le commerce, le tourisme et les loisirs.
Les robots intelligents prennent de multiples formes : avec une enveloppe physique proche de l'homme, les robots humanoïdes son particulièrement impressionnants : Nao, Pepper, ou encore Atlas, laissent penser que nous pourrons bientôt les regarder agir pour nous à notre place. Les robots du secteur financier qui achètent et vendent des titres automatiquement dans des salles de marché virtuelles n'ont pas d'enveloppe matérielle mais manipulent des sommes colossales et remplacent les traders.
Le débat public sur les robots est animé par une grande crainte : ces robots vont-ils rendre l'homme obsolète au travail ? Vont-ils nous dépasser, nous surpasser et au final nous remplacer ?
Les études donnent des indications contradictoires. La fameuse étude Frey-Osborne de 2013, laissait penser que près de la moitié des tâches seraient automatisées et que les emplois correspondants disparaîtraient. Les études plus récentes, notamment les études de l'OCDE de 2019 ou celle, pour la France, du Conseil d'orientation pour l'emploi, retiennent un autre ordre de grandeur : en 15 à 20 ans, seulement 10 % des emplois seraient supprimés du fait de l'automatisation, mais plus de 50 % seraient fortement transformés. Ces projections font naître plusieurs questions : doit-on redouter du chômage technologique ? Ce n'est pas le cas aujourd'hui car le taux d'emploi des 15-64 ans est à un niveau élevé en Europe, aux alentours de 65 %. Dans les pays fortement robotisés, comme la Corée du Sud et le Japon, le taux d'emploi est élevé et le taux de chômage est faible. L'automatisation peut détruire des emplois au plan microéconomique mais avec des compensations au plan macroéconomique résultant de plusieurs mécanismes mis en évidence par les économistes : élargissement des marchés permis par ces technologies, baisse des coûts de production qui libèrent des ressources pour d'autres activités ou encore effet de compétitivité induit sur les acheteurs des produits et services fortement robotisés.
Une autre question, plus délicate à traiter, porte sur la transformation des emplois. Des glissements de tâches massifs sont à prévoir et ils rebattent les cartes : l'automatisation risque de déformer la structure des emplois au détriment des emplois intermédiaires. Certains emplois peu qualifiés ou des emplois très qualifiés peuvent également être menacés, comme par exemple celui de radiologue. Mais nous constatons surtout que ce sont les emplois de « milieu de gamme », qui demandent des compétences longues à apprendre, qui pourraient être les plus impactés : les comptables, les assistants de direction, les secrétaires médicales, pour ne prendre que quelques exemples. La grande crainte est celle d'une aggravation de la dualité du marché du travail, avec d'un côté des emplois à haute qualification et des personnes en situation de plein emploi avec de hautes rémunérations, et de l'autre des emplois généralistes mal payés pour lesquels l'automatisation n'est pas possible techniquement ou trop coûteuse et avec des risques de chômage plus élevés. L'automatisation peut aussi déformer la localisation des emplois en aggravant sa concentration autour des grandes métropoles, seuls espaces à réunir un maximum de compétences de haut niveau.
Le travail de prospective auquel nous nous sommes livrés nous laisse peu de doutes sur quelques tendances lourdes. Les besoins en compétences numériques de haut niveau vont être gigantesques : les emplois dans ce secteur ne représentent que 3 à 5 % de l'emploi total dans les pays développés, mais les ingénieurs, techniciens, les nouveaux métiers comme « data scientist » sont très demandés. On estime qu'il pourrait y avoir une pénurie de 80 000 emplois en France et 900 000 en Europe à l'horizon 2025-2030. L'exigence d'adaptabilité, de mobilité professionnelle va s'accroître pour tous, dans un contexte de complexification du travail. Les compétences cognitives générales vont devoir s'élever. Or, en littératie, numératie et en littératie numérique, les résultats de la France sont plutôt faibles. Ensuite, les compétences sociales et situationnelles vont être davantage valorisées : elles seront indispensables pour accomplir des tâches qui ne peuvent pas être robotisées.
Notre appareil de formation va donc devoir faire face à un gigantesque défi. D'abord celui de faire évoluer la formation initiale, à la fois dans l'enseignement scolaire, en renforçant les compétences de base en littératie, numératie, en littératie numérique, et en développant les compétences sociales et l'intelligence situationnelle, mais aussi dans l'enseignement supérieur en développant l'adaptabilité, en cherchant à « apprendre à apprendre ». Il est probable que les formations techniques très spécialisées ne soient pas une voie d'avenir pour nos jeunes : l'hyperspécialisation peut être un piège redoutable. Or, notre système d'éducation est très rigide et lourd à faire bouger. Un deuxième défi consiste à renforcer l'appareil de formation continue et le centrer davantage sur les personnes dont les métiers sont supprimés ou transformés du fait de l'automatisation, y compris lorsqu'ils sont en milieu de carrière. J'avais moi-même fait un rapport sur l'emploi des seniors, qui montrait qu'on était considéré comme senior dans certaines entreprises dès 45 ans !
Enfin, la transformation apportée par la robotisation doit nous amener à nous interroger sur les nouvelles conditions de travail et les formes que vont prendre la relation de travail. En France, le graal est le contrat à durée indéterminée (CDI). Or, on assiste à une montée en puissance du travail indépendant et du micro-travail autour du numérique, qui peut conduire à une atomisation du travail et la diversification des statuts. Le salariat reste aujourd'hui dominant mais ce ne sera peut-être plus le cas demain.
Si la robotisation dans les services est d'ores et déjà une réalité et ouvre de nouvelles perspectives pour l'emploi, il convient d'éviter d'avoir une vision déformée par un « déterminisme technologique » qui conduirait à des conclusions radicales et sans nuance. D'abord, nous montrons dans le rapport qu'il existe des limites à la diffusion des machines intelligentes. Une première limite est technologique : l'intelligence artificielle ne se déploie que dans les domaines où l'on est capable de collecter des masses importantes de données. C'est un système que l'homme construit et qu'il alimente en données. Nous préconisons d'ailleurs d'encourager l'accès aux jeux de données publiques et privées pour ne pas brider l'innovation. Notons au passage que toute innovation est une déviance ! Si l'on ne déviait pas, on n'innoverait pas.
On est également dépendants de la couverture numérique du territoire : nous préconisons qu'elle soit la plus complète possible pour éviter une fracture territoriale, en particulier un Internet des objets qui ne fonctionnerait pas partout. Ensuite, l'intelligence artificielle n'est pas comparable à une intelligence humaine générale. Les robots intelligents n'interviennent que dans un champ limité pour lequel ils ont été programmés : ainsi un robot d'accueil est capable de nous faire la conversation, mais n'aura pas le réflexe de nous rattraper si nous trébuchons et tombons de manière inattendue ; il ne saura pas quoi faire. Les robots rencontrent aussi des « bugs ». L'intelligence artificielle n'est pas une intelligence générale. Enfin, elle est très performante pour multiplier les calculs et appliquer des règles, même complexes, elle est en revanche plus en difficulté en matière d'intelligence sociale, c'est-à-dire dans sa capacité à interagir avec autrui.
Une deuxième limite est économique et sociale : la mise au point de robots intelligents est en réalité coûteuse, et passe par une phase d'intégration qui est le maillon essentiel de la chaîne. Le rapport Villani sur l'intelligence artificielle le rappelle utilement : il n'est pas toujours avantageux d'un point de vue économique d'automatiser une tâche. En outre, des résistances sociales peuvent aussi apparaître lors d'un processus d'automatisation de tâche. La réponse n'est pas forcément celle des seuls ingénieurs mais doit passer par de l'accompagnement du changement.
Dans les services, la dynamique d'automatisation est en réalité très hétérogène et dépend de multiples facteurs. L'acceptabilité sociale ou la disponibilité de la main d'oeuvre en sont des paramètres : ainsi, au Japon, la robotisation avance plus vite car la société japonaise est très technophile et car il existe des besoins importants de main d'oeuvre, rare donc chère. Ainsi, pour s'occuper des personnes plus âgées, les robots se diffusent beaucoup plus vite que chez nous.
L'observation fine des activités de service touchées par la robotisation montre que ce mouvement déplace des tâches et permet d'enrichir le panel offert aux usagers ou clients. Dans les EHPAD, des robots-compagnons contribuent à animer des ateliers d'activités ou de mémoire. Ils ne font pas disparaître les emplois d'animateurs mais leur donnent un outil supplémentaire pour améliorer le service rendu. Dans le commerce, la robotisation réduit les tâches physiques mais transforme aussi les vendeurs en conseillers apportant un service personnalisé, tandis que la relation commerciale de base, peu complexe, est automatisée. Dans la sécurité, des robots assurent des tâches répétitives de contrôle, y compris désormais de reconnaissance faciale, mais la présence de personnes physiques assure un filet de sécurité et un deuxième niveau de contrôle, plus fin. On s'est même interrogé sur la robotisation de l'enseignement : il existe désormais des exercices pouvant être faits en ligne comme des cours en ligne : les fameux MOOC. Pour autant, l'enseignant n'est pas menacé dans son existence même car il reste irremplaçable pour réaliser l'analyse personnalisée de la situation des élèves, pour apporter un conseil adapté à chacun. Au final, l'avenir n'est pas écrit et la mise en oeuvre pratique des innovations passera beaucoup par l'expérimentation, les tâtonnements, avec très probablement des impacts sectoriels sur l'emploi, sur l'organisation du travail et sur les conditions de travail, qui seront très variés. Lorsque l'on pilote des politiques publiques, on ne peut pas se satisfaire de ce grand flou : dans notre rapport, nous avons donc poussé plus loin pour identifier quelles étaient les conditions d'une « robotisation heureuse ».
Gardons-nous d'imaginer que l'on pourra bloquer ou interdire le progrès technique. Il convient donc de rechercher une adaptation au nouveau contexte technologique. L'adaptation passe avant tout par la formation : quatre de nos dix propositions ont trait à cette problématique. La réussite sur ce volet est indispensable, afin d'assurer une large employabilité. L'illectronisme touche 20 % de la population et constitue un obstacle à l'employabilité, comme l'illettrisme, qui toucherait 7 % de la population. Les interfaces sont de plus en plus intuitives mais cela ne suffit pas. En outre, la montée en compétences numériques est indispensable pour qu'une part de la population sous-qualifiée ne soit pas empêchée de travailler avec des machines.
La deuxième direction consiste à réguler l'automatisation. Nous n'avons pas choisi de recommander une régulation par la fiscalité, à travers la taxation des robots, pour laquelle il existe des arguments pour et des contre-arguments puissants.
Il y a beaucoup d'arguments contre la taxation des robots. Le risque est de voir partir les entreprises innovantes à l'étranger.
Aucun pays n'a mis en place de véritable taxation des robots aujourd'hui. C'est une piste que nous ne retenons pas. En revanche, nous préconisons une régulation sociale : l'utilisation des robots devrait être incluse dans les négociations sociales obligatoires car l'automatisation impacte fortement les conditions de travail et peut conduire à des transformations d'emploi très importantes. L'automatisation ne doit pas être considérée uniquement comme un choix technique mais doit faire l'objet d'une discussion au sein des entreprises, des organisations, pour bien cerner les conditions de faisabilité des changements. Dans les emplois de soin ou d'aide à la personne, l'introduction d'un robot peut complètement changer la nature du travail, ce qui nécessite un accompagnement fort du changement.
La robotisation appelle aussi une régulation éthique : il ne serait pas acceptable que les robots dégradent les conditions de travail, ou entraînent de véritables régressions, notamment en matière de droits humains ou de respect de la dignité de la personne humaine. L'automatisation ne doit pas servir à reproduire des biais comme les discriminations liées à l'âge, aux origines ou au genre. L'automatisation ne doit pas non plus être un outil de manipulation, ni constituer un nouvel esclavage : les hommes doivent toujours rester maîtres des machines et non l'inverse. Les lois d'Asimov écrites il y a près de 80 ans sont encore valables : un robot ne doit pas être sans maître. Il doit rester contrôlable et ne pas mettre l'homme en danger. Mais on doit affiner ces lois d'Asimov en prenant en compte des paramètres supplémentaires.
Notre rapport n'épuise pas le sujet. Il nous appelle à regarder le mouvement actuel de robotisation comme une opportunité pour améliorer les services rendus dans toute une série de secteurs : sécurité, transports, enseignement, soin et santé, commerce. Mais il faudra traiter en même temps les côtés négatifs : déqualification de nombreuses personnes, lutte contre la dégradation possible des conditions de travail, tentation de déshumanisation des processus de travail ou des services rendus par des automates. Il convient aussi de ne pas laisser des territoires entiers en dehors des infrastructures nécessaires au progrès technique, notamment sans réseau à haut débit. En robotisation, on est encore loin des multitâches. Au mieux, on est dans le polyautomate. Même la voiture autonome n'est pas encore une réalité. La robotisation peut améliorer les procédés et augmenter la productivité. Elle conduit surtout à transformer l'emploi, davantage que le détruire.
Ne craignons pas d'être remplacés par des robots dans l'hémicycle ! Je me réjouis aussi qu'Asimov soit encore d'actualité.
La robotisation a beaucoup progressé en Bretagne dans l'agroalimentaire : il y a dix ans, sur une chaîne agroalimentaire, on comptait trente salariés. Désormais, une seule personne contrôle les machines depuis une cabine. L'ensemble de la chaîne est automatisée jusqu'à la mise en caisse et le chargement dans le camion. On ne peut pas empêcher le phénomène. On doit chercher à faire que ces avancées techniques permettent de vivre mieux. Mais n'évacuons pas le débat de la taxation. S'il n'y a plus de cotisations, comment financerons-nous la sécurité sociale ? Les robots détruisent des emplois dans les services, notamment dans les banques. Nous ne pouvons pas empêcher l'utilisation de robots mais il convient qu'ils participent au financement de la protection sociale.
Quel rôle les robots jouent-ils dans la communication et dans le contrôle de l'information ? Les robots trient-ils les informations que nous recevons ?
Beaucoup d'emplois aujourd'hui sont non pourvus. Les robots peuvent-ils remédier à ce problème ? Une limite à la robotisation ne réside-t-elle pas dans l'empreinte carbone énorme constatée aujourd'hui au titre des données ? Concernant les véhicules autonomes, n'y a-t-il pas un problème de cohabitation avec un environnement ouvert et des véhicules non autonomes ? Le nid de poule ou les conducteurs « classiques » mettent en échec le véhicule autonome.
Le rappel des romans d'Asimov est bienvenu. De tout temps, des innovations ont transformé l'emploi : à Lyon, le métier à tisser a été remplacé mais l'emploi existe encore. Les véhicules autonomes constituent un progrès, même s'il faut un encadrement. Contrairement à mon collègue Jean-Luc Fichet, j'estime que la taxation des robots serait une erreur fondamentale et nuirait à notre compétitivité. Nous devons faire face à la mutation des techniques et aux conséquences sur l'emploi, sans oublier les enjeux sociétaux.
Les rapporteurs sont prudents dans leurs conclusions. Nous avons tous déjà remis notre vie dans les mains d'un robot, par exemple en prenant un avion sous pilotage automatique. La robotisation donne de la liberté, par exemple en nous affranchissant de l'obligation de conduire un véhicule, mais l'utilisation de ces technologies repose sur la confiance. Il en est allé de même avec les distributeurs de billets : on leur fait confiance car ils ne font pas d'erreur. Les robots vont se développer massivement. Sur le plateau de Saclay, on étudie aussi les commandes d'un robot par le cerveau. Il sera nécessaire d'envisager une régulation de la robotisation.
Les techniques évoluent incroyablement vite. En Israël, une ville a entièrement automatisé la circulation et ce modèle est appelé à prospérer. Prenons conscience d'un risque fort : que les pays les plus robotisés détruisent nos emplois « non robotisés », grâce à leur avance technologique.
L'automatisation vient de loin : la première révolution a été la carte perforée. Puis sont venus Taylor et Ford, dont les méthodes ont été importées en France par Citroën. Dans les années 1980, on a arrêté le travail à la chaîne dans l'industrie et sont arrivées les premières machines assistées qui ont permis de régler la question de la pénibilité sur les chaînes industrielles.
Dans mon département, un centre de l'Association France handicap (APF) qui accueille des handicapés lourds a investi dans des automates et des solutions de domotique. Cela n'a pas supprimé d'emplois, mais cela a amélioré le service rendu, par exemple pour ouvrir les fenêtres automatiquement. La robotisation pourrait au passage faire revenir des activités qui ont quitté le territoire pour des raisons de coût de la main d'oeuvre. En automatisant on redevient compétitifs, par exemple dans le textile.
On sait que les reconversions sont difficiles, car un ouvrier spécialisé ne se transforme pas en ingénieur mais l'adaptabilité est indispensable et passe par de la formation. Je me souviens toutefois qu'il y a 40 ans, on disait déjà aux jeunes qu'ils devraient changer deux ou trois fois de métier dans leur parcours professionnel. Donc l'exigence d'adaptabilité n'est pas très nouvelle.
L'opacité des algorithmes est un point d'inquiétude : un homme est capable d'expliquer ses décisions, parfois ses erreurs. Que sait-on de la manière dont raisonne un algorithme ? Peu de choses. Je préfère avoir à discuter avec un homme plutôt que dépendre d'un algorithme que personne n'est capable d'expliquer.
La robotisation est peut-être un mouvement inéluctable mais ne doit pas nous faire perdre de vue que, dans toutes les activités, il convient de ne jamais gommer la dimension humaine.
Ce ne sont pas les pays les plus robotisés qui ont le plus de chômage. L'intelligence des machines n'est pas une intelligence sociale : elle repose juste sur la capacité à stocker et traiter vite des quantités énormes d'informations. Les robots ont une grande force également : ils ne se trompent pas ...
La technologie influe sur les habitudes : les enfants appréhendent les objets à travers la préhension par la pince formée par leurs doigts. Aujourd'hui, pour lire un livre, ils font le geste permettant de grossir les images sur des tablettes. Le numérique va-t-il générer de nouvelles pathologies ? Je note aussi qu'aucune technologie n'est neutre car elle porte en elle une vision du monde.
Les robots n'ont pas toutes les capacités : ils peuvent difficilement débarrasser une table car c'est une tâche complexe. Ils ne peuvent donc venir qu'en complémentarité. Les robots ont tout de même l'avantage d'introduire une certaine neutralité, une certaine standardisation : dans les banques, l'évaluation de la solvabilité d'un client par un robot ôte tout jugement de valeur et les clients peuvent préférer une telle approche plutôt qu'un traitement par une personne physique. Un robot ne juge pas une personne, il applique juste une règle. Cependant, j'estime que si le robot peut se voir déléguer des tâches, la machine ne doit pas au final être le maître des décisions.
Notre travail s'est focalisé sur les emplois de service qui connaissent une « révolution tranquille », sous forme d'amélioration permanente. Les algorithmes sont très performants car ils trouvent même ce que l'on ne cherche pas, par exemple en matière médicale. C'est là que l'homme doit intervenir pour faire le tri entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Je mets aussi en garde contre une confiance excessive faite aux machines : ne suivons pas notre GPS lorsque, faute de mise à jour, il fait traverser tout droit un rond-point neuf à un camion. L'intelligence artificielle peut-être un faux ami : la fonction anti-décrochage du Boeing 737 MAX a provoqué des crashs, alors qu'un pilotage manuel aurait évité la catastrophe. Prendre en compte l'environnement de la technique est nécessaire car le robot n'a pas l'intelligence de l'homme pour s'adapter à son environnement.
Nous demanderons un débat en séance sur ce rapport, qui ne donne de perspectives ni trop dures ni trop optimistes en matière d'emploi.
La délégation autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information sous le titre « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service ».
La réunion est close à 9 h 40.