Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, Jean-Louis Borloo avait intitulé son rapport : Vivre ensemble pour une réconciliation nationale. Il voyait le danger de la montée, parfois violente, des revendications sociales et des expressions identitaires. Il écrivait : « Si on ajoute les territoires ruraux délaissés et certaines villes ou bassins en grave déprise, ce sont plus de 10 millions de compatriotes qui sont éloignés du moteur de la réussite. » Il ajoutait plus loin : « À défaut, fermenteront loin des yeux le recroquevillement identitaire et le repli communautaire, si trop de nos concitoyens ont le sentiment de ne pas participer au rêve républicain. »
Cela m’a fait penser, monsieur le ministre, à une autre phrase. Au XVIIe siècle, Miron, conseiller du roi, mettait Henri IV en garde en ces termes : « Il est dangereux dans une cité d’avoir les maigres et les pauvres d’un côté, les riches et les dodus de l’autre. Cela se pourrait, Sire, que des balles vinssent ricocher sur votre couronne. » Aujourd’hui, même si ce ne sont pas des balles, nous avons des émeutes et on peut craindre l’explosion. Je crois qu’il faut que vous soyez vraiment attentif à la situation de nombre de nos quartiers.
Selon moi, le budget que nous examinons n’est pas à la hauteur de cet enjeu. Naturellement, il y a dans cette enveloppe budgétaire, largement reconduite, des motifs de satisfaction, comme le bon déploiement des postes du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) ou la poursuite du développement des écoles de la deuxième chance, mais j’ai deux sujets d’inquiétude au regard de ce que nous vivons dans les quartiers : le sort de l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca) et celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
Je souhaite tout d’abord vous sensibiliser aux conséquences de l’absorption de l’Épareca par l’ANCT à partir du 1er janvier. Vous nous dites, monsieur le ministre, que c’est l’Épareca qui insufflera à la nouvelle agence sa culture du terrain, de projet et du monde économique – je voudrais y croire…
Le problème, c’est qu’on a amputé l’Épareca d’une de ses deux jambes, les professionnels du commerce, qui ne seront pas représentés au conseil d’administration de l’ANCT. À ma connaissance, aucune procédure n’est prévue pour les inclure dans le processus de décision. Or je peux témoigner en tant qu’ancienne présidente de l’Épareca, mais aussi avec toute mon expérience des quartiers, que ces professionnels ont toujours été précieux et participaient étroitement aux décisions pour sélectionner les projets les plus pertinents. Si nous ne remédions pas à cette difficulté, nous aurons cassé un outil qui fonctionnait bien et ce seront les maires qui se retrouveront en première ligne sans aucun appui.
Je souhaite ensuite aborder la situation de l’ANRU. En juillet 2018, le Président de la République a réaffirmé l’engagement de l’État d’apporter un milliard d’euros dans le cadre du doublement du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Il a aussi promis 200 millions d’euros durant son quinquennat. L’ANRU s’est remise à travailler : sur les 450 quartiers concernés, 329 ont vu leurs projets validés. Je reconnais volontiers le travail qui a été accompli pour rattraper le temps perdu. Cependant, très peu de choses auront été concrètement faites dans les quartiers pendant ce mandat municipal, alors que la situation est très préoccupante, je le disais.
Dans ce contexte, je trouve grave que l’État ne respecte pas son engagement de financement de l’ANRU. Cette année, l’État aurait dû inscrire 35 millions d’euros ; seuls 25 millions sont au rendez-vous. À ce rythme, deux quinquennats seront nécessaires pour tenir la promesse initiale ! Au contraire, l’État devrait être moteur et engager les programmes par avance pour rénover écoles et collèges, par exemple.
Sous le bénéfice de ces observations, la majorité de la commission des affaires économiques a décidé de donner un avis favorable au vote des crédits de la politique de la ville.