Intervention de Alain Houpert

Réunion du 3 décembre 2019 à 14h30
Loi de finances pour 2020 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Alain HoupertAlain Houpert :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « on a trouvé, en bonne politique, le secret de faire mourir de faim ceux qui, en cultivant la terre, font vivre les autres. » Cette phrase est de Voltaire, mais elle est toujours tristement d’actualité.

Le nerf de la guerre, on le sait, c’est l’argent. C’est aussi le nerf de la terre ! De ce point de vue, force est de constater que ce budget manque singulièrement de nerf.

Si 2019 nous avait déjà confirmé que ce quinquennat ne serait pas celui d’un nouvel élan de la politique agricole française, 2020 trace le sillon d’une réduction programmée des soutiens dont notre agriculture a terriblement besoin. Jugez-en : par rapport à la loi de programmation pluriannuelle, il manque 58, 4 millions d’euros d’autorisations d’engagement et plus de 125 millions d’euros de crédits de paiement. Les crédits consacrés aux aides aux exploitations augmentent de 0, 4 % – autrement dit, ils baissent en valeur réelle. Ces évolutions sont en pleine contradiction avec les positions que vous dites défendre dans le cadre de la nouvelle PAC, monsieur le ministre.

Les autorisations d’engagement sont, il est vrai, plus dynamiques. Je devrais m’en réjouir. Il n’en est rien. En effet, j’y vois plutôt l’effet des difficultés chroniques de gestion de nos enveloppes agricoles : certaines lignes sont sous-programmées, d’autres sont surexécutées, le tout sur fond de corrections financières.

Ces dernières années, alors qu’ils étaient frappés de plein fouet par des crises sans précédent, nos agriculteurs ont encore dû faire face aux ruptures de paiement des subventions. Monsieur le ministre, vous nous indiquez que, pour les dernières campagnes agricoles, le calendrier est revenu à la normale. Qu’en est-il des aides relevant des campagnes du début de la programmation ?

Des retards sur les grandes priorités de la transition agroécologique semblent demeurer. Les aides correspondantes nous vaudront-elles de nouveau des centaines de millions d’euros de corrections financières ?

Le Gouvernement se vante de nous présenter des budgets plus sincères, ce qui est bien le moins que l’on puisse demander. Mais, à la lecture de ce budget, je me demande si le mot « sincérité » est bien celui qui convient. En effet, que propose ce budget ?

Il propose de laisser enfler la dette de l’État envers la mutualité sociale agricole.

Il propose de compter sur la trésorerie du Fonds national de gestion des risques en agriculture pour financer des indemnisations réglées avec retard – voire rejetées, dans 20 % des cas.

Il propose de ponctionner la dotation pour dépenses imprévues, afin de financer des dépenses parfaitement prévisibles.

Il propose de retarder la compensation pour les exploitants exclus du nouveau zonage de l’ICHN.

Il oublie de provisionner les effets du Brexit pour nos pêcheurs.

Enfin, il ne prévoit qu’une partie des compensations du dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi).

Et je n’oublie pas, monsieur le ministre, le risque de voir ce budget encore toisé pour récupérer les 45 millions d’euros dont vous vouliez amputer les moyens d’action des chambres d’agriculture.

Nous avons compris que vous subissiez le pilotage de Bercy. En tant que sénateur de la Côte-d’Or et des grands crus de Bourgogne, je ne peux manquer de rappeler que le quartier de Bercy était autrefois celui des marchands de vins. Voir le vin se changer en fonctionnaires chargés des finances n’annonçait rien de bon pour notre agriculture… Le passé récent est venu confirmer cette crainte.

Toutes les initiatives du Sénat pour aider nos agriculteurs à relever les défis permanents auxquels ils se trouvent confrontés ont été systématiquement censurées par des avis défavorables prononcés en première partie de ce projet de loi de finances par les gens de Bercy. Cela traduit une insouciance coupable et, j’ose le dire, le mépris dans lequel est tenue une activité économique, sociétale, environnementale de première importance pour notre pays, pour ses territoires, pour notre prospérité et pour la capacité de la France à diffuser les fruits de son excellence agricole au service de ceux qui ont faim dans le monde.

Les orientations données à la politique commerciale extérieure traduisent le même mépris : CETA et, demain, Mercosur ! Combien seront les éleveurs sacrifiés sur l’autel d’intérêts plus puissants ? Nous perdons de la production agricole, notre balance commerciale agroalimentaire se détériore avec une rapidité et une ampleur alarmantes, et nous regardons ailleurs.

Le budget alloué à notre agriculture est non seulement un mépris du présent, mais aussi une insulte à l’avenir. Il ne permettra pas aux agriculteurs de muscler les infrastructures nécessaires à l’adaptation aux changements climatiques.

Nos campagnes se vident de leurs agriculteurs, on déplore un taux de suicide alarmant dans cette profession. L’emploi agricole baisse, les exploitations disparaissent, le pouvoir d’achat de ceux qui se tuent littéralement au travail est critique. Or rien de significatif n’est fait pour soutenir l’installation. Les crédits de la dotation aux jeunes agriculteurs augmentent, mais moins que ne recule le soutien fiscal.

La presse s’est largement fait l’écho de l’émotion ressentie par notre Président de la République devant le film Les Misérables, qui évoque les quartiers difficiles. J’aurais aimé savoir ce qu’il a pensé du film Au nom de la terre, qui retrace l’histoire tragique d’un agriculteur. Je crains que ce budget ne permette d’en avoir déjà une vision assez claire…

J’en finirai avec quelques mots sur le Casdar, pour vous rappeler ce que nous vous avons déjà indiqué.

Nous souhaitons ici que la recherche soit pleinement intégrée à notre politique agricole. Nous sommes inquiets de voir le compte d’affectation spéciale accumuler des moyens qu’il n’est pas en mesure de dépenser selon les critères admis d’évaluation scientifique. Nous pressentons que, bientôt, le produit de la taxe sur le chiffre d’affaires des exploitations, qui doit alimenter l’innovation agricole, sera détourné de son objet pour des usages sans aucun lien avec l’agriculture.

Pour cet ensemble de raisons, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, de ne pas adopter les crédits de la mission, mais elle donne, malgré ses inquiétudes, un avis favorable à l’adoption des crédits du Casdar.

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