Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun le constate, le monde agricole exprime en cette période, comme peut-être jamais, un profond mal-être et, pour le moins, un profond malaise. Il a été et est encore déstabilisé par des crises à répétition – sanitaires, climatiques, industrielles et économiques. Dans le même temps, il éprouve le sentiment d’une incompréhension de la société à son égard, d’une remise en cause, par celle-ci, du modèle agricole dans son ensemble, quand lui-même considère avoir considérablement évolué dans ses pratiques et s’être efforcé de les améliorer dans le sens des attentes sociétales. Il en résulte chez les agriculteurs un sentiment d’injustice et même d’atteinte à leur dignité. La difficulté, qui n’est pas simple à résoudre, consiste à trouver les moyens de rétablir le dialogue entre la société et ses agriculteurs.
Dans le même temps, ce monde agricole est anxieux devant les perspectives d’une PAC qui serait moins commune, qui deviendrait plus nationale et qui délaisserait l’ambition agricole de l’Europe. Il a d’ailleurs mal vécu les retards de paiement des subventions et les difficultés rencontrées pour exécuter les enveloppes européennes. Il ne se sent pas assez soutenu dans ses transformations pour produire mieux.
En bref, il était en droit d’attendre, surtout après les États généraux de l’alimentation, la politique du nouveau monde qu’on lui laissait alors entrevoir. Or votre projet de budget pour 2020, monsieur le ministre, ne peut que décevoir les attentes, car il accompagne mal le présent des agriculteurs et ne prépare pas l’avenir.
Notre base de production agricole se défait inexorablement : diminution constante du nombre d’agriculteurs, difficultés d’assurer la transmission des exploitations, baisse des volumes de production, dégradation de notre solde extérieur. Les interventions baissent en valeur réelle. Les soutiens à la modernisation des exploitations ne bénéficient qu’à une partie minoritaire des exploitants. Les moyens de compensation des handicaps naturels ne sont pas revalorisés. Les aides aux producteurs bio ne le sont pas davantage et, comptant sur les consommateurs pour financer une agriculture biologique que le Président de la République souhaite voir occuper 15 % de notre surface agricole, vous avez renoncé à accorder de nouvelles aides au maintien. Dans ce contexte, le ministère de l’environnement et les agences de l’eau vont devenir les premiers cofinanceurs nationaux de l’agriculture biologique.
Je relève encore que la situation des aides correspondant aux priorités du programme national de développement rural devient particulièrement critique, puisque, selon leur localisation, des agriculteurs confrontés aux mêmes charges vont se trouver plus ou moins accompagnés.
On peut avoir des débats sur la contribution de la montée en gamme de l’agriculture française comme une issue possible à la crise des productions, mais, lorsqu’on engage l’agriculture dans cette voie, il faut lui en assurer les moyens. À cet égard, la volte-face sur les financements de l’INAO a été désolante, et l’empressement du ministère des finances à réduire la subvention versée pour compenser le maintien des droits INAO serait dérisoire si l’on ne savait combien cet établissement devrait faire davantage encore pour assurer l’intégrité des signes de qualité, d’ailleurs promus comme les instruments préférentiels de la reconquête de nos parts de marché. Permettez-moi de m’interroger, quitte à devancer quelque peu la publication de notre analyse sur la politique de développement du bio, sur les capacités de l’INAO à suivre les conditions dans lesquelles les exploitants se trouvent certifiés par des entreprises privées auxquelles est déléguée cette mission.
Parmi les volte-face que nous a réservées l’examen du budget, l’affaire du prélèvement sur les chambres d’agriculture n’a pas été la moindre. Cette question paraît désormais derrière nous, à moins que Bercy n’y revienne.
Cependant, le Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui s’est trouvé concerné lui aussi par la suppression envisagée de l’affectation d’une part de la taxe additionnelle au foncier non bâti, est également touché par la réduction de 1 million d’euros de sa subvention pour charges de service public. Cette disposition est inenvisageable au moment même où cet organisme, qui représente 75 % de la surface forestière française, doit, d’une part, se restructurer afin de s’adapter à une situation évolutive et, d’autre part, de plus en plus apporter des réponses techniques aux propriétaires à un moment où la situation sanitaire de nos forêts tend à se dégrader particulièrement – je pense notamment à l’infestation des scolytes. Or la marge de manœuvre du CNPF est inexistante.
En fait, toute notre filière forestière subit une crise. Une modernisation de l’aval s’impose également si l’on veut qu’il soit à même de mieux valoriser la ressource. Des financements ont été annoncés, mais sans aucune visibilité, dans le cadre du grand plan d’investissement. Où en sommes-nous ?
Par ailleurs, vous avez été destinataire d’un rapport tendant à vouloir filialiser la partie commerciale de l’activité de l’ONF. À titre personnel, j’exprime de sérieuses réserves sur cette éventualité. Quelles sont vos intentions ?
Dans un autre domaine, votre gestion des emplois paraît déconcertante. Vous nous dites recruter plus de 300 ETPT pour accompagner les contrôles aux frontières post-Brexit. Mais il semble en l’état que les effectifs actuellement mobilisés par le service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières, afin d’assurer les contrôles sanitaires à l’importation, sont de 97 postes.
Dans l’hypothèse de l’augmentation projetée, cela représenterait une croissance considérable. Je ne sais qu’en penser, mais je relève qu’une partie des nouveaux emplois serait destinée en fait à établir des certificats d’exportation. Il n’y aurait donc pas 300 emplois de plus pour les flux d’importations. À ce sujet, d’ailleurs, d’aucuns disent qu’il en faudrait bien davantage afin de garantir la conformité des importations aux normes appliquées à nos propres productions. Nous souhaiterions entendre votre réponse.
Ce qui est acquis, c’est que la politique de sécurité sanitaire, malgré la montée de périls sanitaires déjà considérables, malgré les trous dans la raquette constatés par un rapport du Sénat, ne se verra dotée d’aucun poste supplémentaire.
De même, vous allez rendre 130 emplois au titre du programme 215, alors que les engagements de crédits nécessaires pour achever la programmation actuelle de la PAC sont encore fort élevés et que les paiements sont loin d’être achevés. Cela ne sera pas, il faut le craindre, de nature à fluidifier le traitement des dossiers par l’administration.
Ce budget, que l’on peut qualifier sans conteste de reconduction ou de prolongement du précédent, ne traduit pas de projet politique digne des enjeux. Dans ces conditions, vous n’avez pas été surpris, monsieur le ministre, du vote négatif émis très majoritairement par la commission des finances du Sénat lors de l’examen de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». Ce vote, en l’absence de modifications substantielles, devrait en toute hypothèse être réitéré aujourd’hui.