Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 3 décembre 2019 à 21h30

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Il y a deux ans, monsieur le ministre, votre prédécesseur nous disait que le budget pour 2018 était la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française », et vous nous avez dit, l’an dernier, que le budget pour 2019 s’inscrivait dans la continuité du précédent.

Au sein de ces deux budgets, nous n’avions pu trouver aucune nouveauté répondant aux grands enjeux que doit relever l’agriculture française, et nous nous étions abstenus, considérant que l’essentiel restait à faire.

Dans notre démocratie, l’acte politique majeur est le vote du budget, et c’est à l’aune des difficultés et des grands enjeux de transformation auxquels l’agriculture de notre pays est confrontée que le budget présenté aujourd’hui par le Gouvernement doit être apprécié.

Le revenu des agriculteurs, l’accompagnement de la transformation agroécologique des exploitations, la compétitivité des filières, la gestion des risques, le budget et la gouvernance de la future PAC, la stratégie politique en faveur de la forêt et de la filière bois, l’anticipation des conséquences du Brexit pour la pêche : voilà les sujets sur lesquels notre appréciation doit porter.

Pour ce qui est du revenu agricole, l’évaluation des premiers effets de la loi Égalim par nos collègues rapporteurs fait apparaître, à mi-parcours de l’expérimentation et du point de vue des producteurs, une inefficacité totale.

À l’époque, tout en partageant avec le Gouvernement les objectifs du projet de loi Égalim, qui faisait suite aux États généraux de l’alimentation, nous étions sceptiques sur la réalité de ses effets pour les producteurs – je l’avais dit ici même, à cette tribune, au nom de mon groupe. Vous faites aujourd’hui le même constat d’échec ; or on ne peut pas en rester là : il y va de nos producteurs !

La commission des affaires économiques du Sénat a pris ses responsabilités et va présenter un texte dont l’ambition sera de corriger certains dispositifs de la loi Égalim. Nous serons signataires de cette proposition de loi ; j’espère, monsieur le ministre, que vous ferez en sorte qu’elle puisse être examinée par l’Assemblée nationale. Certes, elle ne réglera pas tout, mais elle permettra de faire un pas dans la bonne direction.

En revanche, nous n’avons rien trouvé, dans les missions du présent budget, qui pourrait améliorer la situation actuelle des agriculteurs en difficulté.

Il y a trois ans, avec Henri Cabanel et vous-même, monsieur le ministre, nous avions ensemble fait voter à l’unanimité du Sénat un texte relatif au développement des outils de gestion des risques en agriculture. Nous proposions même la mise en place, dans le cadre des règlements européens, d’un fonds de stabilisation du revenu agricole. Ce texte n’a pas alors été repris par l’Assemblée nationale, mais il pourrait certainement l’être aujourd’hui, sur votre initiative. Entre-temps, le règlement européen Omnibus a été adopté ; il assouplit les mécanismes de gestion de ces fonds de mutualisation des risques et d’éligibilité à ceux-ci.

L’État est bien entendu partie prenante à ces financements, mais rien dans le budget ne semble avoir été prévu pour déployer ces dispositifs, ce que confirme la stagnation des crédits de l’action Gestion des crises et des aléas de la production agricole, qui restent à leur niveau de 2019, à savoir 5, 37 millions d’euros.

La gestion mutualisée des risques se réalise aussi au travers des coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). Nous pensons que ce mouvement, qui a fait ses preuves, doit être conforté. Nous présenterons un amendement visant à augmenter les aides aux CUMA de 1, 4 million d’euros.

En matière viticole, je peux vous dire, pour avoir rencontré leurs représentants il y a quelques jours, que les filières sont extrêmement inquiètes des déséquilibres qui apparaissent sur certains marchés et des conséquences de la surtaxation par les États-Unis de nos produits d’exportation. Ces exportations, qui font notre fierté, représentent une part importante de notre commerce extérieur agricole. Qu’est-il prévu dans le présent projet de budget, monsieur le ministre, pour atténuer ou compenser ces taxations abusives et aider les filières viticoles par exemple ?

Dans ce contexte, l’affaiblissement et la mise en extinction de l’exonération de cotisations dont bénéficient les employeurs agricoles employant des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi, ou TO-DE, va occasionner des difficultés supplémentaires pour la viticulture et la filière fruits et légumes notamment. Elles n’avaient pas besoin de cela ! Vous envoyez là un signe contredisant l’intention initiale de redonner du revenu aux producteurs.

Maintenir ce dispositif est indispensable, quand bien même des allégements de charges s’y ajoutent. Je regrette que l’amendement de préservation intégrale du dispositif que nous avions présenté lors de l’examen du PLFSS n’ait pas été adopté. La compétitivité des filières concernées ne s’en serait que mieux portée, dans ce contexte de guerre économico-diplomatique, auquel s’ajoute en permanence une compétition sur les coûts de production. La transition agroécologique vers des produits de qualité à prix abordables en serait aussi facilitée.

Nous savons tous ici que la fin de l’utilisation du glyphosate et la création de zones de non-traitement vont se traduire par des surcoûts de production de l’ordre de 50 à 150 euros, voire plus, par hectare, engendrés notamment par le recours nécessaire à un surcroît de main-d’œuvre et de mécanisation. Votre projet de budget, monsieur le ministre, n’anticipe pas la transition des exploitations vers la fin progressive de l’utilisation du glyphosate. Par conséquent, nous proposerons un amendement de création d’un « fonds spécifique d’aide et d’accompagnement à l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires », doté de 10 millions d’euros.

Dans la même logique, nous proposerons d’affecter 10 millions d’euros à la réalisation de l’objectif consistant à ce que soient servis 50 % de produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine et 20 % de produits bio dans la restauration collective d’ici à 2022, comme le prévoit la loi Égalim. Le développement des fermes « Dephy » –démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires – doit être également accéléré, et nous souhaitons que 450 000 euros y soient consacrés.

Pour faire face à ses missions croissantes, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit conserver son budget, et nous proposerons, par amendement, de rétablir sa subvention pour charges de service public à la même hauteur que l’année dernière, en lui octroyant 4 millions d’euros supplémentaires.

La sortie injuste et jusqu’à présent injustifiée de certains territoires ancestraux de polyculture-élevage de la carte des zones défavorisées simples conduit à des pertes de revenus importantes et à des arrêts d’exploitation, voire pire ! C’est le cas dans le Gers, pour près de 110 éleveurs, dans l’Aude, dans les Deux-Sèvres, ailleurs aussi. Nous ne pouvons toujours pas l’admettre, nous qui connaissons les territoires concernés, les hommes et les femmes qui y vivent avec autant de peine que de dignité !

Pour faire face à ces baisses de revenus, nous pensons qu’il serait judicieux de développer expérimentalement des paiements pour services environnementaux (PSE) sur ces territoires. Il est grand temps qu’à travers ce dispositif la contribution positive de l’agriculture française, dans sa diversité, au regard des grands enjeux de transition écologique soit reconnue et valorisée.

En matière de soutien à la transition agroécologique, les crédits du programme 149 augmentent de 140 millions d’euros, pour financer la reconduction des contrats quinquennaux de financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), qui arrivent à échéance en 2020. On s’inscrit donc là dans une logique de reconduction des financements existants. Quel signal voulez-vous envoyer en matière de transition agroécologique ?

Vous nous avez dit votre intransigeance à l’égard d’une baisse du budget de la PAC, en laissant toutefois entendre que le Brexit engendrerait une perte.

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