Intervention de Antoine Dhellemmes

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 novembre 2019 à 13h40
Agriculture et pêche — Audition sur la récente circulation de grands chalutiers étrangers dans les eaux françaises

Antoine Dhellemmes, Directeur général de l'entreprise France Pélagique :

La France a des capacités de transformation, mais les entreprises spécialisées, principalement à Boulogne-sur-Mer, sont peu nombreuses et la consommation de hareng frais reste faible. Le moratoire sur la pêche du hareng dans les années 1970 a signé la perte du marché français, les consommateurs s'étant tournés vers d'autres espèces de poissons. Dans cette logique, nous avons perdu toutes nos industries de transformation.

Les bateaux pélagiques travaillent de deux manières différentes. La première méthode, utilisée par les flottes écossaise, irlandaise, norvégienne, islandaise, suédoise et danoise consiste à pêcher le poisson et à le débarquer très vite avant de le congeler. La deuxième méthode, qui est notamment la nôtre, consiste à congeler immédiatement le poisson à bord. Cette méthode requiert de fortes capacités de stockage et justifie la taille des bateaux hollandais, immenses entrepôts frigorifiques flottants. Des bateaux de taille plus modeste peuvent pêcher jusqu'à mille tonnes de poisson par jour, excédant largement les 250 tonnes de poisson qu'un bateau pélagique est en capacité de pêcher et congeler quotidiennement. Les bateaux pélagiques norvégiens, en service depuis dix ans, ont au demeurant l'air neuf, car ils ne travaillent que quatre mois de l'année, au cours desquels ils épuisent leurs quotas.

La flotte pélagique, bien que décriée, reste sans doute la plus contrôlée au monde, notamment via le système de surveillance des navires par satellite nous contraignant, toutes les deux heures, à communiquer notre position, notre cap et notre vitesse. Les contrôleurs savent exactement ce que nous faisons, où nous sommes, où nous allons, si nous sommes en pêche ou si nous sommes en route. Douze heures avant l'entrée au port, nous devons nous signaler. Lorsque nous rentrons au port, l'entièreté de notre cargaison est pesée, recontrôlée, et les livres de bord dans lesquels nous enregistrons toutes nos captures sont corrigés. Par ailleurs, les flottes pélagiques sont les premières à s'être vu imposer, dès 2015, l'obligation de débarquement qui interdit les rejets à l'eau. À ce titre, même un poisson écrasé doit être déclaré, congelé et stocké, donc travaillé par nos marins malgré sa rentabilité quasi nulle. Nous avions, pour ainsi dire, crié au désastre lors de l'introduction de la règle du débarquement. En pratique, elle ne nous gêne désormais que marginalement, les espèces peu rentables destinées à l'alimentation animale représentant moins de 2 % de nos captures.

Au cours de l'année, l'exploitation d'un bateau pélagique commence par la pêche du maquereau au mois de janvier, au Shetland. Nous suivons ensuite la migration du poisson jusqu'au sud de l'Irlande, où il se disperse, rendant sa pêche impossible. Au mois d'avril ou de mai, les bateaux sont arrêtés afin d'être entretenus et de permettre aux équipages de se reposer. Puis, de juin à septembre, nous reprenons la pêche du hareng en Mer du Nord ; nous repartons en octobre pour la pêche du maquereau et terminons en novembre-décembre par la pêche du hareng en Manche. Le calendrier est quasiment le même tous les ans.

Les bateaux qui créent aujourd'hui la polémique en Manche y sont depuis parfois 40 ans. Or, depuis 20 ans, aucun bateau pélagique n'a été construit. Le prochain sortira d'un chantier naval français au troisième trimestre 2020, il sera immatriculé à Concarneau.

Nos bateaux actuels sont immatriculés à Fécamp, car France Pélagique est membre du Comité régional de Normandie, auquel nous payons des cotisations professionnelles obligatoires.

Je trouve inapproprié de parler « d'intrusion » du Margiris, bien que je ne défende pas son armateur. Je dispose, en effet, du relevé graphique du trajet de ce bateau et vous confirme que le Margiris n'a pas pénétré les eaux territoriales françaises. Je suis par ailleurs troublé que certains puissent mettre en doute l'encadrement de cette flottille. Bien au contraire, cette flottille pêche des espèces sous quotas, contrairement à la majorité des artisans de la Manche. Les bateaux pélagiques ne sont donc pas les concurrents des pêcheurs artisanaux. Par ailleurs, la période de pêche des bateaux pélagiques en Manche Est se limite à trois semaines pour les bateaux étrangers et à un mois et demi pour les bateaux français. Toutes proportions gardées, nous disposons de davantage de quotas que les étrangers dans cette zone.

Même dans la perspective d'un Brexit nous obligeant à réorganiser nos pêches, nous ne pourrions pas, pour des raisons de saisonnalité, pêcher en Manche toute l'année. La durée de notre présence restera donc inchangée. De la même manière, nous n'allons pas redéployer nos bateaux dans le Golfe de Gascogne car les poissons que nous recherchons ne s'y trouvent pas. Un Brexit dur serait pour nous une catastrophe absolue, faute de solution de repli.

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