Nous en sommes très conscients. Nous essayons d'assurer un bon échange d'informations entre la Commission et les États membres ; ce sera le premier enjeu. Dès lors que nous aurons obtenu ces garanties, un canal d'information direct, transparent, devra être mis en place avec les parlements nationaux. Je suppose que le Gouvernement ou le Secrétariat général des affaires européennes y travaillent. En tout cas, pour ce qui concerne la Représentation permanente, toutes les informations seront bien sûr disponibles.
La politique commerciale sera un enjeu majeur pour la Commission von der Leyen. Les engagements qu'elle a pris répondent dans une large mesure aux priorités portées par la France, par la prise en compte du développement durable et du changement climatique, l'équité des conditions de concurrence et la réciprocité, ou la mise en place d'un Chief Trade Enforcement Officer, un service de la Commission chargé de vérifier la mise en oeuvre effective des accords conclus avec les pays tiers. La Commission considère la négociation des accords comme la partie noble de son métier, mais le travail minutieux de vérification de leur application est moins systématique. Ce sera l'un des mandats du commissaire irlandais Hogan, chargé du commerce. Il convient d'élaborer une stratégie d'ensemble sur la question commerciale, étant donné les difficultés de l'OMC, les intérêts de l'Union européenne, mais aussi la défiance des opinions publiques à l'égard de ces accords que vous avez signalée.
Sur l'élargissement, le débat qui a lieu depuis le mois d'octobre est intéressant. Il n'était pas particulièrement souhaité par la France, mais ce qu'il révèle justifie la nécessité de revoir le processus. Cela ne remet pas en cause, pour aucun État membre y compris la France, la perspective européenne des Balkans, qui fait partie des engagements et de la logique géographique et politique de l'Union européenne, mais le processus lui-même, qui a développé des failles importantes. La cristallisation qui s'est opérée sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord et l'Albanie est une bonne occasion de revoir le processus et de refonder un consensus entre les États membres. D'autres États partagent en réalité exactement la même analyse que la France.
Quelles sont les failles ainsi révélées ? L'ouverture de négociations d'adhésion a été vue comme un instrument miraculeux pour assurer que les réformes soient faites, l'État de droit protégé et les influences extérieures contenues. Or ce n'est pas vrai. Dans les pays avec lesquels des négociations ont déjà été ouvertes il y a parfois des reculs sur ces sujets. Une articulation différente doit être trouvée entre les moyens de l'Union européenne pour sa politique étrangère et les négociations d'adhésion qui sont un processus très technique, juridique, minutieux, assez désagréable pour ces pays qui doivent en permanence justifier des réformes pendant une période très longue. L'amalgame avec les moyens d'influence positifs d'action extérieure, d'investissement, de commerce, de circulation et les négociations d'adhésion a conduit à une confusion des genres. Les négociations d'adhésion sont devenues politisées, en tant qu'outils de politique étrangère.
Ainsi, très peu d'États membres considéraient que l'Albanie avait procédé aux réformes nécessaires pour permettre l'ouverture des négociations d'adhésion et certains s'y opposaient très vigoureusement, mais cela n'a pas empêché une partie d'entre eux de considérer qu'il fallait le faire pour des raisons politiques ou géopolitiques. Il faut éviter l'amalgame entre l'application de l'acquis, les exigences très fortes qui s'imposent aux pays candidats et les objectifs géopolitiques. Ils se réconcilient par la perspective européenne, mais ce sont deux processus différents. Nous avons proposé de bien distinguer les négociations d'adhésion des moyens que nous avons, de rendre ces derniers plus stratégiques, visibles, organisés et d'avoir avec le Haut Représentant et la Commission une approche renouvelée.
Lors des négociations d'adhésion, on procède par l'examen de 35 chapitres, qui correspondent à différents segments de l'acquis communautaire et qui doivent théoriquement être fermés au fur et à mesure que l'État modifie sa législation pour incorporer le droit européen. Dans la pratique, les chapitres ne sont jamais fermés, car le pays n'a pas d'intérêt à faire les réformes qui permettraient de les fermer. En effet, le gain, pour lui, n'intervient qu'à la fin, avec l'adhésion, aux termes de négociations qui peuvent durer dix ou quinze ans. La procédure actuelle constitue donc plutôt une incitation à reporter les réformes les plus difficiles. On aboutit à une situation étrange où tous les chapitres sont ouverts et aucun n'est refermé, ce qui conduit à des impasses politiques et techniques. C'est pourquoi nous proposons une approche plus graduelle, plus rigoureuse, avec des possibilités de réversibilité si nécessaire, mais des bénéfices concrets pour les citoyens des pays visés au fur et à mesure de l'avancée des discussions. Nous voulons regrouper les chapitres par domaines cohérents. Une fois les réformes faites et l'acquis transposé dans un domaine, les pays pourraient participer à des programmes européens et être associés aux politiques correspondantes. Ainsi le pays candidat aura intérêt à procéder aux réformes et les citoyens en constateront concrètement les effets. On romprait ainsi avec une approche punitive qui consiste à geler les négociations pendant dix ou quinze ans.
Certains États membres ont manifesté leur intérêt pour la proposition française, considérant qu'elle permettra d'avancer avec plus d'intelligence. Ils souhaitent quand même ouvrir les négociations d'adhésion, au moins avec la Macédoine du Nord, mais sont prêts à réfléchir à notre proposition. D'ailleurs, le nouveau commissaire européen chargé de l'élargissement a annoncé qu'il lancerait une réflexion. Nous espérons que la Commission fera des propositions au début de l'année prochaine.
D'autres pays restent méfiants. Ils se demandent si notre proposition ne constitue pas une manoeuvre dilatoire pour refuser l'élargissement ou proposer un dispositif de substitution. Nous devrons donc continuer à expliquer notre position, réaffirmer que la perspective d'adhésion n'est pas remise en question, mais qu'elle ne pourra se faire du jour au lendemain et que chacun a intérêt à revoir la méthode.
Pour pouvoir élargir à nouveau l'Union européenne, il faudra réformer son fonctionnement, car il sera difficile d'agir avec plus de 30 États membres, tandis que les équilibres géographiques seront modifiés en Europe. Cela n'est pas une condition à l'ouverture des négociations, mais ce débat devra avoir été tranché avant les adhésions. Même si nous n'avons pas fait de lien avec la conférence sur l'avenir de l'Europe, si celle-ci parvient à des avancées, cela facilitera, le moment venu, un nouvel élargissement.
Un mot enfin sur l'OTAN. Je sors de mon domaine de compétence et ne me prononcerai que sur le débat que cela suscite. Tout le monde à Bruxelles parle de l'interview du Président de la République dans The Economist où il dénonce l'état de « mort cérébrale » de l'OTAN. C'est déjà un succès que le débat ait lieu. Je distingue trois types de réactions. Un tiers des pays environ considère que la France a eu raison de porter ce constat, qu'il ne s'agit pas de remettre en cause l'OTAN et qu'il vaut mieux parler des problèmes plutôt que de les éluder. L'expression forte de notre position a permis une prise de conscience : de nouvelles propositions sur l'avenir de l'OTAN ont pu aussi être formulées, mais aussi sur la place des Européens au sein de l'organisation et l'effort qu'ils doivent faire pour leur sécurité. Un autre tiers de pays partage le constat, mais conteste la méthode. C'est le cas de l'Allemagne. Mme Merkel reconnaît que la garantie américaine est, au moins, remise en question par le président Trump ou que l'attitude de la Turquie dans le nord de la Syrie est problématique. Toutefois, elle aurait aimé procéder différemment. Un dernier tiers conteste l'approche sur le fond et considère qu'en formulant publiquement le constat, on aggrave la situation. Cependant, à mesure que le débat évolue, les approches inquiètes et réactives cèdent la place à une approche constructive, pour réfléchir à la place des Européens dans l'OTAN mais aussi à leur effort de défense au sein de l'Union européenne avec de nouvelles annonces d'investissement dans le domaine de la défense.